Djerba Hood :l’île comme musée de street art à ciel ouvert

Introduction                                                         

 

A l’heure actuelle où le terrorisme frape le monde, pour semer la culture de la haine et de la mort, à l’heure où se trouvent attaqués à la fois la France -le pays qui m’accueille pour avancer sur la voie de la science et de la recherche- et la Tunisie -mon pays natal et ma patrie- je ne trouve pas mieux que le projet Djerba Hood comme corpus et sujet de mon exposé.

C’est un projet conçu par le jeune artiste tuniso-français Mehdi Ben Cheikh pour répondre à cette cruauté et faire de l’art le meilleur remède ou comme le dit l’artiste lui-même « le meilleur arôme contre l’obscurantisme ».

Un art qui se réalise et se manifeste  comme une nouvelle forme de pratiques artistiques dans l’espace publique.

Comment se présente donc le projet Djerba Hood?

Quels sont les caractéristiques plastiques qu’il met en œuvre?

Quelles sont les notions et valeurs qu’il transmet?

I- Présentation du projet

C’est une manifestation  d’art urbain pendant laquelle des artistes venant de touts les coins du monde s’installent dans le village tunisien d’Erriyadh situé sur l’île de Djerba pour en faire un atelier à ciel ouvert et y réaliser 250 œuvres.

Cette manifestation est lancée par la galerie Itinérance de paris  en juin 2014.Les artistes participant à ce projet, sont celant  la galerie Itinérance:

« 3ZS (Palestine), Abdellatif Moustad (Maroc), Az (Arabie Saoudite), Add fuel (Portugal), Alexis Diaz (Porto Rico), Amose (Français), Arraiano (Portugal), Axel void (USA/Espagne), Aya Tarek (Egypte), Btoy (Espagne), BomK (France), BRUSK (France), C 215 (France), Nina (France), Calma (Brésil), Monica Canilao (USA), Cekis (Chili), Curiot (Mexique), Dabro (Tunisie), Dan 23 (France), David de la Mano (Espagne), Deyaa Rambo (Arabie Saoudite), Dome (Allemagne), EL Seed (Tunisie), Elliot Tupac (Pérou), Ethos (Brésil), Evoca 1 (République Dominicaine), Faith 47 (Afrique du Sud), Fintan Magee (Australie), Hendrik Beikirch (Allemagne), Herbert Baglione (Brésil), Hyuro (Espagne), Inkman (Tunisie), Inti (Chili), Jace (La Réunion), Jaz (Argentine), Kan (France), Katre (France), Know Hope (USA), Kool Koor (USA), Laguna (Espagne), Liliwenn (France), Logan Hicks (USA), Maatoug. Y (Lybie), Malakkai (Espagne), Màrio Bélem (Portugal), Mazen (Arabie Saoudite), M-city (Pologne), Mosko (France), Myneandyours (Irak), Nadhem & Rim (Tunisie), Najah Zarbout (Tunisie), Nebay (France), NeSpoon (Pologne), Nilko (France), Orticanoodles (Italie), Pantonio (Portugal), Phlegm (UK), Pum Pum (Argentine), Rea (France), Roa (Belgique), Rodolphe Cintorino (France), Saner (Mexique), Sean Hart (France), Sebastian Velasco (Espagne), Seth (France), Shoof (Tunisie), Stew (France), Stinkfish (Colombie), Sunra (France / Tunisie), Swoon (USA), Tinho (Brésil), Twoone (Japon), UNO 370 (France), Vajo (Tunisie), Wais 1 (Russie), WiseTwo (Kenya), Wissem El Abed (Tunisie), Yazan Halwani (Liban), Zepha (France). »

Ils sont tous issus du street art et ont eu des pratiques urbaines.

