décembre 2008

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Le suffixe -able

Après Jouable (workshops, colloques, expositions à Genève, Kyoto et Paris, 2002, 2003, 2004), nous avons eu l’opération Mobilisable (colloque et exposition, Paris, 2008).

Dans le champ artistique, les adjectifs et substantifs formés avec le suffixe able (capable, praticable, etc.) sont un moyen d’explorer les notions de possible et de qualité, tout en ménageant une continuité de la production à la réception.

Dans le Grand Robert, on lit :
-able
Élément, du lat. -abilis, qui s’ajoute aux bases des verbes transitifs en –er (chanter, chantable) et en –ir (variante –issable : périr, périssable) pour former des adjectifs avec la valeur passive de «qui peut être…», ou à une base nominale avec la valeur active de «qui donne», «enclin à» (ex. : charitable, pitoyable). > -ible. La formation de tels adjectifs est libre, notamment en combinaison avec le préfixe négatif in- (in-, im-, ir-).



Paris, métro Bir Hakeim, 19 décembre 2008 [photos JLB]

Dans sa matière colorée et flottante, dans son support à la texture amplifiée et lumineuse, dans la trace manuelle et kinestésique de son geste, le graffiti 1-palpable (impalpable, selon la prononciation parisienne) est concrètement une démonstration du palpable (ou de l’impalpable), entendu comme haptique, y compris dans sa signification d’évidence actuelle et virtuelle. Au delà des codes proprement visuels ou tactiles, nous  sommes en effet ici du côté de l’haptique, qualité que Deleuze attribue à la peinture de Bacon : « quand la vue elle-même découvrira en soi une fonction de toucher qui lui est propre, et n’appartient qu’à elle, distincte de sa fonction optique. (Riegl). »*

* Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, La différence, 1981, p. 99 — p. 146 de la nouvelle édition au Seuil, 2002.

Mots clés :


Hiroshima-Nagasaki Four Years. Also Atomic Bomb Casualty Commission, October 10, 1949. Photographer: Carl Mydans. Life sous Google
On peut préciser : il y a, dans la collection accessible de Life, 8 clichés du même enfant sur fond de draps blancs. Ils révèlent une mise en scène, au demeurant intéressante, dans la logique de la mission politique et médicale aussi bien que de la mission photographique. Voir : Atomic Bomb Casualty Commission source:life


Gene Tierney. Actress Gene Tierney in sexy gown as she sits on set of her new movie Shanghai Gesture… October 1941. Photographer: Peter Stackpole. Life sous Google
On peut préciser : film de Josef von Sternberg.

Dans Le Monde du 5 décembre 2008, deux articles où il est question d’images : ils semblent contradictoires, mais peut-être pas tant que ça.

Dans sa « carte blanche » en dernière page, Caroline Fourest s’inquiète de « La démocratie des cerveaux disponibles » soit, concrètement, de la place et du rôle des journaux et des journalistes. L’« image » est d’emblée mise du côté des dangers : « Quand l’image, la pipolisation, l’anecdotique et la petite phrase dominent, il reste peu de temps pour aborder le fond. » Elle précise ensuite : « Le triomphe de l’image sur l’écrit favorise le fait-divers, le personnel et l’émotion au détriment de l’analyse, du recul et de la confrontation d’idées. » On comprend ensuite — parce qu’elles se font au stylo ? — que les seules images qui peuvent jouer un rôle éclairant sont les dessins d’humour : « Mais avec un peu de talent, le goût pour l’image peut être mis au service de l’esprit critique grâce à la satire et à l’impertinence. » À condition… — allusion faite à la récente « affaire Siné » à Charlie Hebdo —   « à condition de vouloir effectivement fortifier cet esprit critique et non conforter certaines pulsions infantiles, bêtes et méchantes. D’où la division au sein de la presse satirique, entre, d’un côté, celle qui veut vivifier la démocratie et, de l’autre, celle qui s’en moque, voire celle qui la vomit. »

