décembre 2014

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[Photos JLB]
Samedi 6 décembre 2014, 17h, centre d’art (et de recherche) Bétonsalon, esplanade Pierre Vidal-Naquet, Paris 13e. Pour The Pale Fox, Camille Henrot a d’abord fait construire une salle-boîte, peinte en bleu vidéo, avec une moquette de la même couleur. Elle a dessiné des étagères en aluminium. Il y a une musique d’ambiance par Joakim Bouaziz, avec parfois des quintes de toux. Après, ça se complique. Il y a, par elle, des dessins et des calligraphies à l’encre de Chine, des sculptures en bronze ou en terre cuite, qui se réfèrent à ce qu’on a nommé Arts premiers, etc. Il y a des objets empruntés au Muséum d’histoire naturelle. Il y a un bric-à-brac d’objets collectés sur eBay, d’images trouvées, des collections de revues scientifiques ou de vulgarisation géographique, des paquets de journaux, etc. Il est question de l’évolution de la connaissance à l’époque du tsunami de données. Plus clairement, de la collecte, de la collection, de l’accumulation, de la classification, de la naturalisation. On avait aimé son film Grosse fatigue à la Biennale de Venise de 2013, et, en 2012, à galerie Rosascape, son herbier, comme au Palais de Tokyo, ses fleurs vivantes, etc. C’est une artiste intéressante, elle fait travailler pas mal de jeunes personnes, y compris ici pour dire les mots que son exposition nécessite. La brochure de 24 pages A4 distribuée aux visiteurs fournit elle aussi des lumières et reproduit la page 54 de La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss, Plon, 1962, chapitre II, « La logique des classifications totémiques » :

De tels propos sous la plume d’un homme de science, suffiraient à montrer s’il en était besoin que le savoir théorique n’est pas incompatible avec le sentiment, que la connaissance peut être à la fois objective et subjective, enfin que les rapports concrets entre l’homme et les êtres vivants colorent parfois de leurs nuances affectives (elles-mêmes émanation de cette identification primitive, où Rousseau a vu profondément la condition solidaire de toutes pensée et de toute société) l’univers entier de la connaissance scientifique, surtout dans des civilisations dont la science est intégralement « naturelle ». Mais si la taxinomie et l’amitié tendre peuvent faire bon ménage dans la conscience du zoologiste, il n’y a pas lieu d’invoquer des principes séparés, pour expliquer la rencontre de ces deux attitudes dans la pensée des peuples dits primitifs.

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Caspar David Friedrich, 1774-1840, Vanderer über dem Nebelmeer, vers 1817. Photo jlggb, Hambourg, Kunsthalle, 20 mai 2014.

Colloque international « Arts et mobiles »
4 et 5 décembre 2014, INHA, Paris
Pour sa troisième saison, le groupe de recherche « Mobile et Création » de l’IRCAV aborde frontalement dans le cadre de ce colloque le rapport à l’Art des terminaux et services ayant des fonctionnalités mobiles (téléphones, smartphones, tablettes et autres phablets).
http://www.mobilecreation.fr

Ce colloque est l’occasion de renouveler la question des causes et des circonstances de ce que l’on nomme aujourd’hui à l’excès « révolution numérique ». On peut aussi s’interroger sur l’invention de l’ordinateur et du téléphone portable, puis « intelligent ».
Le rapprochement, même s’il faut éviter toute comparaison mécaniste, avec l’invention de la photographie — un cas très net de l’histoire des inventions de médiums technologiques — est utile. L’étude notable de Roland Recht, La Lettre de Humboldt, Christian Bourgois, 1989 (voir ci-dessous) devrait nous éclairer. Dans mon article « La perspective interactive », j’écrivais :
Selon l’analyse de Roland Recht consacrée à la naissance de la photographie, La Lettre de Humboldt, la photographie trouve ses raisons dans le regard individuel, diversifié, libre, émancipé d’une vision illusionniste et centrale que la fin du XVIIIe siècle, puis du Romantisme, portent sur le paysage. En adoptant le dispositif du cadrage, on assume l’image comme fragment d’un univers vaste, complexe et changeant. Mais voilà que la veduta, la fenêtre, s’ouvre à plat, à la surface de l’écran des ordinateurs. La « profondeur de temps » et la « trans-apparence » qu’annonçait Paul Virilio s’exercent désormais dans la profondeur d’Internet. http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?page_id=31

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recht humboldt cb 1989 couv
Roland Recht
La lettre de Humboldt
Du jardin paysager au daguerréotype
Christian Bourgois, Paris, 1989

Extrait pp. 147-152

Une manière de conclusion

Ce qui se constitue à partir du jardin paysager jusqu’à l’invention de la photographie en passant par la peinture de paysage, c’est une nouvelle théorie du regard. La préhistoire de cette théorie, elle, connaît sa naissance historique avec l’invention des Van Eyck. C’est aux environs de 1425 qu’ils parviennent, grâce à la mise au point d’une peinture dont le liant est l’huile, à poser des glacis successifs qui permettaient de produire des effets de transparence. Tout un monde miniaturisé fut alors disposé dans le tableau, rendant ainsi plus dense le spectacle proposé au spectateur. Le tableau devint un microcosme que la capacité optique de l’œil ne semble pas pouvoir épuiser. Avoir le sentiment que rien n’est jamais totalement vu, que l’image non seulement augmente notre plaisir de voir mais redouble notre acuité quotidienne : l’art nous apprend à voir le réel.
Une nouvelle flexion dans l’histoire du regard se situe au cours du XVIIIe siècle avec l’émergence du sentiment de la nature dont rend compte Jean-Jacques Rousseau. L’homme ne se sent plus soumis à son cours inexorable. En cherchant des points de vue nouveaux sur cette nature, l’homme des Lumières opère en fait la première remise en cause de l’espace illusionniste établi à la Renaissance et cela plus d’un siècle avant Degas et Cézanne auxquels Francastel et sa suite ont voulu attribuer la paternité. Car si le XVIIIe siècle proclame effectivement, comme l’avait fait la Renaissance, la primauté de la vue sur tous les autres sens, ce n’est pas dans le but d’ordonner le monde en fonction d’une position fixe de l’œil, mais plutôt dans celui de modifier la proximité de l’objet observé, à la manière dont on déplace l’optique d’un microscope. On pourrait dire en forçant les choses que la Renaissance a construit l’image à partir d’un point fixe et que le cadre de l’image est en quelque sorte la résultante de la position arbitraire de ce point, à la manière dont se tient l’onde la plus éloignée par rapport au point d’impact sur l’eau. On pourrait dire que la peinture de paysage telle que la pense le XVIIIe siècle finissant, part au contraire du cadre : c’est à partir de ses limites que se construit le contenu du champ pictural. Alberti disait bien que le tableau devait être perçu comme une fenêtre ouverte sur le monde : par là, il signifiait que le cadre était une donnée fixe que le peintre ne pouvait pas modifier. L’œil de Caspard-David Friedrich va balayer le panorama en quête d’une multitude de cadrages possibles parmi lesquels il va opérer un choix : une optique affinée comme celle que fournit la longue-vue, livre pour ainsi dire ces cadrages au sortir de l’œil. Mieux, il remarque à quel point l’objet, sur lequel il braque son optique, ne pouvant jamais être totalement isolé, gagne à être au contraire appréhendé au sein d’une matière végétale ou géologique qui indique le continuum entre cet objet et le monde. À la différence de l’image de la Renaissance qui constituait un récit cohérent, autonome et fermé sur lui-même, celle du paysage moderne se donne en tant que fragment. Lire la suite »

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