Walking the line

Projet par Martina Margini (vidéo, images, son)

titre-bas

Le texte suivante explique les motivations qui m’ont poussé à élaborer ce projet, la vidéo que vous trouvez à la fin représente un résumé de toute mon expérience et montre la documentation photographique de ce voyage atypique. Mes paroles sont importantes pour comprendre mon procédé, mais je trouve que parfois les images expliquent sans rien dire beaucoup plus des concepts, c’est magique. Si les longs textes vous annuient, vous pouvez accéder directement à la vidéo par ICI.

 

MOI

Ce projet représente une transposition par images de ma vision intime de la ville de Paris.

Je vis dans cette ville depuis plus de deux ans. Avec le temps, j’ai développé un rapport très personnel avec la géographie de son territoire. A tout ce que je vois autour de moi, je rajoute mes souvenirs, mes idées, les idées des autres qui m’ont influencée, mes habitudes, mes amours et mes parcours quotidiens.

Vivre la ville quotidiennement c’est marquer son territoire, à travers nos déplacements (où l’être statique) et la façon dont on s’approprie des lieux. Vivre dans une grande ville comme Paris signifie souvent avoir la nécessité d’utiliser le transport public, une façon très pragmatique et rigide pour voyager qui nous force à calquer toujours les mêmes trajectoires avec centaines d’autres personnes. Notre parcours n’est pas unique, mais répétitif et préétablit.

LE PLAN

J’aime beaucoup étudier les plans des villes, regarder comment ils se structurent, comment l’avancement du temps en influence la conformation urbanistique, comment ils s’agrandissent et à quel point leur limites est élastiques et variables. Avec les temps, les plans témoignent avec leur vision généralisée des tous petits changements qui se manifestent à plus petite échelle au niveau de la rue. Certaines zones de la ville sont retracées, des quartiers disparaissent et des autres sont bâtis à les remplacer.

La ville de Paris, depuis sa naissance, se diffuse autour d’un rythme circulaire, qui a comme centre la Seine, l’île de la Cité et de l’île de Saint Louis. On peut voir très bien le phénomène de développement de la ville à l’aide des anciens plans à partir du Moyen Age jusqu’à nos jours.

Paris est notamment une ville courbée. J’ai drôlement constaté depuis mon arrivé à Paris, de n’avoir jamais visité une maison où un appartement qu’était complétement droit. Il y a une étrange tendance à la difformité dans ces bâtiments sculptés par le temps. Dans la rue on ne peut pas contredire cette constatation. Les plus grandes artères de Paris se développent sur des lignes courbes, elles se touchent entre eux en produisant des angles que rarement touchent les 90° degrés. Paris est une ville elliptique qui se développe sur une forme de grande spirale morcelé.

Une autre constatation que, grâce à l’utilisation constante de mon vélo, j’ai pu confirmer, c’est que Paris est comme une vallée. La ville est assez plate à son centre pour après remonter en hauteur lorsque on se rapproche à ses bords. Paris est comme un bassin, et cet élément ne fait qu’accentuer la sensation de constante ellipticité qui l’identifie.

Schermata 2013-05-19 a 11.43.40

Plan de l’altitude de Paris au long de section horizontale

Si jamais je parcoure un itinéraire pour arriver à un point particulier de la ville depuis ma position, ce que je ferais sera faire confiance à ma connaissance du territoire et chercher toujours de m’orienter pas rapport à mes repères. Mon parcours sera assez complexe, difficilement ces lignes pourront ressembler à des vecteurs, des lignes précises.

« Les pratiquants ordinaires de la ville vivent ‘en bas’, derrière la seuil d’où la visibilité commence. Ils marchent – une forme élémentaire de cette expérience de la ville ; ils sont des marcheurs. Wandersmanner, leurs corps suivent l’épaisseur et l’amincissement du texte urbain qu’ils écrivent, sans être capable de le lire. (…) Les réseaux crées par leur déplacements, en croisant leur textes, compose une histoire collective qui n’a aucun auteur ni lecteur, sculpté depuis les fragments des trajectoires et altérations d’espaces : en relation à la représentation, ça reste quotidiennement et indéfiniment autre »[1]

Mon défi, une idée que j’ai en tête depuis un moment, c’est de parcourir une trajectoire préétablie et très simple (conceptuellement): marcher sur une ligne qui coupe horizontalement en deux la ville de Paris, d’est à ouest, en marchant.

« L’espace existe dans sa signification sociale seulement pour les activités – pour (et en vertu de) marcher où voyager »[2]

Ligne horizontale qui coupe Paris en deux depuis son centre

Ligne horizontale qui coupe Paris en deux depuis son centre

Me forcer à parcourir une ligne toute droite, sans détours, me force aussi à éviter d’associer mes souvenirs et repères avec mon parcours. Je pourrais même dire que je risque plus de me perdre en réalisant un parcours si rigide et atypique, que en interprétant l’itinéraire sur la base de mes connaissances personnelles.

