Activation de l’espace public comme stratégie artistique

Résumé :

L’espace public a connu plusieurs mutations, se construisant par phases, et aujourd’hui encore sa notion est en constante transformation. Depuis les grecs, l’espace public est symbole de la démocratie dans la cité, avec ses règles qui instauraient la sécurité des citoyens hors de leurs foyers. Au moyen-âge, la notion d’espace public est d’un point de vu général en « crise » : des invasions jusqu’aux pillages, la cité se fragmente en petites communautés et les espaces publics, ouverts à tous, se font de plus en plus rares. A partir de la renaissance, et le retour de l’homme en ville, la notion de l’espace public se développe dans les cadres physiques et puis symboliques en gagnant des terrains d’étude plus approfondis vers les années 50-60.

Aujourd’hui l’espace public est un vecteur important de la société et les artistes sont un des acteurs qui vont se tourner vers ces lieux pour les activer et les rendre plus « vivables ». Des les années soixante nous pouvons constater, que le concept même d’espace public se détache des institutions, des musées et des centres d’art. L’artiste sort de ces lieux encadrés par des règles, traditions et valeurs pour aller vers l’espace public où il n’y a pas de sélection des publics et où il est en confrontation directe avec le réel, sans exclusivités. Ce départ des artistes en dehors des institutions, va donner suite à une ouverture d’une reformulation de l’idée même de l’œuvre d’art.

Le modèle classique d’un objet-œuvre (vendable, décorable ou collectionnable) va être « abandonné » par un nouvel élan : Les Happenings de Allan Kaprow et John Cage marquent déjà que l’« objet final » est oublié, et que le processus de création de l’oeuvre et l’immédiateté de l’acte artistique sont mis en avant. Dans cette même perspective l’approche directe que l’artiste a avec le public, via des lieux de passages et de rassemblements, vient interroger, au sein du processus lui même, la place qu’aura le public dans la conception de l’œuvre. Cette approche va changer le statut de l’artiste comme « maitre créateur » pour un statut d’acteur/catalyseur.

Il nous a donc paru intéressant d’étudier les enjeux de l’activation d’espaces publics dans les stratégies artistiques. Pour faire nous analyserons les stratégies utilisées par les artistes afin d’activer l’espace public. Cette analyse portera donc en premier lieu sur l’espace public et ses évolutions au regard des artistes et théoriciens de l’art et puis dans un second sur les plates-formes et stratégies artistiques d’activation des espaces publics, basée sur le travail du collectif Les Saprophytes, en analysant le processus artistique crée d’une façon collective.

 

 

  1. Evolution de l’espace public au regard des théories de l’histoire de l’art.

1.1 ESPACE PUBLIC

L’espace public représente des lieux/territoires délimités par des espaces privés, la majorité dans des milieux urbains, qui sont accessibles à tous les citoyens et qui n’appartiennent à personne. C’est un espace de passage et de rencontre, où un public s’assemble pour formuler une opinion publique. C’est une sphère intermédiaire entre la société et l’Etat.

L’espace public fait partie du processus de démocratisation, auquel le professeur Dominique Wolton, dans l’ouvrage « La dernière utopie. Naissance de l’Europe démocratique”, divise en trois espaces : espace commun, espace public et espace politique.

L’espace commun représente les lieux des échanges commerciaux, des signes et des symboles. Il permet la naissance des réseaux humains qui peuvent graduellement devenir des espaces de familiarité, voir de sécurité.

L ‘espace commun est à la fois un espace physique comme territoire et symbolique comme réseau de solidarité, un espace de circulation et d’expression. Et c’est dans ce réseau d’individus au sein de territoires, que nous pouvons appeler aussi des villes ou cités, qu’un espace public peut se développer. Ce processus de développement est possible non seulement dans son aspect physique, celui des rues, places, commerces et échanges, mais aussi dans son aspect symbolique avec l’attribution d’une valeur normative à ce qui est accessible à tous. C’est le lieu de discussion et des échanges d’opinions des individus pour une amélioration de la vie en commun ; Dominique Wolton ajoute d’ailleurs dans son texte :

“Dans le passage du commun au public, se lit ce qui deviendra par la suite la caractéristique de la démocratie, à savoir la valorisation du nombre, le complément, en quelque sorte, du principe de liberté.”[1]

Et c’est seulement en ayant un espace public ouvert à tous, à l’écoute de tous, qu’une autre sphère se créée, plus petite dans son accès mais très importante, celle de l’espace politique. Cet espace est là où les décisions sont prises, c’est le passage à l’acte de toutes les discussions qui ont pu avoir lieu dans les espaces publics. Le mot politique, venant du grec politike, est définit comme « l’art de gérer les affaires de la cité ». En pratique cet espace politique est lié à l’Etat ayant un très large champ d’action, délimitant les espaces territoriaux et exerçant sa souveraineté via une totale autorité.
espaces commun public politique

Alors puisque l’espace public a besoin d’un espace commun pour prendre des décisions et agir au sein de la société et du territoire, l’art dans les espaces publics peut être un moteur de réflexion sur les enjeux et les problématiques locales qui tissent des liens et provoquent la prise de décisions publiques pour une plus grande autonomie de ces lieux.

1.2 L’ART DANS L’ESPACE PUBLIC, THEORIES ET PRATIQUES

Depuis les années 60 et 70 il y a une vague d’artistes qui commence à aller vers le public, hors des institutions, musées et galeries, pour travailler non seulement avec le public mais aussi en prenant compte du contexte des lieux où ils allaient agir.

Des artistes comme Jan Świdziński, Daniel Buren et Lothar Baumgarten ont donc théorisé cette tendance en utilisant des concepts comme L’art contextuel et le In-situ pour définir leurs méthodes de travail. Ces concepts seront développés plus tard par des théoriciens comme le critique d’art français Paul Ardenne dans son ouvrage « L’art contextuel ».

En 1976 l’artiste Polonais Jan Świdziński, écrit son manifeste appelé L’art comme art contextuel, où en faisant référence a son propre travail, il développe le concept d’un art contextuel qui se fait comme une action artistique directe dans le réel et est malgré-elle conditionnée par cet approche. La création, à ce sens va prioriser un ancrage dans la réalité plutôt que du coté du simulacre, de la figuration ou des apparences.

Le mot contexte, du latin contextus (assemblage), représente l’ensemble des circonstances liée ou situations, où un phénomène apparaît ou un évènement se produit. Donc l’art contextuel serait un art qui a comme matière de création, le lieu même où il s’installe et qui dans les sphères socio-géo-politiques, s’adapte aux circonstances propres de l’espace-temps présentes au moment du processus.

A cette égard, l’œuvre sera toujours conçue comme une expérience car elle est crée dans l’instant présent, sans savoir d’avance quelles seront ses conséquences.

In situ est une locution du latin qui veut dire « sur place ». L’art in situ, dans cette même lignée de pensée va désigner un art qui est crée en fonction du lieu de son installation, généralement éphémère avec des caractéristiques esthétiques critiques plutôt que décoratives.

Alors l’art qui est crée dans cet assemblage de conditions du lieu spatio-temporel, où il existe, provoque une activation physique et symbolique propre au moment et au lieu. Elle fait revivre la mémoire locale, questionnant son existence, soulevant ses problématiques et par conséquent prenant des décisions concrètes d’actions avec et pour ce lieu.

 

  1. Plates-formes d’activation artistique

2.1 ACTIVATION

Le mot activation désigne l’action d’activer, d’accélérer. Dans le domaine de la chimie une activation représente le passage d’une molécule, d’un atome ou d’un ion de sa forme normale à une forme plus riche en énergie et plus apte à entrer en réaction. Même en étant une domaine des sciences humaines, l’art s’approche des sciences exactes au moment où il s’appui dans le réel. Alors la notion d’activation utilisée par la chimie semble très appropriée pour décrire le processus que l’art contextuel déclenche dans l’espace public.

Les espaces publics, comme nous avons pu le voir dans la première partie de ce texte, sont essentiels pour former une opinion publique et un état démocratique. Pourtant la majorité de ces espaces dans la ville, conçus par une urbanisation des fois rapide, sèche et stérile, sont passés inaperçus ne pouvant pas se définir comme zone de pouvoir pour la population. L’activation de ces espaces, catalysée par des artistes, a comme but de redécouvrir et revisiter ces lieux en formant des réseaux citoyens pour questionner son usage et agissant sur le terrain pour améliorer les conditions de vie locale.

2.2 LE PROCESSUS D’ACTIVATION DANS LA PRATIQUE : Analyse du projet Les Beaux-Monts d’Hénin

Le collectif pluridisciplinaire Les Saprophytes, crée en 2007 est composé d’un groupe de six personnes ayant des formations diversifiées comme, le paysagisme, l’architecture et le graphisme, et développant un travail de « réflexion active et expérimentale sur la place et l’implication de l’Homme dans son milieu. »[2].

Leur démarche s’appuie sur sept fondements : « La diversité » : pour mettre en avant les particularités de chaque lieux et chaque projets, « la rencontre » : exploiter ce potentiel de la rencontre pour donner des nouvelles dimensions au lieu et à la ville, « la spontanéité » : créer des actions spontanées dans des territoires qui en contra-partie ont toujours d’actions contrôlés et programmés, « l’écologie pratique/économie de moyen » : ils priorisent l’utilisation des ressources locales offerte par le lieux en question en recyclant en allant contre l’idée consumériste, « l’autonomie » : activer l’espace en donnant des outils pour une plus grande autonomie de celui-ci , « l’expérimentation » : rentrer en action et a la rencontre de la population pour construire un espace public et « le passer le relais » : donne une continuité aux projet qui sont repris par le public locale.

Ces fondements dans la pratique du collectif prennent des formes diverses en fonction du milieux qu’ils activent. Comme par exemple dans le projet Les beaux-monts d’Hénin commencé dans l’année 2011 et qui a eu une durée de trois ans. Ce projet divisé en trois étapes, s’installe à la cité de Darcy dans la commune de Hénin-Beaumont au nord de la France.