Que les images, les photographies — ce sont elles qui dominent la presse et l’édition depuis des décennies et le numérique en renforce encore la présence et les effets — puissent être autre chose que l’anecdotique, le facile, le racoleur et l’expéditif, semble échapper à Caroline Fourest, à qui l’on reconnaît pourtant des qualités d’analyse et de clairvoyance militante. Que des photographies apportent des nuances, de la complexité, du contexte, du réel non immédiatement explicable, de l’intuition, semble inconcevable pour qui n’y voit que le subjectif et le factice. Que la photographie soit une construction, au détriment apparent de son objectivité, fait partie de ses facultés à encourager l’interrogation, pour qui veut les faire fonctionner dans une opération sensible et critique. Ainsi, bien des images « pipoles » en disent long sur ce qu’elles impliquent, tant elles donnent à toucher, par leur existence même, aux opérations qui les ont fait naître et diffuser.

Alors, si on retourne à la une, comment prendre l’annonce de la mise en libre consultation sur Internet de dix millions de photos de Life (par Google) ? Il faut rappeler que le magazine illustré américain, « qui fut le plus influent au monde dans les années 1930 à 1960 » avait cessé de paraître comme hebdomadaire en 1972 puis avait fermé définitivement en 2007. L’article du Monde souligne l’absence de légendes, de références d’auteurs, de classements, de sélection, l’impréparation apparente d’une opération de marketing contestée par les agences et les photographes : « Des images célèbres comme le portrait d’une migrante durant la dépression de 1936 aux États-Unis, par Dorothea Lange, ou le Débarquement en Normandie par Robert Capa, voisinent avec des variantes de photos connues et d’innombrables photos qui ont plus ou moins d’intérêt. Les noms célèbres succèdent aux anonymes, sans classement. »

La main mise totalisante de Google, de Getty et d’autres puissances commerciales de l’information peut appeler méfiance et dénonciation. La négation du potentiel informationnel, éducatif, politique, historique — et finalement artistique — des images obtenues par enregistrement et transmission (la photographie autrefois, Internet aujourd’hui), telle qu’elle semble se déduire du premier article, relève de l’aveuglement.

J.-L.B.


Liberation of Gertrude Stein. Author Gertrude Stein (R) walking with Alice B. Toklas (L) and their dog. France, 1944. Photographer: Carl Mydans. Life sous Google
On peut préciser : septembre 1944 à Culoz (Ain).

Liens :

Télécharger l’article sur Life

Télécharger l’article de Caroline Fourest

http://images.google.com/hosted/life

http://carolinefourest.wordpress.com/


Portrait photographique de Caroline Fourest.
[Photo prélevée sur Internet. DR]

Mots clés : , , ,

Boris Yankovsky, formes de sons de voix humaines et de différents instruments de musique. Recherches acoustiques sur les spectres et formants. Tracé original du système d’enregistrement de son Kinap de Shorin, 1935.

À voir au Palais de Tokyo (jusqu’au 18 janvier 2009)

Dans la très intéressante exposition « D’une révolution à l’autre. Carte blanche à Jeremy Deller », on peut s’intéresser de près à la section « 1918 – 1939 Son Z /» qui documente un aspect trop mal connu des recherches des domaines croisés des arts et des technologies dans la Russie (l’URSS) des années 1920. On y reconnaitra des préoccupations typiques du Constructivisme : l’alliance, voire la fusion des divers arts entre eux; l’harmonisation des relations entre sciences, arts, économie, politique et société.

Dans le domaine musical, c’est tout un ensemble de découvertes primordiales qui portent sur les ondes électromagnétiques, les sons synthétiques et électroniques. Le cinéma, art de technologies nouvelles à l’époque, est notamment le lieu de diverses tentatives de création optiques de sons.

Ces artistes et scientifiques, qui anticipent de nombreuses innovations des domaines de la communication, de la cybernétique, de la psychologie, la sémiotique, etc. autant que du domaine de l’art et des sciences et technologies attachées à l’art, seront réprimés par le pouvoir, rentreront dans le rang, tenteront d’effacer leur participation aux recherches et expérimentations de l’« avant-garde ».