Cette non-dérive se transforme en dérive, la plus part des rues que je vais prendre sont des territoires encore inexplorés pour moi.

appunti

LA LIGNE

J’ai étudié le plan de Paris, d’abord sur parier. A l’aide d’un fidèle et géante plan monumentale pour touristes, j’ai calculé l’hauteur et la largeur maximale du périmètre de la coquille de Paris.

J’ai trouvé mon centre sur la Place du Louvre. A partir de ce centre j’ai dessiné une longue ligne horizontale qui parcourait la ville de droite à gauche, jusqu’au Boulevard Périphérique, que j’ai considéré comme la « limite » entre ce qu’est DANS Paris et ce qui se trouve HORS Paris.

Le point d’intersection plus à Est est Mairie de Miribel (20ème arrondissement), un arrêt de Tramway. Le point plus à l’ouest c’est Place de la Porte de Passy, au tout débout du Bois de Boulogne (16ème arrondissement). Ces deux point représentent le début et la fin de mon parcours.

J’ai ensuite téléchargé une application très convenable pour les sportifs, Map My Walk, qui se présente essentiellement comme un motivateur au fitness. Avec cet outil, j’ai pu tracer avec plus de précision les détails de mon parcours sur un plan de Paris, cette fois numérique. Le logiciel m’a aussi prévu des toutes les spécificités de ma promenade :

Numéro de Km à parcourir : 14,57

Différence maximale/minimale d’hauteur dans le parcours : 73 m / 34 m

Temps prévu pour effectuer le parcours (selon Google Maps) : 2h38

La météo prévue par une dizaine de sites que j’ai visité la veille du jour prévu pour ma promenade n’était pas rassurante. Pluie toute la journée.

J’était découragé, bien sur, mais quelque chose dans moi me poussait à vouloir sentir sur ma peu la sensation de couper en deux la ville, comme probablement peu de personnes ont jamais fait. Qu’est ce que j’allais découvrir ? Mes sensations étaient un mélange d’excitation et d’anxiété.

Non seulement je suis très inconsciente de la possibilité de pouvoir achever ma démarche, mais aussi je ne suis absolument préparé sur ce que je vais chercher pendant mon chemin.

Mon idée principale, avec laquelle j’ai trouvé une excuse à ce manque d’organisation, c’est :

Mon parcours est déjà très contraint dans sa trajectoire, les rues que je vais prendre sont déjà préétablies, je suis forcée à suivre un parcours que probablement je n’aurais pas choisi autrement. Probablement ce même parcours se révélera in-parcourable dans certaines parties, pas toujours les plans peuvent prévoir des empêchements à la marche.

Etant donné toutes ces constrictions, j’ai décidé de me préserver toute la liberté possible dans la documentation de ma « performance », c’est l’instinct et la curiosité qui me mèneront à capturer certaines particularités du paysage plutôt que d’autres. Il n’y a pas un sujet défini préalablement. Je ne sais pas à quoi m’attendre.

LA PROMENADE

Bien équipé et motivé, je me dirige en métro vers le point de départ de mon aventure. C’est tard, selon ce que j’avais envisagé comme horaire de début de l’opération, mais des contraintes techniques pour le repérage de l’équipement nécessaire m’ont forcé à décaler mon déplacement.

Je porte avec moi :

– un portable avec l’application où j’ai mappé mon parcours

– un plan en papier (au cas où la technologie me laisse perplexe)

– un appareil photo, avec lequel je peux aussi filmer

– un dictaphone

– mon carnet

Ca m’a pris un moment pour réussir à manipuler tous ces outils de façon efficace et sans risquer d’en faire tomber une partie entre-temps que je marchais.

Le ciel ne donne pas l’impression de me vouloir faire continuer mon aventure pour trop longtemps, mais indiffèrent au péril, je commence.

Le ciel à mon départ

Le ciel à mon départ

LA MARCHE

Pendant mon parcours c’était drôle de voir les réactions des gens qui m’entouraient. Je pourrais presque définir de zones où les gens étaient plus gênés où curieux par rapport à ma pratique insolite. Au tout débout et à la fin de mon cheminement c’était probablement un événement bizarre voir quelqu’un qui se balade à prendre des photos aux murs et aux arbres. Le fait d’avoir une camera devant moi et un dictaphone attaché à mon bras semblait pas par contre embarrasser les quartiers centraux de la ville, où l’envahissement de la part des touristes me transformait dans un parfait petit point dans la masse. Aucune personne ne me remarquait.

