FLAMME ETERNELLE de Thomas Hirschhorn ou la création d’un espace public

Avant-propos

Cet article se propose de démontrer si l’exposition de l’artiste Thomas Hirschhorn, Flamme Eternelle, installée au Palais de Tokyo à Paris en avril – juin 2014, a réussi à créer un espace public à l’intérieur d’un lieu privée.

Dans ce propos l’article est structuré en quatre questions :

→ « Qui est Thomas Hirschhorn ? » Ou la présentation de l’artiste.

→ « Qu’est-ce qu’est Flamme Eternelle ? » Ou la présentation de l’œuvre

→ « Quelle est la question de l’espace public ? » Ou sa définition et ses caractéristiques.

→ « Hirschhorn a-t-il réussi ? » Ou l’analyse et la conclusion.

 

« Qui est Thomas Hirschhorn ? »

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Thomas Hirschhorn (Photo: Kirill Kirasan Ivanov, 2014)

Thomas Hirschhorn est un artiste plasticien suisse né le 16 mai 1957 à Berne. Diplômé à l’Ecole des Arts Décoratifs de Zurich en 1983 et installé à Paris l’année suivante, il travaille d’abord comme graphiste. Son travail prend dés le début une dimension engagée, politiquement et socialement, à l’intérieur d’un collectif nommé « collectif communiste de designers GRAPUS ». Cette expérience est déterminante parce que ce collectif était généalogiquement lié au mouvement Situationniste fondé en 1957 et dont on trouve imprégné son travail aujourd’hui. Dans le document fondateur de ce mouvement, le Rapport sur la construction de situations rédigé la même année par Guy Debord, l’auteur expose l’exigence de « changer le monde » et envisage le dépassement de toutes les formes artistiques par « un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». En ligne avec ce propos le collectif GRAPUS aussi s’imposait de « changer le monde » tout comme Thomas Hirschhorn aujourd’hui avec son travail. En 1986, il abandonne le graphisme pour se consacrer aux arts plastiques et notamment à la sculpture. Sa première exposition individuelle se déroule la même année.

Deux des ses travaux sont ici présentés afin de voir comment sa démarche se concrétise matériellement.

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Too Too-Much Much, 2010, Deurle (Belgique), Dhondt-Dhaenens Museum.

Images: http://www.contemporaryartdaily.com

Too Too-Much Much est une situation, où l’espace du Dhont-Dhaenens Museum de Deurle a été rempli des cannettes de sodas. A l’intérieur des espaces se trouvent des installations qui évoquent des espaces de vie quotidienne, des canapés, des vitrines avec des mannequins, des tubes des égouts et des méga-cannettes qu’on définirait « publicitaires ». Le public est obligé à marcher littéralement à travers ces milliers des cannettes pour la visiter. On voit donc comme le Situationnisme se montre dans le travail de Hirschhorn comme élément structurant : la création d’une situation lui permet de mettre le public dans cette condition imaginaire de vie apocalyptique et le questionnement suscité est évident et immédiat : le consumérisme, l’excès de production industrielle, les déchets qu’elle produit et leur gestion, notre mode de vie.

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Outgrowth, 2005, Paris (France), Centre Pompidou.

Images: http://gmaterac.blogspot.fr     http://www.artupdate.nl

La deuxième est Outgrowth. Pièce, à caractère sculpturale, achetée en 2005 par le Centre Pompidou de Paris et présentée dans ses salles lors de l’exposition Airs de Paris en 2006. Cette pièce est composée par 131 globes avec des « excrétions » en mousse expansive couvertes de scotch et rangés sur des étagères, avec lesquels il propose une interrogation des diversités et des malformations d’un seul monde.

Le choix de cette deuxième pièce serve à mettre en évidence certaines ambigüités de la personnalité de l’artiste. La première est la question du style : Thomas Hirschhorn refuse radicalement l’idée d’un style personnel tout en créant un assez évident et défini par le choix des matériaux qu’il utilise et la façon de les composer. La deuxième est la question du circuit de diffusion de ses œuvres : son art qui a ambition d’être universelle, populiste et accessible se trouve souvent exposé dans des lieux élitistes et sélectifs.

Pour finir sa présentation il est intéressant de citer les mots avec lesquels lui-même définit son travail :

-son crie de bataille : « Énergie oui, qualité non »

-et la façon dont il l’explique : « Je dépense toute mon énergie à lutter contre la qualité de l’œuvre. Il ne faut pas viser l’amélioration, mais la dégradation. Il ne faut pas être mieux, il faut toujours être moins bien ».

« Qu’est-ce qu’est Flamme Eternelle ? »

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Image : http://www.almanart.org

Flamme éternelle est le titre d’une exposition de Thomas Hirschhorn qui a eu lieu au Palais de Tokyo à Paris d’Avril à Juin 2014. Flamme Eternelle est avant tout la construction d’une situation et de son esthétique.

Dans la grande salle Orbe New York du Palais de Tokyo, 16500 pneus ont été installés pour structurer un lieu et l’organiser en différentes entités. Ils en résultent : une bibliothèque, une vidéothèque, un espace internet, un lounge avec bar, un atelier de création, une rédaction pour la publication d’un journal, deux agoras (ou espaces de conférences et débat) chacune avec une flamme brulant au milieu et plusieurs interstices crées par la construction même.