Pour bien comprendre le choix du lieu où se passe ce projet, il est nécessaire de bien de souligner le passé historique de la commune et principalement de cette cité et les conditions politiques d’aujourd’hui. En 1852, la découverte de la houille (roché charbonnée sédimentaire) dans la région fait venir en des nombreux étrangers pour travailler dans les mines. Au debout du XXème siècle la ville devient symbole du Jeune syndicat avec Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais. Dans les années 70 tous les puits de mines sont fermés et la ville rencontre une crise due à la transition économique difficile. Avec cette crise l’augmentation d’une politique d’extrême droite nationaliste à la fin des années 80 prend place dans la ville et qui perdure encore jusqu’aujourd’hui.

En même temps que le collectif commence ce projet, la cité de Darcy se prépare à une rénovation urbaine avec plusieurs chantiers.

L’envie du collectif dans ce projet a été « d’impliquer les habitants du quartier dans une redécouverte et une reconquête de l’espace public en tant que lieu de rencontre, de lien social et du « faire ensemble »[3].

La première étape du projet a été rencontrer les habitants et découvrir le territoire. Cette étape prend forme par un jeu de pistes dans le quartier, dans une ambiance festive où chaque épreuve proposait une transformation des espaces par des micro-interventions collectives. Cette première opération va réactiver les espaces publics en faisant revivre ses histoires et mythes et a permis une première rencontre du collectif avec les habitants. À partir de là, l’idée de réorganiser une ancienne fête du quartier, du temps des mineurs, est née.

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La deuxième étape du projet se fait comme une coproduction avec les habitants d’un portrait du quartier. À travers un travail de recherche sur ses habitants, ses maisons, sa nature et son école ils récoltent des avis et rêves sur le devenir de la cité de Darcy. Cette étape prendra forme à travers des constructions collectives, interviews et discussions pendant une semaine que se finira par une grande exposition à ciel ouvert, sur un des terrils qui entourent la cité, qui aura la forme d’une fête appelée « Ducasse on de Moon ». L’exposition va contenir des projections des vidéos avec les portrais des habitants, une installation de jeux construits collectivement, un banquet public, des happenings musicaux et théâtraux, une visité guidée du quartier et une exposition photos.

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La troisième et dernière étape, a comme principe « d’engager une démarche active en invitant les habitants à investir leur quartier »[4]. Celle-ci débute par une construction collective d’un lieu de rencontre et de culture de jardins potagers partagés, disséminés dans le quartier. L’heure de la récolte, les légumes sont utilisés dans un premier temps pour créer et tester des plats, distribués par un food-truck itinérant, dans un second temps, pour organiser un grand repas collectif qui clôturera le projet.

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Nous pouvons percevoir dans ce projet artistique un exemple concret d’une activation des espaces publics. Dans les différentes phases de ce projet nous pouvons souligner un enchainement logique d’actions dans son processus comme une forme de stratégie.

2.3 UN MODÈLE À L’ESSAI

À partir de l’analyse du processus de ce projet, en essayant de trouver une stratégie de travail qui pourrait être applicable et adaptable à chaque lieu, je diviserais ce processus en quatre phases : 1. Étude du terrain: recherche sur le contexte social, politique et économique et rencontre avec les habitants ; 2. Création d’un réseau qui décidera collectivement des actions pour une amélioration de l’espace ; 3.Concrétisation des actions collectives; et 4. Au fur et à mesure que ce réseau local, crée par le projet, commence à s’autogérer et gérer l’espace, l’artiste va graduellement se retirer et conclure son acte.

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Cette synthèse classificatoire du processus peut alors devenir un modèle d’une méthode artistique pour une réelle activation de l’espace public.

2.3 ACTEUR ET ACTEURS

Si nous prenons cette méthode comme modèle d’un art qui active l’espace public, l’artiste devient le catalyseur d’un processus qui enrobe et engage le public qui devient aussi acteur/créateur et témoin. L’art qui active l’espace public est forcement un art collaboratif, sans la participation des gens qui habitent le lieu cette activation serait incomplète ne pourrait pas prendra place dans la vie quotidienne de ce lieu.

3. Conclusion :

L’art travaillant sur l’activation des espaces publics, est un agent démocratique qui révèle des tensions et conditions sociales, écologiques et politiques pour faire penser/rêver et mettre en action un avenir émancipé.

L’art contextuel restaure le lien social en agissant dans des lieux spécifiques pour créer une micro-politique et gérer une autonomie de ceux-ci.   Un art de contre-pouvoir par ses caractéristiques expérimentales, qui s’émancipe et dont son existence ne dépende plus du marché où des institutions. Un art pour tous.

Dans la pratique, très peu sont encore les artistes qui se tournent vers l’espace public en tenant compte de tout le processus d’activation de ses espaces.         Mais si dans un avenir proche ce phénomène tendrait à augmenter, est-ce que l’art pourrait avoir le pouvoir de changements politiques réels dans une échelle plus grande?   Cet art qui piétine dans tous les domaines ne serait pas un art complet ? Dans le sens où il y a l’activation de tout les domaines et les savoirs faires humains pour une création collective concrète.

 

Victoria Linhares

 

Bibliographie et webographie :

Ouvrage :

– Paul Ardenne, « Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain en situation, d’intervention, de participation », Champsart, Ed. Flammarion, Paris, 2002.

Articles :

Christian Ruby, « L’art public dans la ville. », EspacesTemps.net, Dans l’air, 01.05.2002, 
http://www.espacestemps.net/articles/art-public-dans-la-ville/

– Dominique Wolton, « La dernière utopie. Naissance de l’Europe démocratique” Paris : Flammarion, 1993. Extrais sur l’Espace publique: http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article67

– Paul Ardenne, “Art et politique: ce que change l’art “contextuel””, Revue L’art même, numéro 14, Belgique. Source : http://www2.cfwb.be/lartmeme/no014/pages/page1.htm

– Paul Ardenne, “L’art dans l’espace public: un activisme”, Revue Edredon, Quebec, 2011. Source : http://edredon.uqam.ca/upload/files/plumes/2011/Paul_Ardenne2.pdf

– Mikkel Bolt Rasmussen, “L’art interventionniste entre réforme et révolution : l’Internationale situationniste, l’Artist Placement Group, l’Art Workers’Coalition », Revue Variations, Le choix du petit, 2011.Source : http://variations.revues.org/170

Web-sites:

– http://www.les-saprophytes.org

– https://evemarieblog.wordpress.com/2013/07/29/le-developpement-despaces-publics-par-les-artistes-en-arts-visuels-et-la-pensee-darendt-et-de-benjamin/

– http://www.laviedesidees.fr/Au-hasard-de-l-espace-public.html

– http://esse.ca/fr/dossier-lart-contextuel-un-entretien-avec-paul-ardenne

[1] Extrais : http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article67

[2] Extrais du site officiel du collectif Les saprophytes. Source : http://www.les-saprophytes.org/index.php?cat=sapro

[3] Extrait du texte sur le projet Les Beaux-Monts d’Hénin. Source : http://www.les-saprophytes.org/index.php?cat=henin

[4] Extrais du texte sur le projet Les Beaux-Monts d’Hénin. Source : http://www.les-saprophytes.org/index.php?cat=hb

 

La sculpturalisation en tant que stratégie de l’architecture en dialoguant avec son site d’installation — les cas d’étude : les œuvres de Frank Gehry, Dan Graham, Gordon Matta-Clark et Bernard Tschumi

La monumentalité dans l’architecture contemporaine

Le point de départ de cet article est l’architecture contemporaine monumentale. Aujourd’hui, il y a plusieurs architectures spectaculaires dans des villes. Cette année, la Philharmonie de Jean Nouvel vient d’être inaugurée au parc de la Villette de Paris. La Fondation Pathé de Renzo Piano et la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry sont construites en 2014.

En ce qui concerne le mot «monumental», il est synonyme d’exceptionnel, spectaculaire, imposant et d’autre. Ces expressions relient souvent à une architecture de valeur historique. C’est pourquoi il est difficile de nommer ces trois œuvres «monument». Sans fonction commémorative, politique et religieuse, leurs effets monumentaux montrent aussi un aspect extraordinaire. Une problématique apparaît : quel est l’objectif et la fonction de la monumentalité contemporaine ?

La Philharmonie de Jean Nouvel vient, La Fondation Pathé de Renzo Piano et la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry
La Philharmonie de Jean Nouvel vient, La Fondation Pathé de Renzo Piano et la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry

 

La problématique de l’in situ

L’architecture ne se sépare pas de la ville, de sa formation et de sa configuration. Elle est aussi un instrument important du projet urbain ainsi que sa construction peut-être a une grande influence sur son lieu d’installation. En vue de clarifier la monumentalité en tant que stratégie dans l’espace public, il convient d’introduire la notion de « site » proposées par Thierry de Duve. Pour lui, le site signifie l’harmonie des trois « fermes » solidarités : lieu, espace et échelle. Ces trois éléments indispensables configurent ce que Duve appelle « site » dans son texte « Ex Situ » écrit en 1989 [1]. L’observation de Duve nous donne une méthode profitable pour réfléchir à des relations entre l’œuvre et son lieu et à des stratégies par rapport à l’in situ, se tisser avec, se limiter à ou plaire au site, comme à l’ex situ, hors site et sortir du site.

Ce premier élément – lieu – signifie l’ancrage culturel au sol, au territoire, à l’identité. C’est-à-dire, l’enracinement, l’implantation et l’identification au terrain s’assimilent au sceau du pouvoir tyrannique ou démocratique et circonscrivent artificiellement des limites territoriales. Cette formation du lieu se fonde sur les valeurs du rassemblement.

Le deuxième élément concerne l’espace : le consensus culturel sur la grille perceptive de référence. Ceci signifie la grille de lecture de nature sémantique [2] qui peut être acquise dès notre enfance pour discerner la manipulation noologique de l’objet. Ce élément a pour but de proposer sur le lieu une compréhension et une lecture univoque, juste, systématique, standard et raisonnable. Il s’agit de constituer un système en vue de la distribution des valeurs.

