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Projet « Insolitus nidus : vis fragilis » ou Insolite nid : force fragile

Article publié le : Mardi 3 janvier 2012. Rédigé par : TostaCintia

Le projet

Le projet  « Insolitus nidus : vis fragilis » est une série d’installations éphémères placée dans les espaces publics. Ces espaces publics synonymes de  « espaces libres », « lieux publics » ou encore  « lieux urbains » sont , selon Thierry Paquot, des espaces vus comme lieux, pratiques et endroits accessibles aux publics. Ces espaces facilitent la communication, le partage, les échanges et la circulation de signes au quotidien.

Le titre du projet fait allusion au latin, langue « morte » mais source pour plusieurs langues vivantes dans le monde. Le nid d’oiseau en tant que construction naturelle au sein d’une grande ville avec de grands édifices historiques et de grands immeubles peut être considéré comme le latin, une langue dite « morte ». Sémantiquement, le terme « nid » porte en lui une simplicité structurelle concise. Un tout significatif est transmis en trois lettres : « n » , « i », « d ». La matérialisation de ce mot de trois lettres est faite à partir d’une base des matériaux naturels ( boue, branche d’arbres, feuilles, poils, etc). Après sa fabrication soigneuse, le nid se transforme en habitat naturel. Ce lieu qui perpétue les espèces d’oiseaux cohabite, dans les zones urbaines, avec les constructions faites par les êtres humains.

 

Le concept

L’idée du projet est celle de donner visibilité à la fragilité de la vie représentée naturelle dans les grands centres urbains. Le nid d’oiseau symbolisant premièrement, la fragilité d’une construction naturelle faite à petite échelle en comparaison aux immeubles et constructions urbaines et citadines. Il symbolise ensuite la résistance fragile, persévérante des oiseaux, de la Nature. Enfin, le nid symbolise dans ce projet la vie humaine dans son état fragilisé par divers types des pollutions invisibles dans la Ville (sonore, olfactive, visuelle, relationnelle). Dans la Nature et dans les grandes villes , le nid est un habitat qui permet le projet de futures vies d’oiseaux. Enfin, ce projet cherche à mettre en lumière deux qualités de cette construction.
D’un côté, la représentation visuelle d’une fragilité apparente à travers des matériaux employés : boue, paille, feuilles, brindilles, etc. De l’autre, la représentation de la force, c’est-à-dire, de la résistance et de la continuité de la vie au fil des temps.

Pour l’artiste Nils-Udo qui travaille depuis 1972 sur cette thématique dans le  paysage urbain, mais surtout dans les espaces naturels, le nid «  est à la fois une représentation anthropologique, un modèle biologique, un habitat, un symbole psychique et une allégorie sociale. ». Il signale , lors du montage de son œuvre  » Le Nid » (1978), ses sensations par le contact direct avec les matériaux naturels :  l’odeur de la terre, les pierres, les bois abattu, la tombée de la journée, le froid de la nuit, le chant des oiseaux, le souffle du vent…

L’objectif

L’objectif du projet est de sensibiliser les passants pressés et oppressés vivant dans les grandes villes à la question de la Nature. Pour cette expérience artistique, une installation composée par un nid d’oiseau est placée dans un lieu public urbain : sur le boulevard Saint Marcel dans le 13ème arrondissement de Paris. Les lieux publics sont aménagés pour un « confort collectif » et répondent  à un projet politique d’urbanisme établi par la municipalité. L’urbanisme selon Thierry Paquot contribue  à favoriser le bien-être et l’épanouissement public au quotidien pour les habitants des centres urbains. Pour cela, des éléments sont introduits dans le paysage urbain, tels que : arrêts de bus, éclairages publiques, cabines de téléphone, adressage, panneaux de signalisation routière, bancs publics,  jardinets, grille de protection de pour les jeunes arbres, etc, et plus récemment, les bornes de velib et autolib. La municipalité parisienne règlemente le fonctionnement de ces voies publiques, trottoirs et chaussées, sont la cible des travaux récurrents. La ville devient donc un chantier ouvert et la place à la Nature est réduite aux « espaces verts ».

