Qu’est ce qu’un dispositif ? (1)

Caroline Du Saint pour i-Télé à La Défense, Paris, 24 janvier 2008.
Photo Vincent Nguyen Riva-Press

« Qu’est ce qu’un dispositif ? ». Cette question a été posée par Deleuze – à partir de Foucault – dans « Qu’est ce qu’un dispositif ? » (Michel Foucault philosophe, rencontre internationale, Paris 9-11 janvier 1988, « Des travaux », Seuil, 1989, p. 185.).

Récemment, Giorgio Agamben, dans Qu’est-ce qu’un dispositif ? (Rivages poche, Traduit de l’italien par Martin Rueff, 54 pp., 5 €.), propose, lui aussi à partir de Foucault, cette définition : « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler, et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. » Il y a eu aussi le texte très discuté de Jean-Louis Baudry (« le dispositif : approches méta psychologiques de l’impression de réalité », Communications n°23, Seuil, 1975, p.70.) Sans revenir plus longuement ici sur cette notion qui s’est dépliée depuis les années 70 dans le champ des sciences humaines et des « media studies », on peut en pointer l’un des aspects les plus concrets à partir de l’idée première de disposition.

Dans la très clairvoyante photographie publiée par Libération le 25 janvier 2008, à propos d’un événement à la banque Société Générale, considérons la disposition des personnes, du « décor », des appareils (notons que le mot appareil est préféré à dispositif par certains auteurs). Il s’agit ici de journalistes de télévision, intervenant plus ou moins en direct dans les journaux de chaînes d’information telles que i-Télé ou LCI. Le transport effectif sur le lieu (le siège de la Société Générale à la Défense est véritablement en fond, pas en incrustation) est motivé par l’effet de présence et de temps réel propre à souligner l’acuité de l’événement. Il souffle un vent froid sur ce parvis, les reporters relèvent le col de leur manteau, mettent des gants.

La presse écrite, comme Libération dans sa version papier, intervenant après, montre ce dispositif de médiation qui est partie prenante de l’événement, qui à vrai dire le construit. Là où la télévision emploie une longue focale, plaçant la journaliste en gros plan dans une perspective ramassée des passants sur le parvis et de la banque, le photographe emploie le grand angle qui détache les équipes de télévision en en soulignant le contexte et la disposition, tout en prenant de la distance. On peut remarquer la frontalité sans détours de la relation entre caméra sur pied et journaliste, cadrage conçu classiquement pour s’inscrire dans l’écran de télévision, dans les circonstance d’un duplex qui va se traduire par un split screen (le partage de l’écran en deux). L’autre part du diptyque est occupée soit par des images de la conférence de presse où apparaissent d’abord d’autres caméras et appareils photos, soit par la journaliste en plateau. On note la différence d’éclairage et de température, la différence des tenues.

C’est que l’événement est, répétons le, ce jour là, avant tout médiatique. La « fraude » boursière qui fait perdre 4,9 milliards d’euros est en effet déjà connue de la banque et, on peut le penser, des autorités bancaires, judiciaires et gouvernementales, mais il s’agit d’en faire l’annonce. L’émission de i-Télé que nous décrivons montrera, dans son journal de la mi-journée, des plans de la conférence de presse du PDG de la banque : « malgré ces événements exceptionnels, notre maison va dégager un résultat positif », cette phrase sera reprise par toutes les agences et par tous les journaux. J.-L.B.

Copies d’écran de i-Télé, mardi 24 janvier 2008, journal de la mi-journée