Le troisième élément – l’échelle – montre que le corps humain devrait être la mesure de toutes choses. La production pour les humains s’adapte à eux, à leur utilisation et manifeste leur présence ou celle de dieu. Il est évident que leur corps construit le type de site et d’architecture : la « meilleure » organisation de l’habitation selon l’expérience du besoin utilitaire, c’est-à-dire, le site, centré sur l’humain. Ceci manifeste clairement une pensée humaniste. Par ailleurs, l’échelle est souvent utilisée comme une stratégie pour l’effet imposant ou dans un but d’autorité : il s’agit de nous étonner par un objet bâti de grande dimension qui dépasse la taille humaine.

D’après cette articulation des trois points [3], l’engagement de l’art in situ dans la réalité interroge sur son autonomie. Il va se situer dans une position ambiguë et se caractériser comme rôle alternatif : soit un destructeur soit un des bâtisseurs du site. Cet « in » de l’in situ, indexé sur le lieu, signifie une liaison étroite avec l’harmonie des trois. En ce qui concerne l’impossibilité de réaliser un art à la fois dépendant véritablement de son site et indépendant des problématiques du site, l’in situ contemporain ne doit pas se confondre avec celui de l’art public monumental et épiques qui représente fondamentalement le pouvoir politique, la hiérarchie, la nostalgie et les valeurs universelles. Par exemple, les œuvres d’Henry Moore et d’Alexandre Calder, critiquées par Duve, « se sont souvent compromis à placer leurs œuvres dans des sites […] qui en rendaient toute appréhension esthétique impossible [4] ».

Par rapport à ceux qui « ornent les esplanades devant les grands immeubles de bureaux et font plus figure de “logos” agrandis que d’œuvres d’art [5] », l’in situ favorise l’harmonisation avec le site de ces symboles connus du grand public, non seulement pour la « publicité » d’une marque d’artiste mais aussi pour le produit représentatif de la métaphysique : des signes de la parole officielle, réglementaire et de prédication. Cet in situ – le compromis au site – faire perdre la qualité d’œuvre d’art et lui donne une présence dans la ville. Avec une tentative de reconstituer la notion de site et de donner une appréhension esthétique sans compromis au site, l’ex situ devient nécessaire pour entraîner l’échec de l’harmonie.

L’ex situ ou l’in situ : la « sculpturalité » en tant que réaction du site

L’ex situ signifie le détachement du contrôle du site. Il a pour but de bouleverser, transformer ou négliger [6] le site en disjoignant la solidarité du lieu, de l’espace et de l’échelle. On présente les trois stratégies :

  • L’ex situ en disloquant l’harmonie des trois composants

L’architecture sculpturale peut être un déclenchement de l’ex situ. Celle de Graham, Pavillon / Sculpture for Argonne, a été créé de 1978 à 1981 en verre et miroir sans tain et en acier. Sous l’ossature, ses surfaces semi-transparentes constituées de deux espaces triangulaires brouillent la limite entre les espaces intérieur et extérieur ainsi que la perception du volume. Il faut configurer l’espace à travers la structure de l’œuvre. En reflétant l’image du spectateur, le privé s’intègre dans le contexte public. Cette œuvre défie la valeur de l’habitation en exposant l’espace et l’image du privé et en faisant disparaître le consensus.

Dan Graham, Pavillon / Sculpture for Argonne, 1978-1981, Argonne National Laboraites,Illinois. (Thierry de Duve, « Ex Situ », dans Les Cahiers du MNAM, n°27, printemps 1989, p. 42.)
Dan Graham, Pavillon / Sculpture for Argonne, 1978-1981, Argonne National Laboraites,Illinois. (Thierry de Duve, « Ex Situ », dans Les Cahiers du MNAM, n°27, printemps 1989, p. 42.)

Celle de Matta Clark, par exemple Conical Intersect de 1975 à l’occasion de la Biennale de Paris, était un immeuble de la rue Beaubourg, voué à la démolition, par le plan de réaménagement du quartier, dont le mur et le plafond ont été découpés dans le but de critiquer la signification du projet urbain et de dialoguer avec le Centre de Pompidou en cours de construction. Ces deux œuvres testent les composantes du site en les démontant.

Gordon Matta-Clark, Conical Intersect, 1975, Rue Beaubourg, Paris. (Thierry de Duve, « Ex Situ », dans Les Cahiers du MNAM, n°27, printemps 1989, p. 45.)
Gordon Matta-Clark, Conical Intersect, 1975, Rue Beaubourg, Paris. (Thierry de Duve, « Ex Situ », dans Les Cahiers du MNAM, n°27, printemps 1989, p. 45.)
  • L’ex situ gehryien : l’indifférence du site
La Fondation Louis Vuitton (photo prise le 23 décembre 2014)
La Fondation Louis Vuitton (photo prise le 23 décembre 2014)

Depuis la fin du 20ème siècle, un nouveau ex situ est engendré par quelques phénomènes : la transformation de la ville par le développement des transports, l’aggravation du centralisme urbain, la télécommunication qui peuvent transmettre les images et les valeurs sans nécessité de rassemblement. Le site n’est plus tant essentiel, autrement dit, il s’agit d’une indifférence du site. Si l’ex situ par le Style International, privilégiant un seule style de l’architecture, qui a eu une grande influence sur le mode architectural, a révélé la volonté composite par la normalisation de l’œuvre et du lieu, l’ex situ contemporain permet aux œuvres de maintenir leur spécificité mais au profit d’un écart économique entre la valeur marchande et le « coût » de production. Par exemple, les œuvres de Gehry, forcément personnalistes, ne se soumettent jamais au site. L’indifférence du « Style International gehryien » provoque une concentration directe et un seul intérêt sur l’objet architectural.

Son nouveau chef-d’œuvre – Fondation Louis Vuitton – explique beaucoup son inspiration de l’environnement et de la ville de Paris :

« Les terrasses du bâtiment offrent des points de vue inédits sur Paris et sur l’environnement boisé du jardin d’Acclimatation dont Frank Gehry s’est inspiré pour créer une architecture de verre et de transparence. [7]»

Cette description de news sur le site officiel de Louis Vuitton montre une photo du bâtiment de la Fondation qui « s’envole » d’un reg inconnu, produit d’un montage photographique.

« L’ouverture de la fondation Louis Vuitton », 27 octobre 2014, site de Louis Vuitton, URL :  fr.louisvuitton.com/fra-fr/articles/l-ouverture-de-la-fondation-louis-vuitton (site consulté le 10 avril 2015).
« L’ouverture de la fondation Louis Vuitton », 27 octobre 2014, site de Louis Vuitton, URL : fr.louisvuitton.com/fra-fr/articles/l-ouverture-de-la-fondation-louis-vuitton (site consulté le 10 avril 2015).

Cette photo me semble ironique avec la description du site car Paris, le bois de Boulogne et le jardin d’Acclimatation en sont absents. Même si l’explication de l’œuvre est à l’opposé de l’image, l’œuvre gehryienne démontre l’indifférence du site, stratégie contemporaine qui correspond tout à fait à une tendance postindustrielle mentionnée par Duve : 

« Les artefacts qui nous donnent la mesure sont aussi indifférents au “site” de leur production qu’à celui de leur consommation. Seul compte l’écart économique entre les deux, le profit maximal étant obtenu quand les choses sont produites à Bangkok ou à Séoul et consommées à Paris ou à New York. [8]»

Les artefacts de commerce perdent leur identité liée au site. L’image de la starchitecture est médiatisée dans le monde entier, on ne s’intéresse plus à son lieu de production : l’estuaire basque ou le parc de loisir parisien, mais à la fameuse marque, celles du grand maître de l’architecture Frank Gehry et de la maison de luxe Louis Vuitton.

Il est possible que la « sculpturalité » produise l’ex situ de l’architecture : la fonction sculpturale des œuvres de Graham et de Matta Clark manifeste une espérance de l’avenir utopique ; la forme sculpturale des starchitectures présente une indifférence au site. Il s’agit de la « dis-harmonie » ou de la « trans-harmonie » du site.

  • L’in situ des Folies : l’imagination construit le site :
Bernard Tschumi, les Folies, le Parc de la Villette, Paris, 1982-1998, acier, l’ossature en béton armé en tôle émaillée rouge. (Photos prises au 4 janvier 2015.)
Bernard Tschumi, les Folies L3, P7, N8, J5, R4, R7 et R5, le Parc de la Villette, Paris, 1982-1998, acier, l’ossature en béton armé en tôle émaillée rouge. (Photos prises au 4 janvier 2015.)

L’ex situ permet à ces œuvres de représenter les idées « utopiques », idéales et spirituelles. Chez Bernard Tschumi, les œuvres dans projet de la Villette, qui portent le nom des Folies et «petits bâtiments-sculptures rouges», présentent une autre stratégie. L’objectif du projet est de constituer un parc ouvert à tout le monde, qui consiste à réaliser un nouveau site configuré par les activités et les événements divers :

« Le parc ne peut être conçu comme un modèle d’un monde utopique en miniature, protégé de la réalité vulgaire. Plutôt qu’un refuge, le parc contemporain ne peut être vu que comme un environnement défini par les préoccupations de l’habitant de la ville, à travers des besoins récréatifs et des plaisirs déterminés par les conditions de travail et les aspirations culturelles de la société urbaine contemporaine. [9]»

(à droite) Bernard Tschumi, Christian Biecher, Le Parc de la Villette : Paris, 19. arrondissement, Seyssel : Champ Vallon, 1987, p. 25. (à gauche) Plan la Villette, octobre 2008. (éd. : la Direction de la Communicaiton et des Publics EPPGHV/SITE/08/09/01, rédaction de Sophie Lavoie)
(à droite) Bernard Tschumi, Christian Biecher, Le Parc de la Villette : Paris, 19. arrondissement, Seyssel : Champ Vallon, 1987, p. 25.
(à gauche) Plan la Villette, octobre 2008. (éd. : la Direction de la Communicaiton et des Publics EPPGHV/SITE/08/09/01, rédaction de Sophie Lavoie)

La revendication d’un environnement ouvert pour répondre au besoin collectif se confronte à la réalité, l’ « in » de l’in situ des Folies est nécessaire mais ce « situ » prend un sens nouveau selon la participation du public. Leur sculpturalité – l’irrationalité – engendre l’imagination de l’architecture qui émerge avec l’expérience de l’utilisation. C’est-à-dire que le consensus ne se fait pas car les « acteurs » de ces petits bâtiments-sculptures rouges sont divers et le sens de l’architecture ou du site est formé à travers leur plan d’immanence. D’après ce résultat, ce « situ » ne se forme jamais, l’harmonie des trois composants se disloque parce que l’échec de la fondation de l’espace révèle l’impossibilité d’avoir la même expérience pour tous avec les Folies et conduit à celui du lieu qui empêche l’ancrage nostalgique de la ville, des héros et de l’histoire. Il reste l’échelle qui provoque le plaisir d’utilisation basé sur les signes architecturaux des normes.

