-- Projets artistiques pour l'espace public I » catherine jacquot

Métro d’arabesques

Article publié le : Dimanche 8 janvier 2012. Rédigé par : jacquotcatherine

Ce qui m’a intéressé dans ce projet c’est de refaire le trajet quotidien entre mon chez-moi et la bouche du métro, avec l’idée de mettre en valeur cet espace où interagissent des dizaines de personnes. Je voulais voir si, en changeant leur perception d’un espace commun elles pouvaient reconsidérer ce qui d’ordinaire elles croyaient sans importance. Dans un premier temps, mon choix s’est porté sur un lieu de passage assez fréquenté dans une rue marchande près de mon appartement, qui s’appelle le Passage des Abbesses, situé dans le 18e arrondissement de Paris. Cependant, après avoir essayé de penser à un projet réalisable autour de ce lieu, j’ai constaté la difficulté du projet, et ai donc choisi de me concentrer sur un autre lieu de passage, un couloir de sortie de l’arrêt de métro Abbesses.

La fonction d’un lieu de passage étant d’ouvrir un accès entre deux directions, bloquer ou modifier cet accès revient donc à changer la perception de cet espace de transition. Dans le cas du Passage des Abbesses, il aurait été question de bloquer ce passage au sens propre du terme, tandis que pour le projet du métro Abbesses, il s’agit de changer l’espace sans modifier son architecture, car c’est la perception de cet espace par les usagers qui m’intéresse ici. En effet, en travaillant les lumières, il est possible de susciter la curiosité des passants, puisqu’on modifie une partie de son trajet. Par exemple, l’artiste espagnol José Manuel Ballester se plaît à travailler avec ce genre d’espaces en faisant ressortir les effets lumineux. De cette manière, il cherche à déshumaniser des non-lieux et des lieux de passages pour provoquer un certain étonnement de la part des spectateurs, étant donné qu’il porte son intérêt sur l’absence de vie que dégagent ces espaces.


Cet intérêt pour ces lieux sans histoires, et donc impersonnels, peut s’expliquer en partie grâce à l’explication que nous donne Marc Augé dans son livre Non lieux. Introduction à une anthropologie de la sur modernité[1], où il écrit que c’est notre société moderne qui est « productrice de non-lieux ». J’ai donc cherché à saisir le sens de cette définition pour mener mon projet à bien et ai compris que la société actuelle nous pousse toujours à aller plus vite, à toucher un but précis, sans se préoccuper de nous inciter à regarder d’une autre façon l’espace qui nous entoure. Et c’est justement cette vision unique que j’ai tenté de détourner en montrant aux passants que si on les force à s’attarder sur un peu plus sur ce qui les entoure, peut-être que ça leur donnerait une autre approche de l’espace qu’ils partagent avec d’autres individus. Ce qui rejoint l’idée que les non-lieux ou lieux de passages sont impersonnels, puisqu’ils n’appartiennent à personne et à tout le monde à la fois.

Pour résumer, ma démarche dans ce projet consiste à essayer de surprendre les utilisateurs de l’arrêt de métro Abbesses, afin qu’ils puissent s’attarder un peu plus sur un espace qu’ils ont l’habitude de fréquenter, et par lequel ils sont obligés de passer pour se rendre à leur point d’arrivée. Je veux tenter de leur faire prendre conscience que même des endroits aussi banals et ordinaires qu’un couloir de métro peuvent acquérir une autre fonction que celle de servir à ouvrir un passage entre un point de départ et un point d’arrivée.

Pour parvenir à mettre en pratique cette idée d’embellir un espace qui a la caractéristique d’être fonctionnel, j’ai découpé dans du papier noir épais des arabesques qui ont la dimension des lumières rectangulaires du couloir. Je voulais rompre avec la linéarité et la régularité des carreaux blancs des murs pour mieux faire ressortir ce qui m’a attiré dans ce lieu : les rectangles lumineux.

