(je)u dans la ville, l’anti-monument mobile

Dispositif d'Articulation, 2011

Ce travail s’est progressivement constitué comme une recherche théorique et d’expérimentation pratique et suite à ce projet réalisé en  Licence 3. Le Dispositif d’Articulation représente, par l’agencement d’éléments à l’intérieur et autour d’une toile, une peinture dite In Situ, produite pour un site spécifique, même s’il n’est pas public. Pour ce cours, je cherche à connaître et reconnaître les caractéristiques de l’espace urbain et les enjeux pour articuler de façon originale un projet artistique dans ce contexte non artistique, mais de mixité sociale et d’échanges multiples et complexes.

Paysages Intérieurs, entre couleur et mouvement, 2009

Dans ma pratique de peinture abstraite, la surface du papier résonne, par le moyen de la couleur, un paysage intérieur parcouru en toute liberté. Les formes courbes représentent une nécessité de mouvement. Étant donné que la notion d’espace en peinture abstraite n’existe pas, elle est plate par définition, j’ai été confrontée à la notion de volume. Les moyens plastiques utilisés dans le dispositif concernent plutôt le domaine de la sculpture.

         Dans les cours introductoires, nous avons appris à travers quelques exemples, que le projet consisterait à réaliser un anti-monument du monument type qui est l’obélisque. Je me suis posée beaucoup de questions pour essayer d’intervenir dans un lieu qui n’est plus celui de la toile. J’ai décidé alors, de réaliser un projet éphémère, sachant qu’il existe une esthétique mais aussi une éthique des matériaux, pour ne pas nuire à l’environnement. La photographie a joué un rôle important comme support pour en garder la trace.

         Pour évoquer la liberté ressentie lors que je réalise mes peintures, je voudrais transformer l’espace urbain dans un terrain de jeu, où l’œuvre fait interagir les passants. Ainsi, j’ai commencé à réfléchir à une structure gonflable pour évoquer la mobilité. Elle deviendrait un objet autonome dans des lieux de circulation, pour que les passants l’explorent, s’en servent, en créant sa trajectoire. Les deux artistes qui m’inspirent le plus sont Anish Kapoor, dont l’œuvre est capable de toucher au sublime par ses formes organiques et monumentales et inversement Slinkachu, par son intervention dans les rues avec des micropièces qui créent une sorte de fiction avec un côté humoristique.

        Paris est une ville de flâneurs et ouverte aux pratiques artistiques et cette particularité permet de vérifier plus facilement l’accueil d’une œuvre par le publique. Dans les grandes villes en général, je suis toujours étonnée par l’échelle des immeubles, la vitesse des moyens de transport, le mouvement des foules et tous les bruits auxquels nous y sommes exposés. J’ai décidé d’explorer les lieux de passage et vérifier le comportement des passants, toujours pressés dans leurs itinéraires.

        Pour le projet de l’espace urbain en tant que terrain de jeu, le quartier de la Défense était celui envisagé. Il s’agit d’un quartier d’affaires, où les passants vivent une routine de travail qui les oblige à avoir une posture compétitive. En plus, c’est un lieu d’expérimentation pour les dites Villes Nouvelles, où l’architecture est liée aux notions de progrès et vitesse et quelques œuvres d’art présentes viennent souligner l’importance de la conservation de la nature et son rapport à l’homme.

         Par le fait d’être étrangère à Paris et éprouver un certain dépaysement, je me suis lancée avec hésitation et aussi beaucoup de curiosité à fin de connaître un nouveau champ artistique. Je me suis créée une sorte de fiction en explorant la ville avec une certaine nostalgie de l’enfance. Les jeux de sociétés qui nous préparent pour les responsabilités de la vie adulte sont remplacés par un mode de vie de compétition et routine. Dans ce (je)u dans la vie, je cherche encore un moyen de stimuler à la convivialité des multiples singularités qui circulent et s’y croisent.

         En réutilisant des éléments du dispositif et  les agençant selon les lieux, j’ai voulu exprimer ce sentiment de recherche d’identité en tant qu’étrangère. Cela va de paire avec l’intervention de certains artistes du Street Art dont on ne connaît pas l’identité et jouent avec les interdits pour exposer leurs travaux. J’ai réalisé ces prises à la Butte Montmartre, la nuit et été abordé par quelques personnes qui me demandaient ce que j’étais en train de faire. C’est peut-être par le fait d’être un quartier populaire que les gens se sont plus facilement dirigés vers moi et de façon très amicale.

          Le lendemain, je me suis placée dans le métro pour réaliser une sorte de voyage immobile à travers ces petites pièces en m’interrogeant sur l’itinéraire des passants. Par la spécificité de cet espace souterrain, où circulent des métros dans les deux sens et le voyageurs attendent et partent toute la journée, j’ai réalisé une mise en scène en jouant de l’illusion d’optique, pour que les pièces soient à son échelle. En raison du flux de voyageurs, les prises ont été réalisées vers midi, sur la ligne 2, entre Place de Clichy et Monceau.

