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« Il est vrai qu’en parlant quelque chose s’apaise.
C’est comme aller le long des routes
jour et nuit à notre façon et sans but. »
Lorenzo Mondo, Cesare Pavese

« Au fil de la marche » est un enchevêtrement d’émotions et de mots. Le projet articule une image fixe et un montage vidéo ici. Fil de réflexion déroulé sans canevas de manière intuitive et sensible, il offre plusieurs niveaux de lecture. Il fait interagir plusieurs notions telles que celles de lien, de cadre, de mouvement et interroge le passage entre l’inspire et l’expire, le visible et l’invisible, le conscient et l’inconscient, l’intimité et l’extériorité, la peau et l’architecture urbaine. Présentant un homme « défilant » d’un bord à l’autre du cadre en un seul et même sens, la vidéo met en avant l’aspect inexorable du passage du temps. Si minime et imperceptible soit-il, le mouvement du corps fend l’espace et engendre un tourbillon d’air. Cet aspect se trouve renforcé par l’avancée du personnage à contrevent.

Ce mouvement d’air fait écho à celui de la respiration, l’inspire et l’expire forment le souffle et constituent une circulation vitale, à la base de toutes les autres. Respirer est un réflexe automatique auquel nous ne pensons pas la plupart du temps, inspirer l’air puis le rendre à l’espace, recouvre un aspect vivifiant. Il est possible de comparer ce phénomène avec la manière dont nous recevons ou nous accueillons les événements de la vie. Qu’elles soient passées, présentes ou à venir, nous ne pouvons sous-estimer l’influence de nos expériences personnelles sur notre démarche. Les événements du monde extérieur agissent sur notre corps et notre âme, que ceux-ci soient naturelles (vent, pluie, luminosité…) ou bien mentales et culturelles (relations sociales, relation à l’espace urbain, à la ville et à l’architecture).

La marche favorise une perception différente du monde, de soi-même et des autres. Elle est jouissance du temps, des lieux, « une dérobade, un pied de nez à la modernité. Elle est un chemin de traverse dans le rythme effréné de nos vies, une manière propice de prendre de la distance et d’affûter ses sens. ». À condition d’abandonner une partie de ses habitudes, la marche est une passerelle pour entrer en résonance avec soi. Le déplacement qu’elle opère est un geste libérateur qui met la pensée en en marche et permet non seulement d’explorer et de s’inscrire son environnement extérieur mais également d’entrer en contact intime avec soi-même. Marcher permet de se détacher de ce qui tourbillonne dans sa tête, de lui donner corps et de faire émerger de nouvelles connexions mentales qui sont autant de liens, de ligatures et de cicatrisations possibles. Les notions du rythme, du pas et de la respiration sont intimement liées. Chaque individu détient une manière personnelle de respirer et de se mouvoir. Notre façon de marcher nous identifie, elle constitue une signature personnelle de notre inscription dans l’espace.

Le pas sage...

La vidéo tente de saisir et d’inscrire une marche dans l’espace et le temps. La problématique qui ressort de cette captation est celle du rythme de l’existence. À quel rythme marcher ? À quel rythme traverser l’espace ? À quel rythme respirer ? Enfin à quel rythme vivre ? Matérialisé par le fil blanc, la respiration est comme un fil continu dont il s’agit de ne jamais couper l’unité. Outre la circulation d’air, la respiration et le souffle sont une circulation de l’énergie et de la vie en nous. Ces circulations sont présente sous différentes formes dans la vidéo, le fil conducteur blanc fait autant écho à une ligne de vie qu’à un fil de suture.

Marcher consciemment est un exercice de réflexion au cours duquel il s’agit d’allier le corps et l’esprit pour franchir l’espace. Et ce franchissement fait inévitablement jaillir le passage du temps.