Une nouvelle harmonie est atteinte à travers chaque expérience événementielle en constituant le « sous-site » idéal et individuel par chaque utilisateur. À mesure que les activités prennent fin, les Folies re-deviennent un espace sans consensus. La sculpturalité, ici, fait allusion à l’absence de détermination architecturale propre à stimuler l’imagination.

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L’étude du parcours des Folies L4, N4, N8
L'étude du parcours des Folies L1, L3, L7, J5 et R4
L’étude du parcours des Folies L1, L3, L7, J5 et R4
L'étude du parcours des Folies L2, L6, L9-bis, N1, N4 et P4
L’étude du parcours des Folies L2, L6, L9-bis, N1, N4 et P4

Conclusion

L’architecture sculpturale représente un dispositif utopique qui, chez Graham et Matta Clark, résiste à la convention architecturale à travers les pratiques artistiques ex situ ; chez Gehry, néglige le site en transmettant son image « utopique » vers le monde entier et chez Tschumi, ne prend pas en considération la vision proposée par l’artiste, l’architecte, l’urbaniste et l’animateur du centre culturel mais plutôt le rôle que jouent les acteurs potentiels en vue de faire que les idéaux utopiques et les objectifs sociaux deviennent réalité. Il est possible que la sculpturalisation de l’architecture réponde à la volonté de notre époque : l’imagination, l’irrationalité et une espérance de l’utopie.

Notes :

[1] Thierry de Duve, « Ex Situ », dans Les Cahiers du MNAM, n°27, printemps 1989, p. 39-55.

[2] Cette notion de la grille dans la perception sémantique est évoquée par Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, et est expliquée dans : Marie Renoue, Jean-Marie Floch, Analyse sémiotique de la perception d’un objet naturel, Limoges : PULIM, 1996, p. 10.

[3] Duve prend quelques sites comme exemples : le cirque montagneux de Delphes et la place du Capitole. Le premier est un site du sanctuaire panhellénique qui fut bâti du 6ème siècle av. J.-C. au 4ème siècle av. J.-C. et qui était destiné à des célébrations religieuses. Le dernier est un lieu autour d’un édifice public servant de centre où se concentrait la vie municipale et parlementaire. En comparaison de ces sites, Duve prend deux exemples : l’échangeur routier à l’entrée du Holland Tunnel qui ne forme pas le consensus culturel ; le désert du Nevada qui manque de l’ancrage culture.

[4] Thierry de Duve, op.cit., p. 40.

[5] Ibid.

[6] La négligence peut être une façon de la reconstitution de la notion du site. On prend une œuvre de Tony Smith comme exemple. Die est un cube d’un 1,82 mètres de côté en métal noir, il s’assimile à l’échelle du corps humain en évitant la dénomination de monument ou d’objet et « en prenant la place de l’homme, mais en l’excluant, ne le confronte plus qu’à sa propre mortalité ». Cette œuvre est indifférente de son environnement, sa négligence désaccorde l’harmonie en rejetant le consensus de l’espace.

↳ Voir : Thierry de Duve, op.cit., p. 45.

[7] « L’ouverture de la fondation Louis Vuitton », 27 octobre 2014, site de Louis Vuitton, URL :  fr.louisvuitton.com/fra-fr/articles/l-ouverture-de-la-fondation-louis-vuitton (site consulté le 10 avril 2015).

[8] Thierry de Duve, op.cit., p. 54.

[9] Bernard Tschumi, Christian Biecher, Le Parc de la Villette : Paris, 19. arrondissement, Seyssel : Champ Vallon, 1987, p. 4.

L’illégalité comme stratégie d’intervention artistique dans l’espace public

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2. INTRODUCTION
Certains artistes ont choisi de travailler dans l’illégalité et de continuer à l’utiliser
comme stratégie pour avoir la liberté d’exprimer leurs messages à travers leurs
œuvres.
En refusant de rentrer dans le modèle imposé par le système, ils profitent de l’illégalité pour avoir un plus grand impact et être reconnu dans la société. L’idée est de montrer à travers certains exemples spécifiques, comment cette stratégie de reconnaissance fonctionne également comme une « campagne publicitaire » parfois même toute en restant anonyme.

a) L’art public, le Street art et l’espace

Le Street art participe au processus de métamorphose de la ville. Il dialogue avec
l’environnement urbain et contribue à l’élaboration de la culture visuelle de la cité.
L’art public autant que le street art peuvent exprimer les structures culturelles d’une ville de façon ludique et critique. Ces deux types d’art sont conçus pour la ville, un tissu complexe qui peut être perçu comme un ensemble dans lequel des objets, des lieux, des personnes et le temps interagissent. Cependant, il existe nécessairement des différences entre ces deux genres d’art. Le Street art se distingue de l’art public principalement par son illégalité, par ce qui motive ses auteurs, ainsi que par les moyens utilisés et les lieux de diffusion.
Dans le milieu du street art et du graffiti, il n’existe pas de consensus quant à la nécessité ou non de rester dans l’illégalité. La plupart des artistes ont commencé dans la clandestinité et ce sont les risques, la décharge d’adrénaline et la dose de provocation exaltants dans cette pratique qui donne le résultat des œuvres. Ces artistes apprécient les notions d’authenticité, de fidélité et de contrôle que l’illégalité du street art véhicule. Certains désirent que cette expression artistique continue à être exécutée clandestinement vu que son illégalité et son caractère énigmatique sont excitants et ajoutent beaucoup de plaisir et d’adrénaline. D’autres comme Miss-Tic décident de rentrer dans les galeries et, tout en gardant leur sens exécutent des œuvres légalement, ce qui leur permet de faire carrière.

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L’art public comme le Street art peut être vu dans une multitude des lieux tant extérieurs comme intérieurs et sauvant il est le résultat de commandes publiques qui cherchent à améliorer la ville.

« La difficulté que pose la notion d’art public résulte de l’absence de consensus quant à la définition même d’ ”espace public”. L’art qui est donné à voir dans des espaces publics ne pouvant être définis comme des lieux d’exposition fonctionne et est perçu différemment de l’art qui est produit en vue d’être présenté dans des galeries ».
Street art et graffiti Anna Waclawek

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En tant que pratiques artistiques non autorisées se manifestant dans l’espace public, le graffiti et le Street art mettent en évidence le fait que l’art public est tout aussi politique que l’espace dans lequel il se trouve. Le Street art contribue à la création d’espaces en s’emparant dans le paysage urbain d’un lieu et en amenant la population à faire l’expérience de l’art. En s’invitant illégalement dans la ville, le Street art déplace la frontière entre utilisation publique et utilisation privée de l’espace.
Parmi les artistes dont la démarche met fortement en lumière le pouvoir communicatif de l’art dans la sphère publique, les exemples suivants nous intéressent:

3. EXEMPLES SPECIFIQUES

a) BLEK LE RAT

Est un artiste urbain français, pionnier de l’art urbain, tutélaire du pochoir qui commence en 1981 en faisant de petits rats dans les rues de Paris et progressivement passe à des figures plus grandes. Suite à des problèmes avec la justice en 1990 il décide de ne plus intervenir directement sur les murs mais de coller des affiches peintes au pochoir et découpées.
Dans ses origines BLEK LE RAT faisait des pochoirs de rats partout dans Paris car comme il explique: « c’est le seul animal libre dans la ville et il propage la peste partout, tout comme le street Art « .

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Pour BLEK LE RAT, qui expose aujourd’hui dans des galeries, le plaisir qu’il éprouve à travailler dans la rue est de toucher un public bien plus vaste.

« Le problème avec les galeries, c’est que 99% des street artistes se servent de l’art
urbain comme d’un tremplin pour entrer dans les galeries. C’est une erreur fatale, car leurs œuvres sont vues dans les galeries par une quarantaine de personnes, et dans les musées par une dizaine de visiteurs, alors que, dans la rue, c’est une centaine de milliers de personnes qui les voient. Et c’est ce qui donne toute son essence à une œuvre, c’est le fait d’être vue et non pas d’être vendue ou reconnue comme une œuvre d’art dans un musée, c’est d’être vu par des gens ».
Street art et graffiti Anna Waclawek

Dans une interview réalisé par Sophie Pujas BLEK LE RAT rat parle de son rapport par rapport à l’illégalité et la réappropriation de l’espace comme une prise de possession de Paris :
Oui, je voulais exister dans la ville ! Je cherchais une identité dans l’anonymat qu’engendre la ville. On avait tous à l’époque le désir de devenir célèbres, on faisait de la musique, mal – on avait appris à mal jouer de la guitare avec des rêves plein la tête… Je pense que le graffiti m’a servi de thérapie pour trouver ma propre identité. Cela me plaisait de laisser une image dans la rue quand je savais que des milliers de gens le lendemain matin auraient vu cette image, et certainement en parleraient tout en se demandant.