        Ayant acquis une certaine maîtrise de ce dispositif, je suis retournée dans le quartier de la Défense, en cherchant à mettre en relief certaines situations et éléments architecturaux. C’était une tentative de me les approprier, en les révélant à une nouvelle échelle face à l’objectif.

 

          Ensuite, j’ai réalisé des prises au métro Saint-Michel, sur la ligne du RER C, tout au long du boulevard Saint-Michel et au Centre Georges Pompidou. Tenant ces petites pièces face à l’objectif, les passants me regardaient d’un air interrogatif. Je gardais la trace du lieu qui s’est révélé autrement sur le support photographique, par l’inclusion d’un nouvel élément. Ce dispositif est devenu une sorte d’anti-monument mobile, conducteur d’expérience.

Conclusion:

La lecture d’un dispositif varie selon les lieux et celui-ci a permis mon déplacement à travers la ville, en s’y intégrant et de façon à dissoudre l’entre-deux initial du projet entre peinture et sculpture qui caractérise le passage de l’image au volume. Pour conclure cette étape, j’ai trouvé un fil rouge en me promenant au bord de la Seine avec lequel j’ai réalisé des nouvelles prises le jour et la nuit. La Seine est un lieu de circulation fluviale et dont l’architecture des ponts permet aux citadins et aux voitures de franchir les deux marges. Cet anti-monument mobile devenu informe, marque et colorie l’espace par des lignes et semble y flotter. Ensuite, je me suis placée au dernier étage du Centre Georges Pompidou et ai utilisé ce même dispositif en jouant avec l’échelle, privilégié par l’altitude. Quelques visitants se sont arrêtés pour m’observer mais sans me poser de questions, étant peut-être dans la compréhension qu’il s’agissait d’une réalisation artistique.

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8 réponses à “(je)u dans la ville, l’anti-monument mobile”

  1. nadaryan tatevik Says:

    Je trouve que certaines de tes images sont surréalistes.

  2. nadaryan tatevik Says:

    c’est bien)

  3. patricia xavier Says:

    Merci Nadaryan!

  4. sandy Says:

    Le problème de dégradation des espaces urbain et de la peinture, l’un envers l’autre, est une question importante de nos jours pour la conservation des deux éléments. Proposer une installation de sculpture et la photographier peut être une alternative aux expressions artistiques dans les lieux publics. Mais que penses tu faire de ces clichés?
    La notion d’illusion d’optique est appréciable dans quelque photographie, notamment celle à la Défense, où un fil de couleur domine un fond flou. Cette illusion me semble plausible car en effet le quartier de la Défense est remplie de sculptures d’artistes ou de performances tant il est un lieu de passage pour travailleurs et promeneurs (l’un des plus gros centre commerciale de Paris), l’imaginaire opère donc comme si cette sculpture existait réellement à l’échelle proposé sur la photo.
    Malgré des notions que je ne comprend pas trop: « dispositif d’articulation » ou « anti monument », je remarque une évolution de ton travail et espère voir la suite …

  5. TostaCintia Says:

    Bonjour Patricia, j’aimerais savoir comment faire « interagir les passants » dans l’espace urbain en tant que terrain de jeu à partir de ta proposition d’anti-monument mobile ? As-tu pensé à une suite pour ton projet ?

  6. martina margini Says:

    Je trouve intéressante l’idée de jouer avec l’échelle de l’espace urbain à travers un objectif photographique. Je pense que tu pourras bien développer la question de l’interaction avec les passants dans la rue et la mélanger à ta pratique d’art abstraite non-traditionnelle (qui sort de l’espace académique de l’art, la toile). Avoir la possibilité de découvrir ces oeuvres dans des lieux atypiques pourrait générer des réactions différentes dans les passants.

  7. eucharis Says:

    en effet on peut voir une évolution dans ton texte et ton travail mais je pense qu’il faudrait réfléchir a comment montrer ses clichés photographiques dans l’espace public.

  8. Patricia Xavier Says:

    Sandy, Cintia, Martina et Eucharis, merci beaucoup pour vos commentaires! Ils m’aideront à avancer ma recherche et peut-être envisager l’exposition des clichés. :)
    Au début, je cherchais surtout à comprendre l’importance de la couleur dans l’espace urbain. J’avais commencé un projet en licence au sujet de la peinture dite In Situ, d’où ce « Dispositif d’Articulation ». Il est une représentation de cette sortie de la peinture hors du cadre et le passage entre ses deux espaces, intérieur et extérieur. Il y a beaucoup d’études sur l’importance de la couleur comme un outil indispensable pour l’aménagement urbain. C’est d’abord une question culturelle. Mais pour conclure ce projet dans un premier moment, surtout en raison des moyens plastiques à développer et les problématiques liées à d’autres domaines comme la sculpture et la performance, j’ai trouvé que l’idée de photographier ces pièces dans l’espace urbain pourrait transmettre l’idée de mémoire liée aux monuments à une autre échelle.

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