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Photo : André Morin

Les différents lieux crées ont été aménagés avec du mobilier réalisé avec des matériaux de fortune ou récupérés chez Emmaus. Du scotch par tout. Des banners incomplets. Pc, imprimantes, livres, télés, films. Des bières à 1 euro au bar. De la matière à disposition pour créer des sculptures (polystyrène, Bombes de peinture, des cutters, des ciseaux, des scies, des marqueurs, etc.). Un journal quotidien. Des conférences, des lectures, des concerts.

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Image : https://twitter.com/paulineweber_

Cette « Situation » implique des conditions. Flamme Eternelle est basée sur quatre lignes de conduite : présence, production, gratuité et non programmation.

La présence est avant tout la présence de l’artiste les 52 jours de l’exposition dans les horaires d’ouverture de midi à minuit. Elle est aussi la présence du public et des écrivains, philosophes et poètes que l’artiste à invité à participer.

La production s’entend ici comme l’activité principale de la situation : avec la mise à disposition des espaces et de la matière, tout le monde est appelé à produire des œuvres mais aussi des débats et encore des rencontres.

La gratuité est une condition demandée part l’artiste au Palais de Tokyo comme condition fondamentale de ce travail et implique l’abolition du ticket d’entrée pour la visite dans les espaces de Flamme Eternelle.

La non programmation est une nouvelle condition apte à éliminer l’attente d’un événement quelconque en laissant à la casualité le résultat d’une participation à un événement.

Comme précédemment, pour finir la présentation de Flamme Eternelle je cite les mots avec lesquels lui-même la définit :

Flamme Eternelle est une situation. »

– « Je voulais créer un espace qui permet de créer les conditions pour une rencontre pour les gens qui ont quelque chose à dire aujourd’hui et ici. »

« Quelle est la question de l’espace public ? »

Maintenant, il est besoin ici de définir sommairement qu’est-ce qu’un espace public, pour pouvoir mettre en relation ceci avec le travail Flamme Eternelle.

Etant conscient que la définition de « espace public » évolue dans le temps et selon le contexte, la décision d’utiliser la définition de Wikipedia m’a apparu intéressante parce que elle se veut actuel et synthétique.

« L’espace public représente dans les sociétés humaines, en particulier urbaines, l’ensemble des espaces de passage et de rassemblement qui est à l’usage de tous, soit qui n’appartient à personne (en droit par ex.), soit qui relève du domaine public ou, exceptionnellement, du domaine privé. »

Et on peut ici ajouter quelques caractéristiques, extraites du livre de Thierry Paquot « L’espace public », afin de mieux le circonscrire. Selon celle-ci l’espace public se veut :

  • Espace de la Communication (non exclusive), donc espace de la relation, qui n’est pas forcement géographique. Un espace peut être public temporairement par exemple.
  • Espace qui permet aux opinions privées d’être rendues publiques – en intégrant la définition de Jürgen Habermas, qui la définit comme « la sphère intermédiaire entre vie privée et l’état monarchique dans la France et l’Angleterre de la fin du XVIII et début du XIX siècle- mettant en évidence l’opposition privé-public.
  • Espace des pratiques collectives et individuelles.
  • Espace d’absence d’intimité.

« Hirschhorn a-t-il réussi ? »

Hirschhorn a-t-il réussi à créer un espace public à l’intérieur de son exposition Flamme Eternelle ? En analysant les éléments cités, malgré quelque ambigüité, on peut conclure que : oui, la création de Flamme Eternelle a réussi à créer un espace public temporaire à l’intérieur d’un lieu privé. Parce que l’artiste a su créer les conditions pour que sa « situation » devienne un espace public « à l’usage de tous ». Les conditions qu’il su ressembler et qui ont produit l’espace public sont:

  • Gratuité

Comme on peut voir dans l’image suivante, une entrée diversifiée a été créée, permettant un passage direct et gratuit vers Flamme Eternelle.

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Image : http://wowa.artlinkart.com

 

 

 

  • Accessibilité

L’accessibilité à l’exposition était garantie : pas des limites d’âge, de mobilité, de class, etc.

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Image : http://wowa.artlinkart.com

 

 

 

  • Participation (a la création, à la pensée, au débat, à la réflexion)

Tout personne était habilité à intervenir, à produire, à participer. Dans l’image on voit que même une agente de sécurité a pu participer en écrivant sur un banner.

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Image : http://wowa.artlinkart.com

 

 

 

  • Matériaux non exclusifs

Le choix des matériaux universaux comme les pneus, le scotch, le polystyrène, etc., (choix de l’artiste dans tout son travail), a permit la non exclusion et la non sélectivité d’une partie du public.

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Flamme Eternelle, 2014, Paris (France), Palais de Tokyo.

Image : http://www.summilux.net

 

 

 

Conclusion

Thomas Hirschhorn avec un geste artistique a détourné un lieu privé le transformant en « espace public ». Mais un « espace public » caractérisé et non neutre. Les choix d’aménagement, des matériaux utilisables, de gestion des événements circonscrivent les « règles du jeu » à l’intérieur des quelles l’usage de l’espace est accepté. Il n’était pas possible, par exemple, d’amener des matériaux extérieurs dans le workshop, ni des films dans la vidéothèque, ni des livres dans la bibliothèque. « A l’usage de tous » donc, mais selon l’image et les envies de l’artiste et de ses ambigüités.

Article: Hernan Gabriel Pais

 

 

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