Suite à une condamnation en 1992, vous avez d’ailleurs modifié votre mode d’intervention…Oui. Je continue à peindre les murs à la bombe mais sur des murs légaux. Sinon, je colle des affiches que je travaille préalablement dans mon atelier. Vous ne pouvez pas risquer continuellement des sanctions qui dépassent la mesure. J’ai l’impression que l’État craint plus les graffiteurs que les dealers ! Certainement parce que l’art libre dans la rue est plus provocateur et plus dangereux pour le pouvoir. Justement parce qu’il est libre.
Bien que BLEK LE RAT continue à travailler dans la rue illégalement, il rêverait de pouvoir intervenir dans l’espace public sans le stress que cela provoque, donc de pouvoir travailler avec autorisation.

Son travail prend un sens grâce à la rencontre du public avec l’œuvre, et plus il y aura de monde, plus grand sera son impact, ses créations sont visibles sur les murs dans le monde entier, et d’ailleurs il expose aussi dans des galeries.

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b) MISS-TIC

Dans le cadre du cycle de conférences « Métiers de l’art contemporain, enjeux pratiques et théoriques A » de Mr. FIGUERES. Le Jeudi 21 Novembre à l’université de Paris 8.

Miss-Tic est une des premières femmes qui a commencé à travailler comme street artiste en France.

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Après avoir voyagé deux ans en Amérique du nord en 1985 pour s’imprégner des mouvements Hip-Hop et graffiti à L.A. puis en Amérique Latine avec l’art politique et le muralisme de Diego Rivera elle est rentrée en France. Elle crée des pochoirs dans lesquels elle met en scène ses personnages féminins la plupart du temps, accompagnés de phrases mi-sérieuses, mi-ironiques, avec une typographie propre à elle sur les murs de la ville de Paris comme la Butte aux cailles dans le 13ème, Belleville et Ménilmontant dans le 20ème et aussi dans le Marais dans le 4ème, arrondissement.
En 1997 Miss- Tic a des problèmes avec la justice et le jugement la déclare coupable et la condamne à payer 5000 Francs (762 Euros) d’amende. Suite à cet épisode, elle décide de changer de méthode de travail et commence à travailler sur commandes et sur les appels d’offre et aussi a demander l’autorisation aux propriétaires des murs.
Aujourd’hui son travail s’expose dans les galeries et certaines de ses œuvres ont été acquises par le Victoria and Albert Museum, à Londres et le Fond d’art contemporain de la ville de Paris. Elle a aussi collaboré avec des grandes marques de luxe comme Louis Vouitton et Longchamp.

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Je m’intéresse à la rue car elle est la voie du populaire, du public. Elle permet d’atteindre tout le monde avec ma poésie. C’est un geste politique dans le sens d’une volonté de s’adresser à tous, c’est une poésie démocratique. De même que la rue est un lieu de promotion, j’ai aussi commencé ce travail dans le but de me faire repérer par des professionnels, dans le but de pouvoir exposer un jour.
Je ne suis pas une pure « street arteuse ». Les gens ont toujours tendance à vouloir vous enfermer dans des boîtes. Ils ne comprennent pas que vous puissiez être multiple dans votre création, que vous puissiez exposer, être dans la rue, etc… Je refuse que l’on m’enferme dans la rue. Souvent on présente mes expositions en disant « 1ère exposition de Miss Tic ! », or ça fait 22 ans que j’expose ! Street Art – Miss Tic, entretien. 2009.

On peut constater clairement comment l’illégalité du début de la carrière de Miss-Tic fait partie de son parcours artistique. Comme elle l’affirme précédemment, son but a toujours été de se faire reconnaître et de vivre de son art. Même si elle a quasiment disparu de la rue, aujourd’hui on la retrouve chez les galeristes, dans des musées et encore dans des publicités telle que UCAR véhicules de location.

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c) BANKSY / STEALING BANKSY?

BANKSY
C’est un vrai phénomène. Banksy est le pseudonyme d’un artiste de rue anonyme de Bristol qui est devenu populaire internationalement à la fin des années 1990, et un artiste polyvalent. Il joue les usurpateurs et les provocateurs, interpellant les citoyens sur la condition humaine, le tout avec une bonne dose d’humour et de second degré.

sb_flyerSTEALING BANKSY?
C’est le titre de la plus chère exposition consacrée à Banksy à Londres. Elle présente des œuvres restaurées qui ont été vendues au mois d’avril l’année dernière. Dirigée par le commissaire d’exposition Tony Baxter, l’exposition est composée de 8 pièces qui incluent la plus connue “No ball games”. L’entreprise Sincura Group est à l’origine de la controverse. Depuis plusieurs années, elle « démonte », dans la rue, de nuit, à l’aide de perceuses et de marteaux piqueurs , des graffitis du plasticien britannique pour les mettre sur le marché. L’art de rue peut-il être vendu aux enchères ? C’est la question que sous entend cette exposition, sans vraiment avoir de réponse, le seul chiffre et unique résultat dont on dispose étant qu’en juin dernier, les enchères ont atteint 800.000 euros.

http://stealingbanksy.com/GIRL_WITH_BALLOON.html

La polémique est servie. Déjà le titre de l’exposition parle de l’idée de s’il est légal ou non que cet artiste intervint dans des propriétés urbaines privées, et que cette
compagnie s’occupe à enlever et à restaurer ses œuvres.

http://stealingbanksy.com/HOW_WE_DO_IT.html

 » Nous n’avons jamais approché qui que ce soit pour l’inciter à retirer un Banksy », se justifie Tony Baxter (directeur du Sincura group et organisateur de l’exposition).  » Cesont les propriétaires de ces murs qui sont venus à nous. Ils n’ont jamais voulu de ces œuvres sur leurs murs. Avoir un Banksy sur votre mur, c’est risquer de voir votre bâtiment classé et de ne plus pouvoir y toucher, cela lui fait perdre de la valeur et vous ne pouvez plus le revendre ».

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La célèbre “petite fille au ballon” a donc quitté l’Est londonien pour rejoindre les galeries luxueuses de la capitale britannique, un peu comme Miss-Tic mais sans le vouloir et à travers une entreprise de démolition artistique, que l’artiste déclare clairement comme « déplorable »:

« This show has got nothing to do with me and I think it’s disgusting people are allowed to go around displaying art on walls without permission.” Banksy

 » Cette exposition n’a rien à voir avec moi et je pense qu’il est déplorable que les gens aient le droit d’exposer partout de l’art sur des murs sans permission.  » Banksy

http://stealingbanksy.com/

Mais, malheureusement pour interdire à ces expositions d’avoir lieu, il faudrait intenter une action en justice et donc révéler son identité : un prix trop lourd à payer pour l’artiste dont la liberté réside dans l’anonymat.

Le projet Stealing Banksy explore les questions sociales, légales et morales entourant la vente d’art de la rue. « Quoique nous ayons été accusés de beaucoup de choses pendant ce projet, nous ne volons pas d’art, nous ne fermons pas les yeux non plus sur des actes de vandalisme voulu ou le vol. Nous ne possédons pas les pièces d’art, ni encourageons leur déplacement et n’avons jusqu’à présent fait aucun gain financier des ventes d’art de la rue. Si assignés pour gérer une œuvre d’art nous assurons le sauvetage, la restauration et la vente est effectuée d’une façon professionnelle et compréhensive », explique Sencura Group.

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Qu’il s’agisse de graffiti ou de démontage de murs, tous deux illégaux, le premier étant de peindre sur un mur, le second parait un peu démesuré puisqu’il s’agit de démolir de nuit les murs, support des œuvres pour les exposer et les vendre à des prix exorbitants. Un paradoxe intéressant. La compagnie allègue qu’ils le font pour pouvoir les conserver et les restaurer.

Banksy se refusant à alimenter le marché des enchères, certains se servent directement dans la rue. Le renversement de situation a ici quelque chose de comique… les vandales ne sont plus ceux qu’ils étaient jadis. Le Street art ayant acquis sa légitimité, les pochoirs célèbres sont passés du statut de souillures à celui de patrimoine urbain collectif. Ceux que l’on désigne aujourd’hui comme vandales sont les nettoyeurs de murs ou, de façon plus radicale, les arracheurs, une pratique qui semble prendre de l’essor. Les Street artist constatent de plus en plus que leurs interventions urbaines ont un destin marchand qui leur échappe.

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Attention donc à la provenance des œuvres avant de vous porter acquéreur. Banksy a par ailleurs mis en place un service d’authentification baptisé Pest Control, seule structure habilitée par l’artiste à vendre ses œuvres.

4. CONCLUSIONS

L’illégalité génère une controverse et cela un intérêt qui peut être commercial, publicitaire ou de reconnaissance. C’est une dualité car il n’existe pas un marque légal.
Ironiquement le désir de l’illégalité rend ces artistes plus visibles et plus connues, c’est alors quand cette illégalité prend une posture de stratégie dans l’intervention de l’espace et une controverse se crée en donnant un suite un intérêt beaucoup plus fort.

Pendant ces artistes transforment ce vandalisme illégal en art, pour l’institution, doit être censuré et ces activistes croisent les frontières politiques de l’art avec l’impétuosité clandestine d’un étranger illégal.
Les limites du concept d’illégalité devient ambiguës car le statue donnés à ces actes témoignent un conflit d’intérêt institutionnel dans la mesure que tout ce qui à été considéré auparavant par ceux-ci comme du « vandalisme » est reconnue en suite comme « légitime » car il suscite un intérêt général.

Cette stratégie dès le débu sensé être contestataire, activiste et libre mais paradoxalement elle est accompagnée des éléments comme la controverse et l’intérêt que celui-ci amène, pour en suite devenir une stratégie commerciale, d’autopromotion et finalement mercantile.

En se posant la question de l’illégalité on est amené à se poser aussi la question concernant le droit. Selon le pays le statut de l’œuvre et sa définition en soit changent. Cette polémique nous conduit à nous demander à qui appartiennent ces œuvres, l’artiste ou le propriétaire des murs? est ce un bien privé ou un patrimoine public?
En France, une œuvre publique est indépendante de la propriété de son support. Le propriétaire du support n’est jamais propriétaire de l’œuvre.

