L’illégalité comme stratégie d’intervention artistique dans l’espace public

banksy_clipstone_crop

2. INTRODUCTION
Certains artistes ont choisi de travailler dans l’illégalité et de continuer à l’utiliser
comme stratégie pour avoir la liberté d’exprimer leurs messages à travers leurs
œuvres.
En refusant de rentrer dans le modèle imposé par le système, ils profitent de l’illégalité pour avoir un plus grand impact et être reconnu dans la société. L’idée est de montrer à travers certains exemples spécifiques, comment cette stratégie de reconnaissance fonctionne également comme une « campagne publicitaire » parfois même toute en restant anonyme.

a) L’art public, le Street art et l’espace

Le Street art participe au processus de métamorphose de la ville. Il dialogue avec
l’environnement urbain et contribue à l’élaboration de la culture visuelle de la cité.
L’art public autant que le street art peuvent exprimer les structures culturelles d’une ville de façon ludique et critique. Ces deux types d’art sont conçus pour la ville, un tissu complexe qui peut être perçu comme un ensemble dans lequel des objets, des lieux, des personnes et le temps interagissent. Cependant, il existe nécessairement des différences entre ces deux genres d’art. Le Street art se distingue de l’art public principalement par son illégalité, par ce qui motive ses auteurs, ainsi que par les moyens utilisés et les lieux de diffusion.
Dans le milieu du street art et du graffiti, il n’existe pas de consensus quant à la nécessité ou non de rester dans l’illégalité. La plupart des artistes ont commencé dans la clandestinité et ce sont les risques, la décharge d’adrénaline et la dose de provocation exaltants dans cette pratique qui donne le résultat des œuvres. Ces artistes apprécient les notions d’authenticité, de fidélité et de contrôle que l’illégalité du street art véhicule. Certains désirent que cette expression artistique continue à être exécutée clandestinement vu que son illégalité et son caractère énigmatique sont excitants et ajoutent beaucoup de plaisir et d’adrénaline. D’autres comme Miss-Tic décident de rentrer dans les galeries et, tout en gardant leur sens exécutent des œuvres légalement, ce qui leur permet de faire carrière.

MissTic1
L’art public comme le Street art peut être vu dans une multitude des lieux tant extérieurs comme intérieurs et sauvant il est le résultat de commandes publiques qui cherchent à améliorer la ville.

« La difficulté que pose la notion d’art public résulte de l’absence de consensus quant à la définition même d’ ”espace public”. L’art qui est donné à voir dans des espaces publics ne pouvant être définis comme des lieux d’exposition fonctionne et est perçu différemment de l’art qui est produit en vue d’être présenté dans des galeries ».
Street art et graffiti Anna Waclawek

grafico epacio (1)

En tant que pratiques artistiques non autorisées se manifestant dans l’espace public, le graffiti et le Street art mettent en évidence le fait que l’art public est tout aussi politique que l’espace dans lequel il se trouve. Le Street art contribue à la création d’espaces en s’emparant dans le paysage urbain d’un lieu et en amenant la population à faire l’expérience de l’art. En s’invitant illégalement dans la ville, le Street art déplace la frontière entre utilisation publique et utilisation privée de l’espace.
Parmi les artistes dont la démarche met fortement en lumière le pouvoir communicatif de l’art dans la sphère publique, les exemples suivants nous intéressent:

3. EXEMPLES SPECIFIQUES

a) BLEK LE RAT

Est un artiste urbain français, pionnier de l’art urbain, tutélaire du pochoir qui commence en 1981 en faisant de petits rats dans les rues de Paris et progressivement passe à des figures plus grandes. Suite à des problèmes avec la justice en 1990 il décide de ne plus intervenir directement sur les murs mais de coller des affiches peintes au pochoir et découpées.
Dans ses origines BLEK LE RAT faisait des pochoirs de rats partout dans Paris car comme il explique: « c’est le seul animal libre dans la ville et il propage la peste partout, tout comme le street Art « .

blek-le-rat-blek-le-rat
Pour BLEK LE RAT, qui expose aujourd’hui dans des galeries, le plaisir qu’il éprouve à travailler dans la rue est de toucher un public bien plus vaste.

