Notions d’hétérotopie dans l’œuvre de Pierre Huyghe

Résumé

L’article est une approximation aux travaux de Pierre Huyghe (« La Toison d’Or » (1993) et « Streamside Days Follies » (2003)) à partir du concept d’hétérotopie, forgé par Michel Foucault en 1967.

Le deux travaux ont comme axe commun une intervention performative de caractère « site spécifique » où l’artiste essaie de resignifier les lieux par rapport à des relations conceptuelles liées à sa propre histoire territoriale. 

 

Notions d’hétérotopie dans le travail de Pierre Huyghe

L’hétérotopie est définie comme un espace « hors tous les espaces », c’est-à-dire qu’ils sont des lieux réels, des lieux effectifs, des espaces qu’hébergent l’imaginaire.

Dans ce texte, nous trouverons une analyse du concept d’hétérotopie à partir du travail de Pierre Huyghe et notamment des œuvres « La Toison d’Or » (1993) et « Streamside Days Follies » (2003). Dans ces deux travaux, l’artiste utilise des concepts associés à chaque ville avec l’intention de dérouler une action qui créé une sorte de « deuxième » lieu.

L’Hétérotopie

L’Hétérotopie est un concept forgé par Michel Foucault dans une conférence intitulée « Des espaces Autres » (1967). Il vient de l’association du mot grecs : topos, « lieu », et hétéro, « autre » ou « diffèrent » : « Lieu Autre / Lieu Différent ».Les hétérotopies sont des sortes de contre-emplacements, des sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés. Ils sont des espèces des lieux qui sont hors de tous les lieux, bien qu’ils soient pourtant il effectivement localisables.Chez Foucault, le miroir est un clair exemple d’hétérotopie, car selon lui, « je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s’ouvre virtuellement derrière la surface… ». Il définit deux types d’hétérotopies. Nous pourrions considérer que l’une est l’évolution de l’autre : L’hétérotopie de crise et l’hétérotopie de déviation. Il détermine la première comme certains lieux (dans les sociétés « primitives “) privilèges ou sacrés, ou interdits, réservés aux individus qui se trouvent, par rapport à la société, et au milieu humain à l’intérieur duquel ils vivent, en état de crise. Par exemple, les femmes à l’époque des règles, les adolescents et le collège au XIX siècle, le service militaire, les femmes en couches, le « voyage de noces », les vieillards, etc.

Ensuite, comme une évolution de l’antérieur, nous avons les hétérotopies de déviation. Ce sont celles où l’on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée. Par exemple, les maisons de repos, les cliniques psychiatriques, les prisons et les maisons de retraite.

Cela où nous arrivons à comprendre la condition de l’hétérotopie en tant que lieux qui sont hors de tous les lieux, les «maisons closes et colonies, ce sont deux types extrêmes de l’hétérotopie, et si l’on songe, après tout, que le bateau, c’est un morceau flottant d’espace, un lieu sans lieu, qui vit par lui-même, qui- est fermé sur soi (…) Le navire, c’est l’hétérotopie par excellence. »

Pierre Huyghe, « La toison d’or », 1993.

«La toison d’Or » a pris la forme d’un évènement au jardin de l’Arquebuse à Dijon, réalisé par Pierre Huyghe en 1993. Il s’agissait d’une mise en représentation d’un imaginaire « artificiel », c’est-à-dire, une invention faite par des associations de concepts. Ici, l’artiste tisse des relations entre « La toison d’or » avec la ville de Dijon. En premier lieu, La Toison d’Or était un ordre médiéval dont les armoires représentent des têtes d’animaux. La ville de Dijon en a par la suite fait son blason. La toison d’or est également le nom d’un centre commercial et d’un parc d’attractions ( qui a fermé) à Dijon. L’action consistait en un événement où un groupe d’adolescents portants des têtes d’animaux, déambulaient autour dans un parc autour d’une aire de jeux et entraient en interactions avec les passants.

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La Toison d’Or, 1993 – Pierre Huyghe

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La Toison d’Or, 1993 – Pierre Huyghe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De cette manière, suite à la mise en association des certains concepts liés à la ville de Dijon, l’artiste réalise un geste tautologique à partir des « excuses thématiques ». Un concept se reconnaît dans un autre, en lui permettant de réaliser un récit, une sorte de fable contemporaine (comme l’artiste décrit) en tant qu’allégation inventée, même s’il ne tire pas de moralité.

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La Toison d’Or, 1993 – Pierre Huyghe

 

 

 

 

 

 

Pierre Huyghe « Streamside Day Follies », 2003.

« Streamside Day Follies » est un événement que s’est déroulé le 11 octobre 2003, dans le village de Streamside Knolls aux États Unis. Cet événement a été enregistré en vidéo et ensuite exposé dans une installation. Si bien que nous pouvions parler de cette œuvre comme d’un art vidéo ou comme d’une installation, c’est depuis le début un événement qui se réalise dans un contexte particulier. Pour cette raison, nous allons nous concentrer sur l’action sans nous arrêter sur la multiplicité de possibilités postérieures que l’artiste a choisies pour son exposition).