Dans sa définition de « Ville générique », Rem Koolhaas parle d’un réel contrôle de la propreté de la ville et de la politique moralisante de bonnes intentions  pour intensifier cette propreté. Dans le cas de Paris, c’est intéressant de lire le message des « bonnes intentions » adressé aux Parisiens sur le site officiel de la Ville « Les Parisiens, on les comprend, tiennent fort à leurs jardins. Oasis de nature à portée de la main ou square pour promenade ou gym douce, à portée de poumons, clairières pour les enfants, […], la capitale pour offrir du week-end « au vert » à leur souverain : le citoyen urbain. »

Ainsi, les « espaces verts » (jardins, squares, jardinets, arbres) dévoilent en réalité l’intérêt très réduit de la politique environnementale locale concernant la Nature. La Nature est réduite aux arbres. Dans la Ville, ils sont arrachés, placés, classés, numérotés, coupés, encerclés, girlandisés (les arbres deviennent support pour la décoration publique lors des fêtes de fin d’année), arrosés, chosifiés ( l’arbre est manipulé par les machines de la même façon que  les bacs à poubelles ou les containers à recycler le verre). Pour autant, dans ces conditions, les arbres sont encore des abris pour certains oiseaux tout au long de l’année. Cette action de résistance redonne le statut naturel propre à l’arbre.  

C’est dans ce contexte que l’installation d’un nid d’oiseau au long d’un boulevard devient le moyen le plus marquant pour éveiller les parisiennes et parisiens à la question de la Nature et à symboliser son  évidente absence dans la capitale française. Dans le contexte urbain, le nid d’oiseau devient une construction naturelle invisible, fragile. Par cette fragilité, il devient insolite lorsque placé dans l’espace public fabriqué et aménagé par des matériaux non-organique (bitume, plaques d’aluminium peintes, fer, verre, plastique, etc).

Le nid d’oiseau ainsi installé gagne en force symbolique. En faisant confiance à son interpellation discrète et à son impacte visuel concis auprès des passants du boulevard Saint Marcel (Paris 13ème) la fragilité devient une force. Il donne place à une projection de l’intime de l’être humain dans une vision ou rêverie plus universelle, comme le rappelle Gaston Bachelard « Si l’on approfondit un peu les rêveries où nous sommes devant un nid, on ne tarde pas à se heurter à une sorte de paradoxe de la sensibilité. Le nid – nous le comprenons tout de suite – est précaire et cependant il déclenche en nous une rêverie de la sécurité ».

Dans cette optique, le projet « Insolitus nidus : vis fragilis » cherche des regards curieux et ravis de s’émerveiller par les signes de la Nature dans la ville, ces traits éphémères qui nous traduisent l’universel de la vie. Une toute simple contemplation peut transporter les passants d’un boulevard parisien d’une sphère intime à une sphère cosmique, idée soutenue par les pensées de Gaston Bachelard : « Ainsi en  contemplant le nid, nous sommes à l’origine d’une confiance au monde, nous recevons une amorce de confiance, un appel à la confiance cosmique … ».

L’expérience et ses trois phases
(terrain , création et mise en place)

Au tout début, je me suis promenée dans les rues, boulevards, parcs à Paris et dans ses alentours  à la recherche des nids d’oiseau sur les arbres et des lieux publics. Cette recherche a été accompagné par des esquisses, notes, prises de vues numériques.  J’ai discuté avec des agents municipaux dans les parcs concernant la migration des oiseaux et les différents types nids.

J’ai collecté des matériaux naturels dans l’idée de fabriquer un nid (feuilles, brindilles, …). Ensuite, j’ai trouvé deux nids : un petit composé de différents matériaux et le second, plus grand, fait seulement des brindilles sèches et de taille régulières, un nid de corneille noire. J’ai restauré le petit nid (collé et cousu ) et le deuxième a été ficelé avec des fils de nylon – restauration faite en écoutant les 80 titres du cd « Oiseaux de Paris ».
J’ai écrit aussi le « Manifeste du nid en ville » (à déclamer avec une émotion de nid neuf et triomphant !
Et à écouter les yeux fermés !).

Sur le boulevard Saint Marcel, j’ai repéré des endroits propices à l’installation du nid de corneille noire : jardinets, grille protectrices des jeunes arbres, poubelles, murs, velib, arrêt de bus, cabine de téléphone public, la signalisation routière – panneaux, marquage au sol et des feux, panneaux publicitaires, etc. J’ai choisi le plus grand nid par sa plasticité et impact visuel. 

Pour l’étape de mise en place du projet, je me suis déplacée avec le nid d’oiseau et je l’ai placé sur  les éléments d’aménagement d’urbanisme du boulevard Saint Marcel pendant trois heures et demie. Les éléments de base pour l’installation du nid d’oiseau sont : panier d’un velib placé dans une borne, banc public proche d’un arrêt de bus,  plan des bus de la RATP d’un arrêt de bus, cabine téléphonique, feux de circulation, container à verre, panneaux de signalisation de la circulation sur le boulevard, boîte aux lettres, poubelle, cendrier.