Margarita Maria Bohorquez G.

Master 2 Art contemporain et nouveaux médias

« La controverse comme stratégie d’intervention artistique dans l’espace public »

 

  1. Qu´est-ce que ce la controverse ?

La controverse est selon l´une de ses définitions une « discussion suivie sur une question, motivée par des opinions ou des interprétations divergentes ».[1] Un addenda spécifie qu´elle apparaît comme « l´Art de discuter les questions religieuses; traité où est élaboré et enseigné cet art ». De cette façon, la controverse peut aussi opérer comme un événement de débat public, comme l´art de discuter des questions non seulement religieuses mais politiques et sociales y compris des sujets tabous. Dans le champs artistique, il s´agirait donc de dénoncer comment les discours religieux, dogmatiques, éthiques, etc. influencent – avec des injonctions souvent contradictoires – l´inclusion ou l´exclusion, absolvent ou assassinent, valident ou censurent des individus.

Le questionnement du langage repose sur la volonté d´instaurer des ruptures idéologiques, non seulement en tant que geste d´un artiste, mais aussi, en tant qu´acte citoyen. Il s´agit alors de mettre à l´épreuve son besoin de (ré)agir face à une réalité, par une démarche et une stratégie authentique, même si de réception controversée, qui fait parler et réagir les individus qui y sont confrontés. À cet égard l´œuvre comme génératrice d´émotions peut susciter une réponse polémique (refus plus ou mois violent voire rejet comme ce le cas d´Erik Ravelo avec sa production « The Untouchables »), la concertation ou bien l´interaction.

  1. L´artiste peut-il se servir de la controverse comme de n´importe quelle moyen de communication – du type publicité par exemple- pour obtenir statut et reconnaissance?

Pour appréhender la complexité d´une situation, tel Ai Wei Wei, Erik Ravelo et Paul McCarthy, l´artiste recourt à la polysémie dans sa création: tant cognitive que sensorielle c´est-à-dire, qu´à travers sa démarche artistique, il élargit les champs d´exploration et de compréhension de ce qui lui est donné pour réalité et véracité.

L´artiste a le rôle de (re)créer une mise en scène pour véhiculer un message dans un espace public/privé. Utilisant dans sa démarche les jeux de rôles (production d´images, recours au techniques du marketing dans le cas de McCarthy par exemple) il s´autorise à intégrer les institutions pour y parvenir.

Or, Ghislaine Del Rey évoque que les artistes du Fluxus par exemple, « interrogeront le médium qui est le critère de validité et de pertinence du projet artistique, ainsi que la vision linéaire et normative de l´histoire de l’art (…) pour concevoir les choses dans leurs relations et leurs rapports nécessaires, c´est-à-dire restituées dans leur contexte (…)»[2].

III. Comment s´origine alors la controverse et quelles sont les conditions nécessaires de surgissement de celle-ci ? Quelles sont les démarches menées par les artistes et leurs stratégies ?

A). Dans un premier temps la controverse surgit quand les artistes démythifient une information, un événement ou une vérité faisant loi. L´artiste s´efforce ici d´acquérir une expertise dans le champ où il veut intervenir pour démythifier/démystifier ce qui pour sa société est considéré comme une « vérité absolue », incontestable. Il peut alors jouer le rôle de décodeur de l´information pour remettre en question une société subordonnée, notamment à un intégrisme économique dans le cas de l´artiste chinois Ai Wei Wei avec sa démarche contestataire et sa stratégie d´activisme social et politique vis-à-vis le régime chinois – qui lui surveille en permanence, lui a privé de son passeport en 2011, lui interdit d´exposer dans son pays, etc.-.

Son travail sur la réalité témoigne qu´il est en droit de se méfier de ce qui lui est donné comme « réel », d´instiller le doute, le vacillement du regard et de la pensée chez le spectateur, car le vécu in situ, peut déjà être considéré comme une fiction, comme une réalité préfabriquée par les médias. Or, dans l´art contestataire la véracité du message est remise en question, par exemple à travers l´ironie ou la richesse documentaire (séisme meurtrier du Sichuan le 12 mai 2008) révélant que cette fiction, est le résultat d´un décor. D´un décor construit par un « appareil idéologique d´état[3] », qui aboutit à ce qu´une stratégie soit élaborée et mise en œuvre pour être perçue comme « vraie ».

mgb14_plakat_aiweiwei_media_gallery_res« (…) Depuis 2008 je recherche la vérité, par respect pour les victimes du séisme et pour qu´on ne les oublies jamais. J´ai lancé une appelle pour qu´on retrouve les noms des disparus. C´est devenu un acte citoyen. C´est une premier dans l´histoire de la Chine. On a réussi à trouver le nom de plus de 5000 victimes. Les autorités ont en pris prétexte pour fermer mon site d´internet et m´accuser de subversion. C´est une raison de plus pour continuer à relayer ces informations. Ce sont des vérités toutes simples, mais dans une société comme celle-ci, elles sont considérés comme dangereuses. Je ne suis pas un homme politique, juste un artiste qui a envie de dire certaines vérités. C´est essentiel pour moi, entant que personne »[4].

B). Dans un deuxième temps, quand les artistes requalifient l´usage du langage, ses codes et conventions sociales.

L´artiste questionne son statut et donc sa légitimité à travers la mise en place, le mode de réception et de diffusion de son œuvre, en la considérant non comme un objet mais comme une étape d´un processus démocratique à partir duquel remettre en cause l´existence d´un « appareil idéologique » qui conditionne tout accès au savoir ; au mieux il détourne sa signification, au pire il la censure, la restreint ou l´empêche sa diffusion comme dans le cas de l´œuvre d´Erik Ravelo « The untouchables ».

Ravelo est un artiste cubain, directeur de création du magazine COLORS, qui par exemple, dans sa démarche contestataire vis-à-vis d´institutions comme le Vatican, mêle le langage publicitaire et le langage artistique dans ses productions. Pour mettre en œuvre sa stratégie, il utilise les ressources techniques de la communication de masse et inventorie tous les espaces et supports d´interventions possibles (supports papier, informatique, institutionnel, privé, etc).

Erik-Ravelo-Erik Ravelo « The untouchables », 2013

 

 

 

 

 

La polysémie dans la création artistique :

L’icône de la crucifixion comme un symbole du sacrifice de Jésus pour le salut de l´humanité, a toujours été utilisée comme l’image de la douleur. Celle qui plonge dans la tristesse, incite aux larmes, symbolise l’acte ultime d’amour. Cette représentation elle est donc protégée, couverte et soutenue par les États et les institutions qui promulguent des lois et de sanctions, pardonnent ou condamnent à l´instar en quelque sort d´un « jugement dernière ». Icône que l´on retrouve aussi, devant les tribunaux, dans les églises, les prisons, et le couloir de la mort. Or, pour Erik Ravelo dans son oeuvre « The untouchables », cet icône revêt une nouvelle signification : le tourisme sexuel (Thaïlande), la guerre (en Syrie), le trafic des organes, l´obésité (McDonald), les Tueries en milieu scolaires (aux Etats-Unis), Catastrophes nucléaires (Japon) et la Pédophilie (au Vatican). Le Vatican a réagi de manière très intolérante et a voulu censurer l´œuvre ainsi qu´empêcher sa diffusion sur les réseaux sociaux (Facebook). Il n´y est pas parvenu car Ravelo a défendu son droit à la libre expression malgré les menace de mort reçues d´une partie du public.

C). Dans un troisième temps, quand les artistes convoquent les tabous.

Paul McCarthy déploie une démarche conceptuelle et polémique dans ses installations. En utilisant lui aussi toutes les ressources techniques de la communication de masse, stratégie identique à celle de Ravelo, il fait de son œuvre, un spot publicitaire (« Tree »), objet d´interpellation, du désir et de consommation massive.

atlantico.fr_mccarthy_tree_plug_vendome« Tree », Paul McCarthy, Place Vendôme, Paris, 2014.

 

 

L´œuvre « Tree » par son installation Place Vendôme avant l´ouverture de l´exposition à la Monnaie de Paris et en faisant partie de la programmation de la FIAC 2014, à atteint son objectif : assurer la notoriété à son auteur – c´était sa première exposition en France – créer un intérêt consumériste/attirer un public de curieux -, susciter des réactions[5] variées nécessaires pour lancer la controverse (entre opposants et défenseurs de sa démarche avec l´intervention du gouvernement et du président de la république lui même). Grâce à cette hypermédiatisation, il a non seulement assuré la communication de son exposition inaugurale mais s´est acquis « gloire » et célébrité, devenant l´artiste le plus connu et « celui dont tout le monde parle » à la FIAC et dans le monde (Presse française et internationale) grâce à cette polémique savamment, suscitée, et entretenue.

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La nuit du vendredi 17 au samedi 18 octobre 2014 la sculpture « Tree » a été vandalisée avant l´ouverture de la Fiac (du 23 au 26 octobre).

Ainsi que l´affirmait Paul Ardenne, « La civilisation humaine serait-elle « extrême » ou aurait fini par le devenir »[6] ou Barbara Kruger, dans son œuvre Untitled (You destroy what you think is difference) [7] il est curieux de remarquer, à l´occasion de l´installation de cette œuvre, les limites de la tolérance sociale en France, pourtant symbolisée par sa devise « liberté, égalité et fraternité », et la contradiction manifeste de celle-ci avec l´agression –physique et verbale- de l´artiste et le rejet « absolu » de sa création.

Si bien que le public a réagi très vivement à un plug anal qui convoquait (in)directement la sexualité, sujet tabou, sans tenir compte du regard des enfants qui découvraient plutôt un sapin de noël… pourtant si ce « Tree » suscite autant la controverse alors pourquoi pas la colonne Vendôme juste à côté ? Figure phallique s´il en est. Ce qui met en évidence l´intérêt de McCarthy à mettre en parallèle la colonne et le « Tree », induisant la discussion sur la sexualité et ses multiples représentations. De cette façon, à travers sa démarche l´artiste nous invite à critiquer l´architecture monumentale du pouvoir ainsi que son inscription dans la vie collective, si nous considérons que le rapport avec le pouvoir peut aussi s´interpréter sur le mode phallique et donc être lui même sujet à controverse dans les rapports d´égalité entre genres.