Dans un premier temps, j’ai d’abord essayé de les mettre dans le couloir arrondi, mais la lumière ne se modifiait pas vraiment, même si mes arabesques étaient bien mises en évidence. Puis je les ai disposé au niveau des marches puisque les ombres des gens arrivaient à se projeter de façon plus ostentatoire, de plus ici aussi, mes arabesques se voyaient très bien, car elles se trouvaient dans la ligne de mire des passants, puisque les lumières sur lesquelles elles étaient collées se trouvent au pied des escaliers.

Evidemment, auparavant j’ai fait du repérage sur le lieu afin de savoir comment modifier la perception de l’espace par les passants. J’aurai pu choisir des lumières plus vives, mais elles étaient difficiles d’accès, car trop hautes ou trop proches des surveillants de la RATP qui se trouvaient dans la station. En effet, un des avantages de ce couloir et de cette station, réside dans le fait qu’il est à l’abri des regards des travailleurs de la RATP. A part une caméra suspendue à l’entrée des escaliers, le couloir empêche un accès direct au « hall d’entrée ». Et c’est aussi cela qui m’a attiré puisque j’ai pu agir à ma guise sans être dérangée par un représentant du métro parisien. Néanmoins, lorsque je suis descendue dans ce hall pour voir comment rendaient mes arabesques lorsqu’on montait les premiers escaliers, quatre hommes de la RATP nous regardaient (une amie qui m’aidait et moi) de façon assez insistante, comme s’ils se demandaient ce que nous avions l’intention de faire avec mon appareil photo et mes arabesques collées au mur. Heureusement, il s’avère qu’au final, ils nous ont laissé agir comme nous le voulions.

 

Mis à part cela, je n’ai pas rencontré de problème de la part des passants, personne ne s’est amusé à décrocher mes arabesques, ou à en arracher une partie. Au contraire, la majorité des passants regardaient ce que j’étais en train de faire. Personne ne m’a posé de question non plus, mais je sentais qu’ils étaient intrigués pendant que je posais mes arabesques. Un homme s’est même arrêté à la descente des escaliers pour observer durant quelques secondes comment je m’y prenais.

Par contre, une fois que j’ai eu fini de les poser, les gens faisaient moins attention, ils continuaient leur chemin sans vraiment prêter attention à la modification que j’avais apporté, ou alors ils faisaient des petits commentaires lorsqu’ils étaient accompagnés. Cependant, jamais ils ne m’ont adressé la parole pour savoir en quoi consistait mon intervention, alors que je me tenais debout avec mon appareil photo, proche des lumières afin d’observer leurs réactions.

 Au final, les personnes qui se sont attardés sur mes arabesques m’ont paru aimé ce petit changement car je les entendais dire qu’ils trouvaient ça « mignon » ou « joli » ou « sympa ». J’ai pu toucher toutes les catégories d’âges car ces remarques venaient de la part de personnes âgées comme de jeunes adolescents. De plus, de temps en temps, lorsque les gens voyaient que j’attendais avec mon appareil photo, ils devaient se douter que j’étais l’auteure du projet car ils me souriaient, mais comme je l’ai précisé précédemment, personne n’a essayé de me parler.

Pour conclure, je suis assez contente que les gens aient remarqué mes arabesques, et qu’en général il y ait eu des retours, et plutôt de bons retours au vu des remarques et de la variété de gens qui les ont prononcé. Néanmoins, je trouve dommage que les arabesques n’ait pas vraiment modifié les lumières, car l’intensité lumineuse ne devaient pas être assez forte, et les lumières ne devaient pas être dirigées dans la bonne direction pour projeter les ombres créer par les arabesques. Prenant en compte cette constatation, il serait peut-être intéressant de remplacer les arabesques par des rectangles de papiers transparents et colorés pour ainsi modifier la perception de l’espace. Peut-être qu’avec le mélange des couleurs projetées, mon intervention serait plus ostentatoire, et susciterait d’autres réactions chez les passants.


[1] Non lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Marc Augé, 1992, SEUIL