Partout, j’ai cherché de capturer à la fois des œuvres inanimés, mais assez souvent des personnes. J’étais fascinée par les mouvements des gens autour de moi. Dans ce particulier moment et par effet de la longueur de mon voyage, j’identifiait chaque personne que je voyait dans un déterminé quartier comme partie de cela, qui lui appartient, aussi si probablement il s’étaient juste déplacés pour aller faire des commissions.

« La sélection et la fragmentation sont les caractéristiques primaires de la perception ambulatoire »[3]

Tout au long de mon chemin, j’ai pu me laisser transporter par les événements autour de moi, chaque nouvelle rue que je parcourais, c’était comme tomber dans un nouvel univers. De tant plus ces situations que je vivais étaient en moi encore plus remarquables, dues au fait que je me concentrais sur ça seulement. Dans la vie quotidienne, combien de fois ça nous arrive de se promener pour longtemps et ne jamais faire attention à ce qui se passe autour de nous ? Il y a un millier des vies qu’on croise sur nos routes, ils suivent leur schéma, comme nous on suit le notre, mais on occupe le même espace dans la même temporalité. Mettre en valeur cet aspect de mon voyage c’était pour moi une expérience très intense et passionnante. Je n’étais plus seulement en train de prendre en photo un paysage, je me plongeait dans le monde que je voyait avec ma camera et avec mes pieds.

Un autre remarque sur ma préparation et organisation : jamais j’aurais pensé que ce marche aurait pu se révéler autant physiquement prenante. Les deux tiers de mon chemin, je les ai parcourus presque sans aucun problème, la fatigue de mes jambes était soulagée par l’excitation de la découverte et l’envie de ne pas décevoir trop la durée de temps prévue par mon fidèle planning en Google Maps. La dernière partie de mon périple s’est révélée plus dure, spécialement après ma décision de faire une pause au niveau d’Invalides, je rappelle d’être resté accouché au sol pour presque une demi heure.

Leçon du jour : ne jamais essayer de marcher pour 5 heures sans pauses, sans avoir fait un peu d’entraînement au préalable. Je me rappellerais aussi, dans le futur, de l’importance de l’étirage.

Ca va sans dire que mon aventure n’a pas certainement durée que 2h38. Dans ma tête j’avais déjà prévu que le temps réel de réalisation de ces 14 km aurait pu être 5 heures. Même les kilomètres prévus par l’application, n’étaient corrects à la fin, j’ai découvert en fait d’en avoir marché 16,11.

LA FIN

C’est la fin de mon parcours qui cherche à tracer une ligne horizontale à couper Paris en deux. Je suis contente de tout le matériel que j’ai pu collecter et dans le métro vers chez moi je commence à réfléchir à comment rendre visible tout ce que j’ai vu, de façon simple et directe mais pas banale.

Ce que je me suis proposé de faire, sans savoir encore à travers quel outil, c’est de laisser la trace de mon mouvement et du mouvement qu’il y avait autour de moi entre-temps que je marchais. Le flux d’images, la vitesse des changements de couleurs et du paysage, la différence de profondeur et mon recul par rapport au sujet que je photographiais.

« L’espace comme pratique des lieux et non du lieu procède en effet d’un double déplacement : du voyageur, bien sur, mais aussi, parallèlement, des paysages dont il ne prend jamais que des vues partielles, des ‘instantanées’, additionnés pêle-mêle dans sa mémoire et, littéralement recomposés dans le récit qu’il en fait où dans l’enchaînement des diapositives dont il impose, au retour, le commentaire à son entourage. »[4]

Au final, vous pourriez vois le résultat ci dessous, sans besoin d’aucune didascalie. J’ai fait la choix de ne pas inclure des sons pendant que les images défilent, mais plutôt de reproduire la musique que j’écoutais entre-temps que je marchais. Je l’avais choisi expressément pour sa cadence rythmique et la sensation de continuité cyclique qu’elle transmet.

Logiciel utilisé (pour iPhone et smartphone) : Map my walk

Appareil photo : Canon EOS 500D, objectif 18-55 mm

Vidéo réalisée avec Adobe Première Pro CS6 et Quicktime Player (Capture d’écran)

Merci à Marta pour l’aide technique, à Ayan pour l’inspiration.

 


[1] Michel de Certeau, The practice of everyday life, University of California Press, 1988, p. 93

[2] Henri LeFebre, cité par Giuliana Bruno, Atlas of emotions: Journeys in Art, Architecture and Film, Ed. Verso, 2007, p. 15

[3] Fred Truniger, Filmic Mapping, Ed. Jovis, 2013

[4] Marc Augé, Non-Lieux – introduction à une antropologie de la surmodernité, Ed. Seuil, 1992, p. 109-110

 

 

 

1 réflexion sur « Walking the line »

  1. sarah

    Ton projet est assez méditatif et poétique. Et j’aime beaucoup la vidéo que tu as faite.

Les commentaires sont fermés.