« Streamside Days Follies » est néé à partir d’une invitation réalisée par l’artiste de la partie du DIA art fundation à New York. Là-bas, un peu par hasard, il est tombe sur un village en construction : Streamside Knolls, situé dans la Hudson Valle. Il s’est alors intéressé au style « prêt-à-porter » de ces maisons préfabriquées semblables, dont le style artificiel était proche du « Celebration Town » à Florida, comme un symbole du premier communiâtes utopiques d’Amérique. Suite à cette première expérience, Il est tombé sur la publicité du lieu : « Step Out and take a deep breath, smell the clean, crisp air. Feel the crackle of leaves and twigs under your feet. This is the quintessential country living at its finest ». La prémisse de la publicité de Steamside Knolls était un renouvellement d’un regard utopique.

Ensuite, il fait un deuxième relation : la Hudson valle était le même vallée quina accueilli l’école de peinture de l’Hudson pendant le XIX siècle, école influencée par le romanticisme et la philosophie du sublime. Ils croyaient que la nature était une manifestation de la bonté divine et ils comparaient le paysage américain avec le paradis terrestre.

De cette manière, tant le slogan publicitaire que le style des maisons comme la relation du lieu avec l’école de l’Hudson lui parlent d’un rapport avec l’utopie.

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The Rocky Mountains, Lander’s Peak, 1863 Albert Bierstadt

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Streamside Day Follies, 2003 – Pierre Huyghe

Dans « Streamside Day Follies », Pierre Huyghe réalise un exercice similaire au celui qu’on trouve à « La toison d’Or », car suite à une reconnaissance de concepts associés au

lieu (en termes d’histoire par exemple) il déroule un récit fictionnel. C’est à partir de la multiplicité des associations qu’il cherche à re-signifier le lieu en question.

Streamside Knoll était une ville en construction et Huyghe se sert de cette possibilité pour la création d’une « tradition », car la ville ce trouve dans son « année 01 » : « We are in year 01, at the beggining of a story in which yo are already a part of » peut-on lire dans le texte d’aperture. Cette tradition consistait en un festival communautaire réalisé par les nouveaux habitants de ce village en construction, et comment dans « La toison d’Or », il y avait une invitation à se déguiser et déambuler autour d’une aire de jeux.

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Streamside Day Follies, 2003 – Pierre Huyghe

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Streamside Day Follies, 2003 – Pierre Huyghe

 

De cette façon, « Steamside Day Follies » est la construction d’un récit, qui met en place l’idéal iconographique pastoral de l’école de Hudson river avec les rêves d’une ville qui se montre comme « idéale » dans une action que met à jour une sorte d’utopie qui revitalise l’espoir du paradis perdu.

Comme nous l’avons expliqué, dans ces deux travaux, Huyghe utilise la même stratégie. L’intervention vient à partir de la reconnaissance de concepts associés à chaque lieu (ville) et à partir de cette information, il crée un événement spécifique (qui de ma perspective) change la perception que nous avons de ce lieu. Pendant que se déroule l’action « La toison d’or » le parc devient la scène où nous regardons sa propre histoire à partir de ses symboles. Même si je crois que le deuxième travail est meilleur et plus abouti que le premier, je le mets en considération, car il nous permet de revenir sur l’idée de la création d’une sorte de « deuxième » lieu. Un lieu hétérotopique, un lieu réel, effectif, mais qui sortent de tous les lieux, car ils hébergent l’imaginaire. Pendant l’action, la ville Streamside Knoll n’est plus elle même, mais une utopie factuelle et le geste de Pierre Huyghe, c’est-à-dire, la création de toute une « cosmologie locale », nous permet (en tant que spectateur conscient des associations) de la valoriser comme tel. L’hétérotopie existe dans le travail de Pierre Huyghe à partir du moment où l’on se met d’accord sur le fait que pendant l’action nous ne sommes plus dans le « là-bas quotidien  » mais dans un « là-bas différent ». Pendant le festival, Streamside knolls n’est plus une banlieue new-yorkaise, mais un symbole tautologique de la sa propre histoire.

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Streamside Day Follies, 2003 – Pierre Huyghe

 

Bibliographie

FOUCAULT, Michel. Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.  (FICHIER PDF – http://desteceres.com/heterotopias.pdf )

BARIKIN, Amelia. Parallel presents : the art of Pierre Huyghe. The MIT Press, Boston. 2012.

CHRISTOV-BAKARGIEV, Carolyn. Pierre Huyghe: Float (Catalogue). Skira. Rivoli, 2004.

ART21 ( Interview avec Pierre Huyghe)  http://www.art21.org/texts/pierre-huyghe/interview-pierre-huyghe-streamside-day

HUYGHE, Pierre. Catalogue Rétrospective Centre Pompidou. Paris. 2013

HUYGHE, Pierre, “Celebration Park” Catalogue musée s’art moderne de la ville de Paris/ARC 2006

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