L’œuvre du peintre Franck Febrer imprimée et animée

« Toute œuvre d’art est objet de perception,
celle-ci instaure un rapport au temps particulier. » Kant (1)

A. L’œuvre de toute une vie d’artiste

« On ne devient pas créateur, c’est une grâce qui m’a été offerte, car j’ai eu l’immense privilège (…) de posséder en moi le don de pouvoir restituer dans un langage plastique qui n’appartient qu’à moi, des images profondément enfouies dans mon subconscient et qui refont surface, transcendées. Ce vécu qui resurgit nourrit mon inspiration et si les œuvres qui en résultent sont parfois dédicacées aux gens que j’aime, elles ne sont en aucun cas porteuses de messages et ne font que me raconter, avec mes angoisses, mes amours, ainsi que mes fantasmes. (…) J’ai bâti mon œuvre à ma façon, pour moi-même et non pour les autres. (…) Mes toiles racontent ma vie et sont comme un petit morceau de moi-même. » Ainsi s’exprimait Franck Febrer.

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D’après Rosette, sa femme le temps lui échappait, il lui fallait faire, vivre et non pas dormir, car pour Franck dormir ce n’était pas vivre. Il peignait comme il aimait à dire de manière éjaculatoire, il concevait sa peinture lors de ses moments de réflexion puis très rapidement sur la toile, le tableau prenait forme.

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Cette peinture fut son oxygène, sa respiration entreprise dés l’âge de 13 ans, elle rythma son existence jusqu’à la fin de sa vie. Grâce aux 63 années de vie commune avec Rosette, Franck Febrer laisse une œuvre considérable. J’ai entrepris en collaboration avec sa femme, le photographe des peintures, le marchand d’art, le photograveur et l’imprimeur de retranscrire au fil des pages de ce livre d’art, l’histoire de toute une vie de peintre.

Je vais tenter ici de vous retracer le temps qui s’est écoulé, lors de la conception et l’impression de cet ouvrage. Puis celui qu’il a fallu pour réaliser un vidéo du livre, cette fois-ci animé, dans le cadre de mon projet concernant le cours « Le temps comme matériau ».

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B. 1. Conception graphique du livre imprimé

Au mois de juillet 2013, le marchand d’art du peintre Franck Febrer me commande la réalisation d’un ouvrage-catalogue autour de l’œuvre de l’artiste. L’impression de ce livre sera l’occasion de retracer le temps, qu’il a fallu au peintre décédé en février 2013, pour accomplir durant soixante-dix années, son travail pictural. Autour de la parution de cet ouvrage aura lieu une exposition-rétrospective à l’occasion de laquelle seront vendues une grande partie des toiles et des dessins du maître.

B. 2. Réalisation de l’ouvrage

Je commence par dessiner des croquis de la mise en page que je soumet à mon commanditaire, ensemble nous définissons le nombre de photographies des toiles et des dessins qui apparaitront dans le livre. Je décide en fonction de ces premiers plans graphiques, du nombre de pages, de la quantité exacte des textes qu’il faudra écrire et de l’anatomie des caractères typographiques.

Nous décidons de ne pas faire une ouvrage qui retrace de manière chronologique, le travail de Franck Febrer, mais au contraire nous privilégions la série. Comme le précise Umberto Eco dans son livre (1) « La série fait plaisir à l’usager, parce qu’elle récompense ses capacités prévisionnelles, ce dernier est heureux de se découvrir capable de deviner ce qui se passera et tout aussi bien, parce qu’il goûte le retour de l’attendu. »

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Je dessine l’architecture de l’ouvrage, en considérant l’un des éléments essentiel à cette production, le temps qu’il me faudra pour réaliser chaque partie du livre. Cet ouvrage doit être imprimé pour l’exposition qui aura lieu au mois d’octobre 2013. Je dispose donc de quatre-vingt-dix jours, pour me mettre à l’ouvrage en collaborant avec le marchand du peintre.

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B. 3. Impression du livre

La conception et la réalisation du livre est achevée, à présent, c’est à l’imprimeur d’entrer en scène. Je lui livre le document mis en page, avec toutes les reproductions des peintures et les dessins de Franck Febrer. C’est à l’artisan de l’impression et du brochage, de confectionner le catalogue d’exposition, il a dix jours pour agir, le temps est compté, le compte à rebours lancé.

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C. 1. Conception du livre animé

Cent jours se sont écoulés, depuis les premières esquisses de l’ouvrage qui est à présent imprimé. Je décide alors dans le cadre de mon cours « Le temps comme matériau » de faire le montage d’une vidéo du livre de Franck Febrer, cette fois ci, l’ouvrage sera animé.

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Je reproduis chaque page du livre dans un format plus petit. De la même manière, je place sur les pages au format réduit, une quinzaine de peintures de l’artiste, ces peintures qui seront les premiers moments de mon film court. J’imprime et découpe les cent cinquante sept pages miniaturisées.

Christine Buci-Gluksmann parle dans son ouvrage (2) à propos de l’image-flux issues des nouvelles technologies « Plane et pourtant feuilletée, elle n’est plus une image d’un réel préexistant : elle produit du réel ; et chaque image peut se glisser sous ou sur une autre image dans une surimpression à l’infini. »

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C. 2. Conception de la vidéo

Les premières séquences du film court (deux minutes trente sept secondes) seront les peintures de l’artiste.

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Les autres images qui se succéderont les unes après les autres, celles des pages du livre imprimé.

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Je filme ma main en train de bouger sur une feuille blanche avec un crayon rose. J’ai, en effet, choisi cette partie du corps de l’artiste qui lui servit pour peindre et dessiner durant soixante-dix années. Ma main qui me permis de faire les premières esquisses, la réalisation sur ordinateur de l’ouvrage, puis la découpe de toutes les pages miniaturisées. Cet élément qui tel un ruban rappellera au spectateur, comme l’écrit Christine Buci-Gluksmann (2) « Entre l’immémorial et l’éphémère, il y a donc le travail du temps humain, celui de l’art. »

Chaque page sera recouverte par la séquence filmée de ma main. Elle s’animera avec mon crayon, ensemble ils seront le ruban qui accomplit différentes actions sur chacune des images fixes du livre animé.

(1) Le temps de l’art, Umberto Eco.

(2) Les spirales du temps : de l’immémorial à l’éphémère, Christine Buci-Gluksmann.