Lire : André Smirnov & Lubov Pchelkina, « Expérimentations sonores et musique électronique dans la Russie du début du XXe siècle. », Palais/, n° 7, automne 2008, pp. 67-77.

Le variophone d’Evgeny Sholpo, 1934, utilisant des disques découpés.
[Photographies faites dans l’exposition par J.-L.B.]

Ci dessous, un extrait du Dossier pédagogique à télécharger ici dans sa version complète en pdf.

Effervescence

Réalisée par Jeremy Deller en collaboration avec Matt Price, écrivain et éditeur de Birmingham, maintenant installé à Londres pour le compte de la Albion Gallery, et Andrei Smirnov, fondateur et directeur du Centre Theremin à Moscou, cette partie interroge les différentes collaborations qui ont existé dans la Russie des années 20 entre avant-garde, innovation technologique et recherche scientifique, ainsi que leurs conséquences sur les nouvelles modalités de production artistique et industrielle. Cette section comprise en 1918 et 1939 commence avec la fin de la Première Guerre mondiale et se termine au moment où commence la Seconde Guerre mondiale. Lire la suite »


Exposition du 19 novembre au 6 décembre 2008
Galerie d’exposition, Ensad, 31 rue d’Ulm, Paris 5e
[photo Nicolas Nova — cc]

Toutes les informations sur le site :

http://www.mobilisable.net/

Une exposition

Masaki Fujihata
Orchisoid
, installation robotique, 2001
Morel’s Panorama, installation vidéo numérique, 2003
Landing Home in Geneva, installation vidéo numérique, 2005
19 novembre — 6 décembre 2008
Galerie d’exposition de l’Ensad
Du mardi au samedi, de 12h à 19h
Entrée libre

Un colloque (5 sessions)

Amphithéâtre de l’Ensad
Entrée gratuite, dans la limite des places disponibles

19 novembre 2008, 16h — 18h
Mobilité, invention technologique et invention artistique
avec Masaki Fujihata, Pierre-Damien Huyghe, Jean-Louis Boissier

26 novembre 2008, 16h — 18h
Cartographie relationnelle
avec Boris Beaude, Bureau d’études, Philippe Vasset, Gwenola Wagon

26 novembre 2008, 19h — 21h
Pervasive art
avec Lalya Gaye, Usman Haque, Nicolas Nova, Samuel Bianchini

3 décembre 2008, 16h — 18h
Paysages technologique
s
avec Pascal Amphoux, Thierry Davila, Esther Polak, Andrea Urlberger

3 décembre 2008, 19h — 21h
Mobilité et reconfiguration urbaine
avec Frank Beau, Christian Tarpin, Valérie Châtelet


[Photo Nicolas Nova — cc]

Mobilisable

L’Ensad (EnsadLab), en coopération avec l’Université Paris 8 (laboratoire Esthétique des nouveaux médias) et l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse, avec le concours la Haute école d’art et de design- Genève (laboratoire Formes de l’interactivité) et de l‘ University of the Arts in Tokyo (Graduate School of Film and New Media), organise une opération artistique, scientifique et culturelle, centrée sur le thème de la mobilité et intitulée Mobilisable.

Le terme mobilisable est pris dans tout l’éventail de ses significations. Mobile désigne la possibilité de mouvement, la mise en mouvement, la cause du mouvement. Mobilisable est la faculté de ce qui peut être rendu mobile.

L’opération vise à éclairer et à illustrer les mutations artistiques qu’impliquent les médias du déplacement et de la localisation, l’émergence du paysage technologique, les nouvelles formes de cartographie et de récit, les nouvelles modalités de la dialectique mobile-immobile, les nouveaux instruments de l’exercice de la mobilité. Le terme mobilisable qualifie alors des formes artistiques et des œuvres, mais aussi de possibles comportements des artistes et du public, de la collectivité engagée dans de tels processus artistiques, scientifiques et culturels.

Avec l’affirmation du suffixe -able, porteur de potentialités, Mobilisable se réclame d’une forme de manifestation déjà conçue en 2004 avec Jouable (art, jeu et interactivité), associant approches théoriques et expérimentations artistiques, journées d’étude, workshops, expositions et publications.


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