 

 

Conclusion

C’était une belle expérience artistique ! Placer un nid et voir ou écouter les réactions de passants. L’indifférence aussi a fait partie des réactions. Placé sur le panier du velib ou la cabine téléphonique, le nid n’était pas trop remarqué. Placé sur le plan des bus d’un arrêt, il était étonnement ignoré par des adolescent qui discutaient et écrivent des sms. Placé sur un banc public, le nid a été visité et vu par des passants curieux, par un couple de gens âgés qui attendait le bus, par une dame qui m’a parlé lors du déplacement du nid « Qu’est-ce que c’est ? … c’est insolite … ». D’autres regards curieux ont conduits des passants à remarquer le nid placé entre les quatre voies du boulevard Saint Marcel : des passants se sont retournés, des sourires des conducteurs de voiture, des enfants qui ont fait retraverser la rue à leurs parents et s’exclamer « C’est un nid ? Oui, c’est un nid d’oiseau parce qu’il y a des plumes … ». D’autres passants ont dit : « Il est où, l’oiseau , » ; « le nid, c’est trop bas … » ; « Qu’est-ce que c’est ce nid ? » «  C’est un nid ? »

Pour moi, cette expérience artistique ponctuelle de 3 h 30 dans un lieu public est révélatrice d’une possible sensibilisation des habitants d’une ville à la question de la place de la Nature, mais à long terme et avec la répétition des interventions. L’interactivité minimaliste avec les passants, curieux ou indifférents, est une satisfaction. La question centrale de trouver la qualité « force » dans un élément « fragile » a été en premier temps pour moi, une source d’hésitation. Cette hésitation a été doucement enlevée par mes promenades et l’observation philosophique des nids qui disparaissent et d’autres qui commencent à se former avec l’arrivée de l’hiver. Ma confiance a retrouvé sa voix et le projet a gagné du sens avec mes lectures autour de Gaston Bachelard et du travail de Nils-Udo. L’écriture d ’un manifeste était inspiré par mes lectures et visites à des expositions : le manifeste « Haut Rio Negro » (1978) de Pierre Restany , le travail du sculpteur Frans Kracjcberg, l’engagement  écologique de l’artiste Hundertwasser, le travail artistico-philosophique de Giuseppe Penone et les réflexions de Rem Koolhaas dans son livre Junkspace – Repenser radicalement l’espace urbain, principalement le chapitre consacré à son concept de « Ville générique ». Dans ce chapitre, Rem Koolhaas analyse les actuelles modifications des grandes villes l’ère de la mondialisation : vont-elles vers un vrai chaos urbain ?

 
Repères bibliographiques et sonores … et autres images du projet

-livres :
G. BACHELARD, La poétique de l’espace, coll. Quadrige, PUF, 1998, Paris (p. 92 -  104)
D. BURNIE, Le nid, l’œuf, l’oiseau,  Gallimard , 1999, Paris
J. KASTNER , B . WALLIS, Land art et art environnemental, Phaidon, 2004 , Paris
E. KAUFHOLZ-MESSMER, W. SCMIED, Hundertwasser – Pour une architecture plus
proche de la nature et de l’homme
 ,  Taschen, 1997, Paris
R. KOOLHAAS, Junkspace – Repenser radicalement l’espace urbain, Payot et Rivages, 2001, Paris (p. 31 – 77)
S. LEMOINE, S. OUARDI, Artivisme : Art, action politique et résistance culturelle, Alternatives, 2010, Paris
T. PAQUOT, L’espace public, coll. Repères, La Découverte, 2009, Paris (p.3 – 17 ; 68 – 111)
G. PENONE, Respirer l’ombre, ENSBA, 2004, Paris
G. PEREC, Espèces d’espaces, Galilée, 2000, Paris
- catalogues :
KRAJCBERG , Index e Libris, 1992, Rio de Janeiro
NILS UDO, Le Cercle d’Art, 2003, Paris
- cds  :
P. LAMBRET, Trois atmosphères australes : oiseaux et mammifères de Kerguelen, 2007, Institut Paul Émile Victor
J. C. ROCHE, J. CHEVEREAU, Oiseaux de Paris, Nocturne, 2008 

 

         Images de l’installation
(
nid in sittu … in banc public … in cabine téléphonique … in plan de bus … )

                                                                                                Installation in banc public                                                              
                                                                 
    

                                                                   Installation in cabine téléphonique                         Installation in plan de bus
                                                           

                                                                                       Installation in signalétique pour piétons

                                                                                             

                                                         Installation in container à verre           Installation in feux de circulation

                                                            

                                                                                            Installation in panneaux de signalisation

                                                          
Installation in poubelle

                                                                               
Installation in boîte aux lettres

                                                                                

Installation in cendrier