« Le problème avec les galeries, c’est que 99% des street artistes se servent de l’art
urbain comme d’un tremplin pour entrer dans les galeries. C’est une erreur fatale, car leurs œuvres sont vues dans les galeries par une quarantaine de personnes, et dans les musées par une dizaine de visiteurs, alors que, dans la rue, c’est une centaine de milliers de personnes qui les voient. Et c’est ce qui donne toute son essence à une œuvre, c’est le fait d’être vue et non pas d’être vendue ou reconnue comme une œuvre d’art dans un musée, c’est d’être vu par des gens ».
Street art et graffiti Anna Waclawek

Dans une interview réalisé par Sophie Pujas BLEK LE RAT rat parle de son rapport par rapport à l’illégalité et la réappropriation de l’espace comme une prise de possession de Paris :
Oui, je voulais exister dans la ville ! Je cherchais une identité dans l’anonymat qu’engendre la ville. On avait tous à l’époque le désir de devenir célèbres, on faisait de la musique, mal – on avait appris à mal jouer de la guitare avec des rêves plein la tête… Je pense que le graffiti m’a servi de thérapie pour trouver ma propre identité. Cela me plaisait de laisser une image dans la rue quand je savais que des milliers de gens le lendemain matin auraient vu cette image, et certainement en parleraient tout en se demandant.

Suite à une condamnation en 1992, vous avez d’ailleurs modifié votre mode d’intervention…Oui. Je continue à peindre les murs à la bombe mais sur des murs légaux. Sinon, je colle des affiches que je travaille préalablement dans mon atelier. Vous ne pouvez pas risquer continuellement des sanctions qui dépassent la mesure. J’ai l’impression que l’État craint plus les graffiteurs que les dealers ! Certainement parce que l’art libre dans la rue est plus provocateur et plus dangereux pour le pouvoir. Justement parce qu’il est libre.
Bien que BLEK LE RAT continue à travailler dans la rue illégalement, il rêverait de pouvoir intervenir dans l’espace public sans le stress que cela provoque, donc de pouvoir travailler avec autorisation.

Son travail prend un sens grâce à la rencontre du public avec l’œuvre, et plus il y aura de monde, plus grand sera son impact, ses créations sont visibles sur les murs dans le monde entier, et d’ailleurs il expose aussi dans des galeries.

hot-rats-1

b) MISS-TIC

Dans le cadre du cycle de conférences « Métiers de l’art contemporain, enjeux pratiques et théoriques A » de Mr. FIGUERES. Le Jeudi 21 Novembre à l’université de Paris 8.

Miss-Tic est une des premières femmes qui a commencé à travailler comme street artiste en France.

l-art-et-la-vie-2_HOME1

Après avoir voyagé deux ans en Amérique du nord en 1985 pour s’imprégner des mouvements Hip-Hop et graffiti à L.A. puis en Amérique Latine avec l’art politique et le muralisme de Diego Rivera elle est rentrée en France. Elle crée des pochoirs dans lesquels elle met en scène ses personnages féminins la plupart du temps, accompagnés de phrases mi-sérieuses, mi-ironiques, avec une typographie propre à elle sur les murs de la ville de Paris comme la Butte aux cailles dans le 13ème, Belleville et Ménilmontant dans le 20ème et aussi dans le Marais dans le 4ème, arrondissement.
En 1997 Miss- Tic a des problèmes avec la justice et le jugement la déclare coupable et la condamne à payer 5000 Francs (762 Euros) d’amende. Suite à cet épisode, elle décide de changer de méthode de travail et commence à travailler sur commandes et sur les appels d’offre et aussi a demander l’autorisation aux propriétaires des murs.
Aujourd’hui son travail s’expose dans les galeries et certaines de ses œuvres ont été acquises par le Victoria and Albert Museum, à Londres et le Fond d’art contemporain de la ville de Paris. Elle a aussi collaboré avec des grandes marques de luxe comme Louis Vouitton et Longchamp.