II- Caractéristiques plastiques et esthétiques

Tel qu’il a été annoncé plus haut, le projet Djerba Hood présente une nouvelle forme assez particulière des pratiques artistiques dans l’espace urbain. Et cela par le faite que les œuvres qu’il réalise transgressent les cloisons des institutions pour embarquer au plus prés du spectateur, tout en restant liées à la représentation. Ainsi   le quartier Erriyadh se transforme en un musée qui offre aux spectateurs une variété d’œuvres inspirées de l’environnement et révélant sa culture matérielle et imaginaire.  Les murs du village prennent le rôle de supports pour  abriter des représentations qui manifestent la richesse de l’île laissant  voire des images de femmes, d’animaux, de plantes, de calligraphie…( figures:1-2-3-4). Des sujets choisis par les artistes eux-mêmes, de leur propre grés, et non pas pour répondre à des commandes officielles. Des sujets au moyen desquels l’artiste se déplace vers le monde environnant du spectateur ou bien invite ce dernier vers son propre monde( celui de l’artiste).

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Les supports utilisés mettent en œuvre tous les éléments architecturaux du village.

D’emblé  les murs, les portes, les coupoles, les arcades, les fenêtres se transforment en des surfaces qui ne portent pas seulement des représentations mais, qui influencent et inspirent également  les artistes par leurs formes et leurs matériaux.

Tout cela se réalise par l’utilisation d’une grande variété de techniques et de styles picturaux propre à chacun des artistes. Ainsi l’île musée laisse voire des œuvres  figuratives, abstraites, surréalistes, graphitées. Notamment des œuvres éphémères bien que picturales, mais, peintes sur des murs en coure de construction, donc risquant l’effacement (figures:5-6).

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Les murs portent aussi des « peinture- affiches ». Mais qui bien que présentant des slogans, différent des affiches pliées ou en papier puisqu’elles sont peintes directement sur leur support. Rompant avec l’affiche comme épreuve de sujétion des libertés pour être, une affiche purement gratuite, contemplative et éducative des masses.

Favorisant de la sorte le rôle de l’art du langage comme moyen d’expression (figures:7-8).

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Toutes ces pratiques se réalisent  en moyen   des techniques de pochoirs(figure 11), d’aquarelle(figure 12), de pompes ou aérosols(figure 9), de peintures, des aplats colorés(figure 10)…  Ce qui est annoncé par les reportages réalisés par plusieurs chaines de télévision française.[1]


[1]Kool Koor l’Américain est toujours très sensible à l’environnement, aux sons, aux odeurs. Know Hope, américain également, cherche un écho avec le lieu où il pose sa poésie murale. Jaz l’Argentin procède toujours de la même manière, avec la matière première que lui offre la ville. Dan 23 le Strasbourgeois, ouvre grand ses yeux comme à son habitude pour toujours mieux comprendre le monde. BToy l’Espagnole se laisse partout inspirer par les femmes, peu importe l’endroit où elle se trouve. Les créations des artistes se croisent, leurs inspirations restent uniques et leurs œuvres respirent toujours entre elles.

Know Hope

Know Hope est Américain. Le trait fin de ses personnages est reconnaissable parmi tant d’autres. Souvent imité, jamais égalé, Know Hope se situe dans le haut du panier du Streets art international. Sur les murs, il raconte des histoires où des animaux aiment chicaner des humains. Il faut ouvrir grand les yeux et prendre le temps de détailler ses œuvres où il aime aussi écrire ses petites histoires dans sa grande histoire… Dans son travail, il inscrit la nature comme partie prenante. A part entière. Know Hope est un artiste entier. A Erriyadh, il a semé des paires de mains en noir et blanc qui délivrent des messages énigmatiques, poétiques et a de fait créé son propre parcours composé de 14 pièces, comme une chasse aux trésors.

