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L’Olivier fugitif

Article publié le : Lundi 4 juin 2012. Rédigé par : marc-antoine

 

“Fictionner le réel, introduire des fables dans le
mouvement de la ville pour le faire apparaître tel qu’il est, pour
l’exposer, telle est la fonction du marcheur, ce créateur de mythes,
ce bricoleur de récits, cet inventeur toujours en circulation dans les vitesses
entremelées de la mégalopole qui éprouve la violence
de la réalité urbaine et la met à l’épreuve.”
Thierry Davila, Marcher/Créer

Samedi 26, un petit olivier est transporté de Saint Denis à Paris La Défense pour effectuer le tour du quartier. Derrière la simplicité graphique de sa forme et l’aspect croquignolet de son innocence, l’arbre cache l’objectif d’une petite caméra-espionne.
Toute l’après-midi, la promeneuse tire le poids de l’arbrisseau corde en main, tentant de repeindre dans son parcours, de la Grande Arche à la statue puis face au cimetière, l’architecture industrielle du quartier de la Défense. La vidéo de la performance alterne les images capturées de deux caméras:
La  1ere est la caméra-espionne, située au dos de la plante. La seconde reporte l’action de manière plus extèrieure. La confrontation de ces deux points de vue laisse aux spectateurs le soin de comparer le regard des passants au regard impersonnel de la camera espion et permet de repenser l’enjeu d’une telle infrastructure.

 

Pourquoi avoir choisi un olivier comme objet de déplacement?
L’intention était de pouvoir visualiser le paysage à partir d’un arbrisseau. C’était une façon de confronter l’architecture de la Défense à une plante d’un pays chaleureux et qui a une toute autre connotation:
Il est vrai que les premières villes dont l’histoire nous fait part, choisirent l’Olivier comme un symbole élémentaire, mais contrairement à l’agglomération de la Défense, les oliviers, aussi petit soient ils, sont essentiels pour les hommes, ils incarnent également l’immortalité.
C’est cette confrontation que nous avons voulu questionner.
L’olivier se déplace librement dans un espace fréquemment surveillé. Je ne te cache pas que la plante fait référence à l’oxygène, au souffle, elle apporte au paysage un air d’outre mer.

Pourquoi avoir décidé de tourner cette vidéo le week-end?
Choisir d’aller le week-end à la Défense, c’était comme offrir à ce territoire une seconde chance. On ne pensait pas qu’il pouvait s’y dérouler quoi que ce soit : On le voit habituellement comme un lieu mort, sans couleur, froid et insipide.
Le week-end, le bruit avait changé sur l’esplanade, les enfants jouaient, le son n’était pas celui d’un centre ville urbain mais celui d’un lieu habité ou d’un parc. Ce n’était plus un simple lieu de passage.

Dans la vidéo, on sent que ce n’était pas si facile de tirer l’olivier, quel était le problème exactement?
Je pensais que j’avançais lentement mais que la plante avançait vite comme si elle courait. Il fallait gérer l’équilibre de la plante et de mes pas vu que j’étais de dos presque tout le temps. C’était une épreuve.
L’épreuve est non seulement physique mais émotionnelle.

Vous n’aviez pas le trac au milieu de la foule?
J’avais une responsabilité envers cette plante car elle allait vite à cause des roulettes mais moi doucement. Toute mon attention était tournée vers elle. Je n’ai pas pu vraiment observer les déplacements des gens car j’avais une mission qui était de veiller sur la plante. C’est surtout le son qui m’a donne un indice sur la présence des autres: enfants, vieux, personne de tout âge, et la sensation des regards qui se braquaient sur moi.
Je n’ai pas eu peur car comme j’étais immergé dans mon propre rôle, je me suis évadée de ce type de peur. A propos de la plante, on m’a même demandé : « c’est ton chien ou quoi ? »

“La ville est un espace favorable à toutes sortes de rencontres possibles,
elle est propice à l’accident. Celui qui se promène dans la rue
est quelqu’un hors de tout contrôle, quelqu’un qui peut, à n’importe quel moment, exploser.” Francis Alÿs

Les regards des gens et parfois leurs rires se faisaient sentir pour ma part. L’espace a beau être grand mais il y a quand même un type de proximité qui se crée car les autres, tout comme moi sont en déplacement, parfois nos chemins se croisent et on se retrouve connecté.
Par exemple, les enfants qui jouaient ont décidé de ne pas aborder tout le territoire du passage, un peu comme une forme de respect envers mon action.

Avez vous observé des choses surprenantes durant la performance?
Mon but n’était pas d’observer c’est plutôt les autres qui ont fini par m’observer.
A un certain moment , trois personnes ont forcer mon attention. Je leur ai expliqué que ce n’était pas le moment mais l’un d’entre eux a parlé de l’olivier. Tout de suite, il m’a semblé intéressant de laisser ce personnage involontairement participer au projet.


Quelles étaient les intentions de ce projet ?

D’abord, nous avons imaginé un arbre à la Défense. Puis, nous avons imaginé la Défense vue à travers les branches d’un arbre.
Finalement, le dispositif mis en place nous a permis d’effectuer trois choses en même temps:
Autant nous confrontions la plante au paysage dit futuriste de la Défense, autant nous expérimentions ce qu’était filmer en toute liberté en ces lieux très surveillés. Et puis, il y a la relation qui se créer entre la performeuse et les passants grâce à la plante: En fait, l’arbrisseau impose à la fois la proximité et le respect distant; limite que le passant pourrait entraver si nous tirions un animal domestique ou une sculpture. C’est cette distance qui nous a permis de filmer. Et puis, évidemment, nous appréhendions l’objet fini de la vidéo.

Le trajet effectué avec la plante était t-il prémédité ?
Le trajet de la performeuse était linéaire, elle ne circulait jamais en diagonale. Toujours en lignes droites. Le monde là bas en weekend circule de manière complètement aléatoire étant donné l’étendue de l’espace et son aménagement public épuré.

Et le filmage?
Celui de la plante ne pouvait pas être complètement prévisible malgré les quelques tests effectués auparavant; les dessins et simulations que nous avions imaginé.
Quant au point de vue externe, ce n’était pas évident de filmer la performeuse car il fallait à chaque fois repérer des points de prise de vue, mettre au point et attendre longtemps sans trépied, ce qui exigeait de rester dans la même position et surtout de veiller à la discrétion.

Vous filmiez donc par petits bouts?
Oui déjà parce qu’il n’y avait qu’une seule caméra et qu’il fallait changer de point de vue afin d’exprimer le rapport entre le déplacement de la performeuse et l’espace représenté. Ensuite car les gens qui n’ont rien à faire ont tendance à se méfier des mecs qui filment tout le monde pendant des heures et il était préférable d’être bref et discret. La discrétion est également primordiale vis à vis du performer. Je faisais en sorte d’être le plus absent possible de son champ pendant qu’elle marchait, de ne pas la gêner.
Il fallait presque se faire oublier mais au rendu, qu’on comprenne ce qu’il se passe: Que fait cette femme avec sa plante? Quels sont les lieux qu’elle traverse? Ensuite, ce n’était pas évident de construire quelque chose tout en filmant sur le vif, d’anticiper à chaque étape sur un nouveau point de vue, sans contre-jour et qui ne soit pas occupé par des groupes de personnes. Évidemment, une grande partie du travail a été réalisée au montage ou il a fallu sélectionner les séquences les plus importantes et les condensées. Enfin, rendre compte au rendu des différentes temporalités.





L’Olivier fugitif – Série photographique – Paris La Défense, 2012