misstic_grain miss_tic-brugier_rigail-8-skeuds

Je m’intéresse à la rue car elle est la voie du populaire, du public. Elle permet d’atteindre tout le monde avec ma poésie. C’est un geste politique dans le sens d’une volonté de s’adresser à tous, c’est une poésie démocratique. De même que la rue est un lieu de promotion, j’ai aussi commencé ce travail dans le but de me faire repérer par des professionnels, dans le but de pouvoir exposer un jour.
Je ne suis pas une pure « street arteuse ». Les gens ont toujours tendance à vouloir vous enfermer dans des boîtes. Ils ne comprennent pas que vous puissiez être multiple dans votre création, que vous puissiez exposer, être dans la rue, etc… Je refuse que l’on m’enferme dans la rue. Souvent on présente mes expositions en disant « 1ère exposition de Miss Tic ! », or ça fait 22 ans que j’expose ! Street Art – Miss Tic, entretien. 2009.

On peut constater clairement comment l’illégalité du début de la carrière de Miss-Tic fait partie de son parcours artistique. Comme elle l’affirme précédemment, son but a toujours été de se faire reconnaître et de vivre de son art. Même si elle a quasiment disparu de la rue, aujourd’hui on la retrouve chez les galeristes, dans des musées et encore dans des publicités telle que UCAR véhicules de location.

logo

c) BANKSY / STEALING BANKSY?

BANKSY
C’est un vrai phénomène. Banksy est le pseudonyme d’un artiste de rue anonyme de Bristol qui est devenu populaire internationalement à la fin des années 1990, et un artiste polyvalent. Il joue les usurpateurs et les provocateurs, interpellant les citoyens sur la condition humaine, le tout avec une bonne dose d’humour et de second degré.

sb_flyerSTEALING BANKSY?
C’est le titre de la plus chère exposition consacrée à Banksy à Londres. Elle présente des œuvres restaurées qui ont été vendues au mois d’avril l’année dernière. Dirigée par le commissaire d’exposition Tony Baxter, l’exposition est composée de 8 pièces qui incluent la plus connue “No ball games”. L’entreprise Sincura Group est à l’origine de la controverse. Depuis plusieurs années, elle « démonte », dans la rue, de nuit, à l’aide de perceuses et de marteaux piqueurs , des graffitis du plasticien britannique pour les mettre sur le marché. L’art de rue peut-il être vendu aux enchères ? C’est la question que sous entend cette exposition, sans vraiment avoir de réponse, le seul chiffre et unique résultat dont on dispose étant qu’en juin dernier, les enchères ont atteint 800.000 euros.

http://stealingbanksy.com/GIRL_WITH_BALLOON.html

La polémique est servie. Déjà le titre de l’exposition parle de l’idée de s’il est légal ou non que cet artiste intervint dans des propriétés urbaines privées, et que cette
compagnie s’occupe à enlever et à restaurer ses œuvres.

http://stealingbanksy.com/HOW_WE_DO_IT.html

 » Nous n’avons jamais approché qui que ce soit pour l’inciter à retirer un Banksy », se justifie Tony Baxter (directeur du Sincura group et organisateur de l’exposition).  » Cesont les propriétaires de ces murs qui sont venus à nous. Ils n’ont jamais voulu de ces œuvres sur leurs murs. Avoir un Banksy sur votre mur, c’est risquer de voir votre bâtiment classé et de ne plus pouvoir y toucher, cela lui fait perdre de la valeur et vous ne pouvez plus le revendre ».

6

La célèbre “petite fille au ballon” a donc quitté l’Est londonien pour rejoindre les galeries luxueuses de la capitale britannique, un peu comme Miss-Tic mais sans le vouloir et à travers une entreprise de démolition artistique, que l’artiste déclare clairement comme « déplorable »:

« This show has got nothing to do with me and I think it’s disgusting people are allowed to go around displaying art on walls without permission.” Banksy

 » Cette exposition n’a rien à voir avec moi et je pense qu’il est déplorable que les gens aient le droit d’exposer partout de l’art sur des murs sans permission.  » Banksy

http://stealingbanksy.com/

Mais, malheureusement pour interdire à ces expositions d’avoir lieu, il faudrait intenter une action en justice et donc révéler son identité : un prix trop lourd à payer pour l’artiste dont la liberté réside dans l’anonymat.