Jaz

Jaz est Argentin et muraliste pionnier. Après être passé par la lettre comme nombre d’artistes urbains, il peint d’immenses œuvres inspirées par sa ville, Buenos Aires. Passé maître dans la technique de l’aérosol, il offre désormais à toute l’Amérique du Sud des pièces muséales. A Erriyadh, sur un mur du marché, il a peint une immense fresque des guerriers cavaliers partent à la conquête d’un morceau d’Afrique. L’artiste voyage toujours léger et c’est sur place, là où il doit peindre, qu’il glane ses matériaux. A Djerba, il a pilé de la brique rouge pour fabriquer son pigment, le tout mélangé à de l’essence de mobylette, l’objet qui relie les hommes entre eux…

Dan23  vit en France, à Strasbourg. Le projet de La Tour 13 lui a ouvert les portes des galeries parisiennes. Adepte de live painting, il a longtemps tiré le portrait de musiciens en choisissant l’aquarelle. Dans son champ des possibles, il y a les croquis, les dessins sur papier, les peintures sur toiles où la musique n’est jamais très loin. A Erriyadh, il a peint des femmes car un peu trop absentes à son goût dans les rues du village. Il a aussi choisi le bleu Méditerranée pour peindre, une grande première pour lui. Ses regards envoûtent et comme à son habitude, il a ouvert grand les yeux pour mieux communiquer avec les villageois.

3/12/2015 Djerbahood Bienvenue à Djerbahood Archives ­ Djerbahood

http://www.djerbahood.com/category/bienvenue­a­djerbahood/ 9/18

 

Les œuvres sont réalisées individuellement ou d’une manière collective. Ce qui favorise le travail d’échange et de partage entre les artistes qui viennent du monde en tiers.

 

III- Djerba Hood comme activation de l’espace public

La manifestation Djerba Hood n’a pas uniquement donné une nouvelle forme de Streets art qui se réalise sur l’île de Djerba pour faire de cette dernière un musée ou galerie à ciel ouvert, mais elle a aussi favorisé l’émergence des notions en relation très étroite avec les pratiques artistiques dans les espaces publics.

La première de ces notions se réalise dés que les artistes participant à Djerba Hood ont décidé de produire leurs œuvres sur l’île et plus précisément dans le cartier  Erriyadh. Ce qui présente bien un contexte très particulier. Ce qui donne aussi lieu à « un art contextuel » dont la première qualité tel que l’a défini    Paul Ardenne est:

« La première qualité d’un « art contextuel» c’est donc son indéfectible relation à la réalité. Non sur le mode de la représentation, caractéristique de l’artiste dit naguère « réaliste », lequel puise dans le monde qui l’environne les thèmes de créations plastiques dont il fera tout au plus des images, et dont le destin reste pictural. Mais plutôt sur le mode de la coprésence, en vertu cette fois d’une logique d’investissement qui voit l’œuvre d’art directement connectée à un sujet relevant de l’histoire immédiate »[1].

La notion d’art contextuel dans la pratique étudiée, ne s’active pas par la représentation sous une quelconque forme d’illusion picturale mais plutôt sur l’activation d’un mode d’action qui rend présent l’artiste à proximité d’autrui et du contexte environnant où le lieu d’investissement ne favorise pas les institutions artistiques, mais les espaces fréquents comme les rues.

En ajoutant à cela qu’être dans l’immédiateté, c’est être dans le vécu et dans le réel au moyen d’une présence fictive.

Le quartier d’Erriyadh qui réunie à la fois des habitants juifs et musulmans donnant preuve d’une tolérance humaine et religieuse sans équivoque, offre au moyen de cette manifestation un atelier ouvert qui réunie artistes et habitants dans une grande interaction et une grande entente. Celle-ci se traduit dans un premier temps par l’acceptation des habitants d’offrir leurs murs aux artistes pour en faire des œuvres d’art. Cette collaboration se manifeste aussi par la participation des commerçants et des  artisans dans l’élaboration des travaux rappelant de la sorte les principes du Bauhaus[2] où artistes et artisans se réunissent ensemble afin de faire des œuvres collectives. Cette collectivité s’accentue encore plus avec la collaboration des spectateurs dans la réalisation des œuvres. Répondant de la sorte à ce qu’a noté Nicolas Bourriaud:

« Les artistes cherchent des interlocuteurs: puisque le public demeure une entité assez irréelle, ils vont inclure cet interlocuteur dans le processus de production lui même. Le sens de l’œuvre naît du mouvement qui relie les signes émis par l’artiste, mais aussi de la collaboration des individus dans l’espace d’exposition. (Après tout, la réalité n’est rien d’autre que le résultat transitoire de ce que nous faisons ensemble, comme l’écrivait Marx »[3].

