Message au détour d’une rue.

Suite à une analyse du graffiti dans la ville d’Alger depuis les années 50, des thématiques propres à cette discipline ont émergés et font ici l’objet d’une étude qui nous mène aux quatre coins du globe, car toutes les sociétés humaines se sont exprimées sur les murs de leurs villes. Le graffiti, sa forme et son message changent pour épouser des causes et sont le miroir d’une ère, le témoignage de l’esprit d’une communauté à un moment donné, un des marqueurs les plus parlant de l’histoire des civilisations.

 

Le graffiti comme chronologie sociale

 

Le graffiti existe depuis aussi longtemps que le ‘faire société’. Il accompagne les évènements banals ou extraordinaires de nos villes.

Si les strates de graffiti qui couvrent les murs étaient conservés et mis bout à bout, nous pourrions lire l’histoire d’un groupe sociale, ces revendications, ses passions, ses spécificités.

A Alger cette pratique témoigne de phénomènes divers, du passage de civilisations à travers les âges, de conflits, d’idéologies, d’aspirations populaires.

­En observant les écritures sur les murs de la ville de la fin des années cinquante à maintenant (archives photographiques et graffiti encore visibles), une histoire des mouvements sociaux et de la formation politique et culturelle se dessine clairement.

 

A l’aube de la révolution, des messages écrits à la va-vite, en français ou en arabe conteste la présence déjà ancienne du colonisateur. Le long de la démarche d’indépendance, les écritures gagnent en ampleur et en assurance, les noms des partis indépendantistes émergeants deviennent récurrents ainsi que leur revendications, leur symbolique toute neuve et les murs de la ville s’habituent à ce nouvel état des lieux avant même que l’Algérie indépendante se fasse à ses nouveaux dirigeants.

 

Le vingtièmesiècle a vu plusieurs pays s’émanciper, plusieurs colonies lutter et gagner leur indépendance. Les murs de Johannesburg en Afrique du Sud se sont couverts de slogans anti-apartheid et d’annonces de la formation puis la présence de l’ANC (Congrès national africain) pendant que l’Algérie voyait le sigle FLN se répéter sur ses murs.

Des lors, les pays pacifiés, indépendants et plein d’espoir n’ont plus besoin du graffiti pour accompagner une lutte ou dénoncer l’injustice mais pour promouvoir la nation glorieuse et pleine de potentiel et accompagner son idéologie naissante.

 

Une ville en Sardaigne, Orgosolo, a gardé sur ses murs le témoignage des évènements consécutifs de son histoire ; de la crise économique de l’Italie des années 60 en passant par le fascisme, les périodes de prospérité jusqu’à l’intégration de causes internationales à ces œuvres visibles par tous. L’esthétique et les scènes dessinées sont un livre ouvert qui attirent les curieux de partout dans le monde, qui découvrent ce qui a animé l’esprit d’une société spécifique au détour de ses rues.

 

 

 

 

La sécurité comme composante esthétique.

 

Le street art s’est démocratisé, il est même entré dans les galeries ; de magnifiques dessins ornent des façades entières des bâtiments de nos villes. Des commandes publics et des murs où le graffiti est autorisé laissent le loisir aux artistes de s’exprimer sans qu’une menace pèse sur eux.

Cet état n’est pas général. Le graffiti reste illégal voir dangereux pour la sécurité de son auteur. Selon le message qu’il véhicule et le contexte social dans lequel il évolue, le graffeur peut faire l’objet de contraventions, d’emprisonnement, voir pire  s’il est considéré comme une menace à l’ordre établi dans des pays peu respectueux des droits de l’individu.

Un Algérien qui écrivait un slogan révolutionnaire avant l’indépendance du pays défiait le gouvernement colonial, était considéré comme un terroriste et pouvait payer de sa vie cet acte de défiance.

L’esthétique de ce genre de graffiti ‘à la sauvette’ peut être qualifiée d’esthétique du vandalisme. Un révolutionnaire écrivant sa révolte, un jeune écrivant ‘nike la police’ ou un néonazi profanant une tombe juive ressentent quelque chose de similaire, une peur d’être découvert, une connaissance des conséquences de cet acte et la seule similitude entre leur graffiti sera cette esthétique propre au texte écrit rapidement, sans volonté esthétique mais porteuse de leur message spécifique.

L’esthétique se développe donc proportionnellement à la sécurité du graffeur et à l’acceptation de ses revendications par l’opinion populaire.

Pendant la crise de 2008, la Grèce a souffert plus que le reste de l’Europe ; beaucoup de grecs se sont retrouvés au chômage et une scène artistique à émergée, composée de talents locaux avec beaucoup de temps libre qui exprimaient leur frustrations et leur désarroi sur les murs d’Athènes. Le climat social tendu a fait que la police n’avait pas le temps de sanctionner ces artistes et cette absence de menace a enhardi les graffeurs, leur permettant de faire toujours plus, plus grand et plus spectaculaire, allant même jusqu’à graffer sur des ruines de l’acropole sans être importunés.

 

Le language comme vecteur de revendications identitaires.

 

Les invasions de territoires impliquent l’arrivée de langues nouvelles dans un pays qui a déjà sa ou ses langues propres. Si l’envahisseur dominent alors il peut imposer sa langue comme langue officielle du territoire et même punir l’utilisation des langues originelles.