Le projet Stealing Banksy explore les questions sociales, légales et morales entourant la vente d’art de la rue. « Quoique nous ayons été accusés de beaucoup de choses pendant ce projet, nous ne volons pas d’art, nous ne fermons pas les yeux non plus sur des actes de vandalisme voulu ou le vol. Nous ne possédons pas les pièces d’art, ni encourageons leur déplacement et n’avons jusqu’à présent fait aucun gain financier des ventes d’art de la rue. Si assignés pour gérer une œuvre d’art nous assurons le sauvetage, la restauration et la vente est effectuée d’une façon professionnelle et compréhensive », explique Sencura Group.

banksy_no-ball-games

14015993903_c0601509a1

Qu’il s’agisse de graffiti ou de démontage de murs, tous deux illégaux, le premier étant de peindre sur un mur, le second parait un peu démesuré puisqu’il s’agit de démolir de nuit les murs, support des œuvres pour les exposer et les vendre à des prix exorbitants. Un paradoxe intéressant. La compagnie allègue qu’ils le font pour pouvoir les conserver et les restaurer.

Banksy se refusant à alimenter le marché des enchères, certains se servent directement dans la rue. Le renversement de situation a ici quelque chose de comique… les vandales ne sont plus ceux qu’ils étaient jadis. Le Street art ayant acquis sa légitimité, les pochoirs célèbres sont passés du statut de souillures à celui de patrimoine urbain collectif. Ceux que l’on désigne aujourd’hui comme vandales sont les nettoyeurs de murs ou, de façon plus radicale, les arracheurs, une pratique qui semble prendre de l’essor. Les Street artist constatent de plus en plus que leurs interventions urbaines ont un destin marchand qui leur échappe.

bring back our BANKSY

Attention donc à la provenance des œuvres avant de vous porter acquéreur. Banksy a par ailleurs mis en place un service d’authentification baptisé Pest Control, seule structure habilitée par l’artiste à vendre ses œuvres.

4. CONCLUSIONS

L’illégalité génère une controverse et cela un intérêt qui peut être commercial, publicitaire ou de reconnaissance. C’est une dualité car il n’existe pas un marque légal.
Ironiquement le désir de l’illégalité rend ces artistes plus visibles et plus connues, c’est alors quand cette illégalité prend une posture de stratégie dans l’intervention de l’espace et une controverse se crée en donnant un suite un intérêt beaucoup plus fort.

Pendant ces artistes transforment ce vandalisme illégal en art, pour l’institution, doit être censuré et ces activistes croisent les frontières politiques de l’art avec l’impétuosité clandestine d’un étranger illégal.
Les limites du concept d’illégalité devient ambiguës car le statue donnés à ces actes témoignent un conflit d’intérêt institutionnel dans la mesure que tout ce qui à été considéré auparavant par ceux-ci comme du « vandalisme » est reconnue en suite comme « légitime » car il suscite un intérêt général.

Cette stratégie dès le débu sensé être contestataire, activiste et libre mais paradoxalement elle est accompagnée des éléments comme la controverse et l’intérêt que celui-ci amène, pour en suite devenir une stratégie commerciale, d’autopromotion et finalement mercantile.

En se posant la question de l’illégalité on est amené à se poser aussi la question concernant le droit. Selon le pays le statut de l’œuvre et sa définition en soit changent. Cette polémique nous conduit à nous demander à qui appartiennent ces œuvres, l’artiste ou le propriétaire des murs? est ce un bien privé ou un patrimoine public?
En France, une œuvre publique est indépendante de la propriété de son support. Le propriétaire du support n’est jamais propriétaire de l’œuvre.

Margarita Maria Bohorquez G.

Master 2 Art contemporain et nouveaux médias