La collaboration entre artistes et spectateurs, transforme les œuvres en des espaces de rencontre(figure 13) instaurant non seulement une esthétique relationnelle mais aussi une esthétique de socialité ou plutôt un « modèle de socialité » où selon Nicolas Bourriaud:

« [… ] la pratique artistique se concentre désormais sur la sphère des relations interhumaines, comme en témoignent les pratiques artistiques en cours depuis le début des années quatre-vingt-dix. L’artiste se focalise donc de plus en plus nettement sur les rapports que son travail créera parmi son public, ou sur l’invention de modèles de socialité »[4].

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Les rues se transforment aussi en des espaces initiatiques où l’ on voit des enfants participant à la réalisation  des œuvres, attentifs aux techniques qu’ils contemplent.[5]

Par l’intégration de ces pratiques dans  le quartier Erriyadh, les habitants ne contemplent pas uniquement les œuvres mais, les habitent.


[1] – Paul Ardenne, Un art contextuel. Paris, Flammarion, 2002, p. 198,199.

[2] -J.L FERRIER,L’aventure de l’art au vingtième siècle ,édition du chêne, Hachette.

 

[3] –  Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Paris, Les presse du réel, 2001,p.85.

[4] Ibid., p.28,29.

[5] Julien Malland est français et a plusieurs vies : graphiste, illustrateur, éditeur, réalisateur de documentaires… Et puis il y a Seth, l’artiste public comme il aime à se définir. Depuis des années, il parcourt le monde entier pour peindre là où personne n’avait encore peint avec des habitants qui n’avaient pas encore osé prendre leurs murs d’assaut. Et le miracle opère lorsqu’il tend des craies ou des morceaux de charbon de bois aux gamins qui le regardent travailler. Il aime par dessus toutes les collaborations avec d’autres artistes ou avec des passants tout simplement. A Djerba il a posé ses gamins songeurs et rêveurs sur une porte murée, sur un mur oublié, sur un portail cadenassé… Et partout où il peint la poésie opère et c’est l’invitation au voyage haut en couleurs. http://www.djerbahood.com/category/bienvenue­a­djerbahood/ 9/18

 

 

 

Conclusion

         A travers Djerba Hood, le discours de l’art, n’est pas uniquement un discours de rêve, d’imagination, de fantasme, mais surtout un discours d’échange et de tolérance qui se réalise au moyen d’une présence fictive des artistes avec et à côté des spectateurs, non dans les galléries et musés mais, en dehors de ces deniers, dans les rues et dans les espaces du quotidien  . C’est aussi un discoure qui inaugure l’instauration d’une pratique artistique dans l’espace urbain  avec toutes ses notions et valeurs : rencontre, échange, modèle de socialité, esthétique relationnelle, esthétique de proximité… dans un pays  où l’on voit celle-ci avancer par des pas très modestes et très lents. Mais qui, grâce à l’initiative de Mehdi Ben CHEIKH avec tous les artistes qui viennent du monde entier récupère le temps perdu pour être à l’avant garde de cette forme artistique.

à regarder   https://www.youtube.com/watch?v=zjSmI7gcytk

 

 

 

Bibliographie

ARDENNE( Paul) , Un art contextuel. Paris, Flammarion, 2002.

BOURRIAUD,( Nicolas),  Esthétiques relationnelle, Paris, Les presse du réel, 2001.

FERRIER( J.L) ,L’aventure de l’art au vingtième siècle ,édition du chêne, Hachette.

http://www.djerbahood.com/category/bienvenue­a­djerbahood

Figures:https://www.google.tn/search?q=DJERBA+HOOD&rlz=1C1AVNE_enTN657TN657&espv=2&biw=1366&bih=667&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ved=0ahUKEwjBmIjr1ZXKAhUBCxoKHaB7BOEQsAQIJw#tbm=isch&q=DJERBAHOOD&imgrc=oGiXeQGi6PDfQM%3A

 

 

 

 
 
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