 

CONCLUSION

Si dans les dispositifs que nous venons d´analyser le public crée l´œuvre autant que l´artiste, l´espace d´intervention devient donc lieu démocratique de discours et de controverses questionnant le politique au moyen de l´art. Autrement dit, L´intervention dans cet espace prédéfini, conteste et défie son ordre ainsi que ses limites et ses usages. De cette façon, l´œuvre d´art, devient un objet temporel dans un espace public, où elle peut se confronter au pouvoir pendant qu´elle fabrique de l´espace public.

D´ailleurs, les démarches interactives voulues par les artistes ont pour objectif d´établir une coopération, des interactions avec les publics qui en ouvrant l´espace où elles se produisent, impulsent de nouveaux pouvoirs critiques face à des dynamiques économiques et sociales de plus en plus massives et oppressantes. Le stratégie Ai Wei Wei, Revelo et McCarthy ont aussi en commun de susciter l´intérêt et le désir, non seulement à l´échelle réelle (du local au global) et virtuelle. Grâce à cette dernière l´artiste annule les frontières d´un espace monopolisé par une élite. Ainsi peuvent être remis en question les repères d´identification et d´appartenance.

L´artiste devient « porte-parole du peuple »[8], un hacker de l´imaginaire collectif, acteur et metteur en scène d´un débat public et objet de désir et de consommation massive après la controverse. Son œuvre, génératrice d´un espace d’échanges, de débats et de controverses peut devenir un objet d´alerte, de désir, de circulation d´information, de discussion et donc un espace public de concertation. C´est ainsi que l´œuvre d´art devient une mise en abyme avec l´espace public dans lequel elle s´inscrit. Mais quelles sont les limites de l´espace public lors de l´intervention? Et si l´espace public est en effet si complexe à définir et à délimiter -à travers la multiplicité de ses représentations et sa matérialité ou son immatérialité- sa nature ne la prédispose-t-elle pas à être déjà considérée comme un territoire de controverse avec toutes les dynamiques que cela suppose ?

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[1] Dictionnaire Larousse http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/controverse/18941

[2] Ghislaine Del Rey “Fluxus : Un temps pour la politique en art ? », Revue Noesis, Art et politique Nº 11, p.52

[3] Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat », Positions, Paris: Les Éditions sociales, 1970.

[4] Ai Wei Wei, Extrait du documentaire « Evidence », Réalisateur : Grit Lederer, minute 48´41 au 49´56, Année 2014.

[5] À ce sujet Joëlle Zask dans son article « Pratiques artistiques et conduites démocratiques » évoque que «  (…) l´art fait partie de l´articité d´une chose : ce qu´on appelle art est susceptible d´engendrer une pluralité indéfinie d´expérience, et par suite d´opinions concernant ces expériences » (Revue Noesis, Art et politique Nº 11, p.112)

[6] Paul Ardenne, « Extrême – Esthétiques de la limite dépassée », Éditions Flammarion, Paris, 2006, p.19.

[7] Barbara Kruger, Untitled (You destroy what you think is difference.), 1980
photograph and type on paper, 10 7/8 x 13 1/2 inches (27.6 x 34.3 cm).

[8] Louis Ucciani, « Art et politique », Revue Noesis, Art et politique Nº 11, p.69.

 

 

ACTIVISME DANS L’ESPACE PUBLIC

L’image peut-elle être politique ?

Quelle place pour la critique ?

Adorno affirmait que la liberté était l’essence, le concept de l’art. Or, si la « réussite » d’un artiste ou d’une œuvre se trouve dans la reconnaissance institutionnelle et/ou marchande, on peut se demander dans quelle mesure on peut parler de création « libre » ?

Si les événements de Mai 1968 semblait annoncer la révocation de nos acquis les plus vils, ce ne fût qu’un écho de la révolution de 1789. Ils ont, sans pouvoir l’anticiper, eu pour conséquence le remplacement d’une élite par une autre, abattant le vieux modèle paternaliste au profit de la finance internationale immatérielle. Herbert Marcuse annonçait en 1968, que nous étions en train de vivre la dernière critique efficace du capitalisme, son idée ne nie pas la possibilité d’autres critiques à venir, mais que celles-ci serait totalement inefficaces, notamment parce que nous sommes en train d’opérer une révolution dans l’ordre du langage qui procède du retrait de tous les mots qui permettent de nommer négativement le capitalisme, particulièrement ceux du vocabulaire marxiste – dont nous en percevons aujourd’hui la forme comme désuète ou totalitaire – pour enfin les remplacer par des mots qui le désignent positivement. Il parlait de concept opérationnel ; pour le philosophe un concept est ce qui sert à penser une situation ou un problème. Un concept opérationnel est un mot qui sert à agir sans pouvoir penser ce qu’on met en œuvre. Ils servent à mettre en place des logiques que le pouvoir veut instaurer. Par exemple « l’insertion », cela tendrait à signifier que certains sont dans la société tandis que d’autres n’y sont pas ; même un clochard sous un pont est dans la société. « L’insertion » laisse entendre qu’il y aurait des moyens de s’y prendre pour revenir dans un schéma de société limité ; le simple fait d’accepter d’utiliser ce mot permet de faire exister l’insertion…

Dans leur ouvrage, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, Eve Chapiello et Luc Boltanski ont montré comment le langage capitaliste s’était imposé dans la société. Ils ont ainsi constaté que les entités relevant un caractère de domination dans les années 60 sont devenus des entités positives. Plus exactement, les termes subordonnés ou dirigeant, se référant au cadre hiérarchique, et donc de rapport de pouvoirs se sont regroupés en un seul vocable, le salarié, permettant d’inclure tout le personnel, cadre et non cadre, sans distinction de hiérarchisation, ou encore le pouvoir devenant responsabilité. On comprend alors mieux comment la lutte des classes peut devenir l’égalité des chances, et comment la société nous inculque que notre place dans la hiérarchie sociale dépend de notre mérite scolaire. Et de la même manière, que la démocratisation culturelle est l’idée que notre place dans la société dépend de notre culture et de notre mérite culturel et donc de notre mérite personnel.

Avec la majorité des productions artistiques dépendantes de la tutelle financière, on observe une forte interdépendance entre les conservateurs, les galeristes et les artistes, menant à une planification du devenir de l’art contemporain, sous une autorité esthétique qui vide de tout esprit critique. Paul Ardenne affirmait dans son texte « L’art a-t-il une dimension politique ? », que l’artiste contemporain, quand bien même adopte un propos politique, n’est plus, et de beaucoup, l’équivalent du militant des périodes révolutionnaires.

Mené par le progrès, l’innovation constante,et recherchant à tout prix le « lien-social », ou plus exactement, le maintien de l’ordre, il est plus facile de permettre la diffusion que la création. Nous nous heurtons aux limites d’un système fondé sur une gestion économique de la culture, sur le développement d’un marché de masse, où les individus accèdent à un éventail de choix lui donnant l’illusion d’être un consommateur souverain. Ce contraste s’inscrit dans une société où l’autonomie a fait place au renforcement de l’autocontrôle. Un territoire précis donné au public, territoire de contestation occasionnel et soumis à la limite de l’enceinte institutionnelle. La critique artiste a alors été transformée pour servir le capitalisme et donc le marché de la culture, qui en l’assimilant, a pu renforcer son oppression, en s’opposant à la créativité, à la liberté, à l’autonomie. La contestation est-elle alors possible ?

L’affiche dans l’espace public

Selon Marcuse, « l’ordonnance et l’organisation de la société de classes, en modelant la sensibilité et la raison de l’homme, ont donc également circonscrit la liberté de l’imagination. (…) le pouvoir de l’imagination a subi une répression : on ne lui a permis de devenir pratique, c’est-à-dire de transformer effectivement la réalité, qu’à l’intérieur du contexte général de répression ».

Les partisans de l’art social du début du XIXème siècle, luttaient entre autres pour une réappropriation de l’espace public. Réaction contre une publicité trop envahissante, contre la destruction du paysage détérioré par la pollution visuelle. En France, Charles Beauquier crée alors la Société de Protection du Paysage en 1912, pour animer ces mouvements de contestation. Dénonçant l’affiche comme tentative d’oppression des libertés, par un capitalisme envahissant, ils veulent une réutilisation de ses potentialités. Plus exactement, une affiche purement gratuite, contemplative et désintéressée, réinvestir la rue pour éduquer les « masses ». Modèle paternaliste qui se légitimera plus tard par l’action de l’Etat dans les commandes publiques, produisant lui-même les conditions d’exercice de la liberté. Créer dans l’espace public devient dès lors réglementé, offrant en abondance les plaisirs de la culture, mais toujours lié au plaisir de la consommation.

Quelle alternative peut-il y avoir alors aujourd’hui ? L’image peut-elle être politique ?

Vincent Perrottet

« Il n’y a plus d’affichage public ; il n’y a que des messages payants. »

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Vincent Perrottet pense qu’ une « affiche pour toucher l’autre ne doit pas chercher à communiquer (terme dévoyé par la pub) mais à subvertir avec bonheur le regard ». Contre le consumérisme compulsif, il produit ainsi des images alternatives. Opposant texte et image, il lutte contre la propagande visuelle et obscène avec humour. Vincent Perrottet a collaboré avec Gérard Paris-Clavel, François Miehe et Pierre Bernad dans le collectif Grapus (1970-1990).

Son engagement politique et social l’amène à questionner son rôle de graphiste militant pour une réappropriation des signes et des formes. Refusant et luttant contre un utilisation des images diffusant une idéologie consumériste, capitaliste et libérale.