Les langues se chargent alors d’une dimension politique et leur utilisation à certains endroits suffit à affirmer le désir de liberté, le rejet de la culture de l’envahisseur, la résistance d’une culture, la revendication d’une appartenance non reconnu. Parfois les langues peuvent être des messages qui visent une population spécifique ou qui se chargent d’un message qui a fini par y être associé.

Par exemple, l’Algérie ‘possède’ le français, l’arabe classique, la darija (langue parlé), et le tamazight (langue berbère). Ces langues sont utilisées tour à tour pour exprimer différents messages sur des murs.

Pendant la décennie noire en Algérie, la vague de radicalisation a été accompagnée d’une arabisation accrue et des slogans puritains étaient écrit dans un arabe classique parfois incompréhensible pour les algériens. Quelques rues plus loin le français ou la darija servaient à dénoncer ce mouvement qui avait déjà commencé à limiter certaines libertés du peuple et à le pousser à se retrancher chez lui pour éviter la violence qui régnait dans les rues.

Les évènements houleux de l’histoire de l’Algérie au 20eme siècle n’ont pas épargnés les berbères qui se considèrent comme les habitants originaux du pays, et qui ont luttésans relâche pour la reconnaissance de leur culture, de leur algérianité et de leur langue. N’importe quel mot écrit en tifinagh (alphabet berbère) est une revendication en soit, peu importe le message.

Comme les berbères d’Algérie, les Corses, les catalans et les basques ont utilisés leur langue originelle pour se différencier de l’état dont ils voulaient se séparer et réclamer leur indépendance, leur droit à l’autonomie. Ecrire en basque sur les murs de Pampelune c’est comme dire tout haut, ici c’est le pays Basque, pas la France, pas l’Espagne.

 

Terreur et occupation du territoire

 

L’espace public est un terrain de jeu occupé par plusieurs groupes, dont les luttent diffèrent ou s’opposent. Les armes déployées par les deux cotés sont pourtant les mêmes. On assiste ainsi à un marquage de territoire, à une intimidation constante, à une présence qui s’impose à l’autre sur son propre territoire.

De l’OAS (Organisation Armée Secrète) à la fin des années 50 au GIA ( Groupe Islamique Armée ) dans les années 90, la terreur a investi les murs des villes algériennes, faisant planer une menace constante sur la population en quête de paix.

Les messages de l’OAS étaient explicites, ‘l’OAS veille’ ou ‘vous n’avez rien vu rien entendu’, étaient lisibles sur les murs d’Alger où circulaient, à leur risques et périls, les révolutionnaires algériens qui s’affairaient pour organiser la révolte et qui s’exprimaient sur ces mêmes murs. L’OAS avaient même développé un graffiti spécifique, visant à appuyer l’idée qu’il n’était pas possible d’échapper à l’organisation. A coté des nombreux ‘l’OAS veille’ se trouvait le dessin d’une paire d’yeux, les yeux qui scrutent sans relâche, faisant naitre la peur chez tous les algériens qui les croisaient.

Les organisations armées violentes ont existé aux cotés de plusieurs mouvements de revendications de par le monde. Pendant que les noirs américains revendiquaient leur droits à l’égalité le Ku Klux Klan organisaient des attaquent des campagnes d’intimidation dans tous les Etats-Unis. De nombreux noirs découvraient sur la façade de leur maison, commerce, école ou sur leur passage des messages haineux à leur encontre revendiqués par le groupe à la cagoule blanche.

Le KKK a accompagné et menacé le mouvement de droits civils aux Etats-Unis, se battant farouchement pour l’échec de celui-ci.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Propagande dans le graffiti

 

Dans des états policiers où le gouvernement exerce un grand contrôle sur la population l’expression est régulé voir limité. Les gouvernements diffusent des messages de propagande à leur avantage et parfois utilisent les outils du peuple, pour masquer la provenance réelle du message, toucher la population et saturer l’espace public de leur message.

En Algérie, le FLN depuis sa création jusqu’à maintenant utilisent le graffiti pour contrefaire le soutien populaire et s’imposer comme le parti légitime au pouvoir, le seul capable de gouverner, après avoir vaincu lors de la guerre de libération.

L’Iran est un exemple encore plus fort de ce genre de techniques de propagande. Le gouvernement couvre les murs des villes de messages à son avantages, de messages diabolisant l’occident, les Etats-Unis surtout, et d’images de martyrs qu’il récupère pour légitimer sa présence et rappeler à la population son devoir envers sa patrie.

 

Messages universels

 

En dehors des luttes spécifiques que le graffiti a servi, sa démocratisation et sa propagation a travers le monde globalisé lui a donné une nouvelle dimension.

Les causes qui transcendent l’espace et les groupes sociaux trouvent un écho sur les murs du monde entier. La cause palestinienne, la protection des enfants ou des femmes, le climat et la protection de la planète sont des sujets qui unifient les graffeurs du monde entier, dans des situations et contextes différents.

 

 

Conclusion

 

De nos jours, les grandes capitales mondiales se couvrent de graffitis élaborés et agréables à regarder. Le passant, l’œil flatté et habitué à cet état des choses peut donc ne considérer le graffiti qu’à travers son esthétique.  Ceci est possible car le beau ne choque pas, il s’intègre facilement dans nos vies et on ne le remet pas en question. Mais il ne faut pas oublier que la fonction première du graffiti et de revendiquer quelque chose, d’immortaliser une idée, de témoigner d’une existence. Le graffiti est une revendication, un message, même si ce message est qu’à ce moment précis tout va bien.

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