« Tout sujet qui nous donne l’envie et la possibilité de réfléchir, de créer, de s’amuser, de développer une relation de complicité avec les commanditaires et surtout qui par sa nature respecte le public et nous-même. Le choix est aujourd’hui assez simple: un(e) metteur en scène de théâtre ou d’expositions, un(e) responsable d’association ou d’organisation œuvrant pour le bien collectif, un(e) responsable de la santé publique, un(e) architecte de talent proposent plus à nos yeux qu’un directeur de marketing qui veut vendre le millionième rasoir jetable non recyclable. »

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Travaille d’abord, tu t’amuseras ensuite est une série de dix affiches, 80×100, imprimées en recto-verso, associant des photos de Myr Muratet (sans commentaire) et des mots d’ordre de Vincent Perrottet qui les décrit ainsi : « Ces affiches politiques sont l’expression de formes graphiques et de pensées résistantes “au Marché”, seul modèle économique et social proposé dans la majorité des espaces publics et privés. ». En surimpression, des textes et citations (G.Deleuze, M.Frisch…) viennent juxtaposer les mots d’ordre.

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« L’argent est roi (des cons) », « Actionnaires tortionnaires » … fonctionne comme des slogans de manifestations, et « destinées à être exposées dans des lieux publics, associatifs, éducatifs, artistiques, dans la rue et partout où il est nécessaire et possible de subvertir joyeusement le regard. ». Les citations en caractère plus fin, s’associe à la typographie imposante de Vincent Perrottet, pour argumenter et amplifier la critique. Le format des affiches qui se plient et de déplient sous la forme de tracts peuvent être données au public afin de pouvoir être transmises.

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Son engagement passe aussi par ses écrits/manifestes. En 2013, il lance une pétition en réaction à la dernière affiche réalisée pour la Fête de la musique. Contre les conditions de travail médiocres et l’incompétence des commanditaires (choisissant le tarif le plus bas), il dénonce « le système délétère qui s’est insinué dans la commande publique, nationale, régionale et institutionnelle, et rend presque impossible la productions de messages visuels de qualité ».

Sur son site, son manifeste dénonce la servilité des graphistes qui participent « dans leur travail à l’accroissement des inégalités, de la misère sociale, à la dégradation de l’environnement par la surconsommation de masse et à la résurgence du culte de la personnalité. »

Ne Pas Plier

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Fondée en 1991, l’association Ne Pas Plier, l’internationale la plus près de chez vous, lutte pour « qu’aux signe de la misère ne vienne pas s’ajouter la misère des signes ». Opérant sur le terrain de l’éducation et des luttes populaires, le collectif dénonce les rapports de domination dans la ville, notamment à travers l’outil visuel. Nous avons tous déjà été confronté à leurs autocollants « JE LUTTE DES CLASSES », ou encore « RÊVE GENERAL »… dans des manifestations, ou sur les murs urbains…

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Luttant contre le signe au service du marketing et de la consommation, le collectif, qui se définit ouvertement comme anticapitaliste et travaille dans la continuité de l’éducation populaire impulsé par Jean Guéhenno et Christiane Faure (figures de proue d’après-guerre, qui militaient pour l’éducation politique des adultes). Le travail de l’association n’est alors pas un simple repli sur soi, mais un dépassement. Le but n’étant pas d’avoir un discours paternaliste sur l’éducation des foules, mais donner les outils nécessaires pour penser la formation politique et sociale et donner les moyens pour penser la démocratie et la comprendre, et cela passe aussi par la réappropriation de l’image. Alors que Decaux, détermine les endroits pour afficher, ainsi que le format, l’association lutte pour une réappropriation de l’espace.

« Il faudrait réaffirmer ce pour quoi on est partisan de manière à redonner un imaginaire à la politique. » Cette phrase de Gérard Paris-Clavel (membre fondateur de l’association) dans Formes Vives, illustre parfaitement les affiches réalisées. Leur but n’étant pas seulement d’être dans la négation , mais de proposer d’autres formes pour lutter. Ainsi, l’humour et les jeux de mots accompagnent leurs affiches, se servant du graphisme pour développer leurs idées politique. Ne Pas Plier partage ainsi leur engagement de la pratique artistique et des luttes sociales dans une critique radicale des mécanismes d’exclusion. La nécessité de résistance citoyenne passe autant par leur affiches que par leurs actions sur le terrain.

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Les ANTI-PUB

Actions plus radicale et brutale, contre la dégradation de l’espace public par le marketing, les collectifs des « anti-pub » créent une voie de résistance face à l’invasion publicitaire. Proche, sinon complémentaire du courant altermondialiste « No Logo » porté par Naomi Klein, ou encore d’Ad-buster, dénonçant l’effet dévastateur des marques à l’échelle mondiale.

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Manifestant leur animosité face à la publicité qui nous est massivement imposée, ces divers collectifs créent des « actions coup de poing »pour se réapproprier l’espace public., aujourd’hui considéré comme un bien exploitable.

« Notre espace public est devenu la proie d’une poignée de transnationales qui sont à la tête de l’économie de marques, avec son cortège de maux planétaires : délocalisations, exploitation éhontée du tiers-monde, marchandisation des ressources naturelles, de la culture, et, pour finir, des êtres humains eux-mêmes. »

Né en octobre 2003, le collectif Stopub composé de plus d’une centaine d’activistes, artistes, enseignants procède à des opérations commandos illégales dans les couloirs de la RATP. Partisans de l’action directe, le mouvement qui a connu une grande popularité lors de leur premières actions a aussi essuyé une importante vague de répression policière et judiciaire.

En effet, né de l’action « peinture noire », mené par la Coordination nationale des intermittents, réunie à Marseille le 10 octobre 2003, les activistes proposent une série d’actions contre le protocole de la réforme de l’assurance-chômage. L’appel à recouvrement se fait dans tous les milieux, par envoi de d’e-mails renvoyant au site internet Stopub.

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« Face à cette mainmise annoncée sur nos services publics, nous déclarons publiquement que nous allons attaquer le carburant de cette marchandisation : la publicité. Elle envahit nos espaces publics, la rue, les métros, la télévision. Elle est partout, sur nos vêtements, sur nos murs, sur notre petit écran. Résistons avec des moyens créatifs, pacifiques et légitimes. »

Ainsi, à l’occasion d’une manifestation à Paris, les participants recouvrent les abribus, les panneaux Decaux de papier arborés de slogans multiples. Les jours suivants les actions se multiplient, et les activistes se réunissent dans différentes lignes de métro (Saint-Lazare, Montparnasse, Nation…) et répartis en groupes, ils investissent les quais en marquant d ‘une grande croix noire chaque affiche. Par dessus, chacun est libre de coller ou d’écrire ce qu’il veut : « L’idéal de beauté est éphémère » ou « Tu consommes, tu es une pomme »…

D ‘après André Gattolin, la régie publicitaire de la RATP, Metrobus a chiffré à 2440 les affiches dégradées. Les opérations se succèdent, et la RATP décide de porter plainte contre X. Metrobus exige la fermeture du site Stopub par l’hébergeur en lui imposant de lui donner les noms des responsables, que le Tribunal de Paris lui assignera. Ce qui ne fera pourtant pas fléchir le mouvement, qui se décentralisera à Rouen, Lyon ou encore Grenoble.

Exutoire au insatisfactions sociales, ces manifestations collectives se multiplient de manière plus autonomes, et même si ces actions ne sont en rien novatrices, il est intéressant de soulever le caractère informel de ce collectif, qui n’est ni une association, ni même une organisation structurée. Le but étant d’opérer sans commanditaire hiérarchique, l’entité devient virale et forme une auto-organisation.

 


 

 « Les médias tactiques ne se contentent pas de rendre compte des évènements, jamais impartiaux ils y prennent toujours part. Et c’est cela, plus que tout autre chose qui les distinguent des médias dominants »

Geert Lovink et David Garcia, ABC des médias tactiques, 1997

 

Dans cet entrecroisement de nouvelles militances s’ouvrent des changements radicaux qui réinterroge la place d’un art « ornement de la société de consommation ». Les artistes ici infiltrent les médias en les détournant, entre geste artistique, geste communication et geste militant. L’art n’est pas leur objet, mais ils puisent dans la subversion pour inventer de nouveaux champs, entre manipulation et performances. Un espace ouvert et collaboratif s’ouvre ainsi pour de nouveaux enjeux sociaux et environnementaux.

Les graphistes militent ainsi pour une image politique, qui n’est pas simplement le reflet de la « fétichisation marchande de la ville ». Le but étant de construire des images alternatives, la création peut ainsi impulser des idées révolutionnaires. Les activistes antipub, par une action plus radicale, se réapproprient l’espace public contre la propagande visuelle et totalitaire. Il faut ainsi relever que pour la première fois une grande ville, ne renouvelle pas l’appel d’offre pour l’affichage publicitaire. Ainsi Grenoble a arrêté son contrat avec Decaux choisissant de mettre en place un chantier pour de nouveaux espaces verts.

Ces acteurs sociaux participent à eux trois au détournement de l’image comme force symbolique, invitant les citoyens à être eux aussi acteurs pour ne plus accepter l’artefact de la communication qui déconstruit les relations sociales en prônant la liberté de consommer. L’espace public est un espace réglementé, et par la même, l’art public. En ce sens, l’artiste n’est jamais réellement libre. Il convient alors de se réapproprier ces espaces, même si cela peut passer par la force.

 


Bibliographie

Theodor W. ADORNO, Théorie esthétique Paris, Klincksieck, coll. Esthétique, 1995

Luc BOLTANSKI, Eve CHAPIELLO, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, Paris, Editions Gallimard, coll. nrf essais, 1999

Herbert MARCUSE, L’homme unidimensionnel, essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, Paris, éditions de minuit, coll. Arguments, 1968

Maryvonne PREVOT, Nicolas DOULAY (sous la dir.), Activisme urbain : art, architecture et espace public,  »L’information géographique », Armand Colin / Dunod, 2012

Raoul VANEIGEM, Nous qui désirons sans fin, Paris, Gallimard, coll. Folio/Actuel, 1996


Cléa Ah-Ti