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Symphonie d’une Gare

« Maintenant je ne vais plus qu’écouter … J’entends les sons qui se côtoient, se combinent,  se mêlent ou se suivent, les sons de la ville, et les autres, les sons du jour et de la nuit… » (Walt Whitman, Chant de moi-même) 

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Cartographie sonore de la gare de Lyon 

Pendant ce semestre, l’accent a été mis principalement sur la démarche, la dérive, la psycho-géographie urbaine etc. Je me suis dit : pourquoi ne pas prendre une gare comme la gare de Lyon qui est aussi grande qu’une ville comme le lieu de cette recherche ? La gare était la représentation de la modernité à l’époque de la révolution industrielle. On pourrait considérer que la gare est une  ville contemporaine à petite échelle. Tous  les aspects de la vie moderne, la vitesse, l’attente, le temps, l’anonymat, l’individu et la collectivité, la consommation, la circulation et la sécurité … y sont omniprésents. C’est un vrai labyrinthe où on peut  se perdre facilement. Mais ma recherche porte sur une autre sorte de dérive que le fait de se perdre. Je veux étudier ce labyrinthe à travers la sonorité d’une gare : quel est le rapport entre la sonorité et l’espace ?

 Le son et l’espace ne sont pas séparables. Dans l’étude du son, l’espace où le son s’inscrit, se produit et se propage est toujours important. En même temps, la sonorité d’un espace est aussi un élément qui identifie l’espace. Le son crée son espace. Essayez cette expérience : fermez les yeux et imaginez une gare, essayez d’écouter les sons. Qu’est-ce que vous entendez : le son du tapis roulant, des escalators, des roulettes de bagages, des pas rapides ou lents, des rumeurs des arrivants et des passagers, des annonces sonores, les bruits du train et toute une gamme de sons divers. « La  méthode de la dérive de Guy Debord est une manière de cartographier de la ville et de diffuser l’art dans la vie».

 « Le paysage sonore est une manière sensorielle de cartographier les lieux »[1]. Le but de ce projet est de faire le portrait global d’une gare en retranscrivant les ambiances sonores de différents endroits de la gare de Lyon comme la salle d’attente, la librairie, le café, les guichets, les escalators, les quais. Donc, je commence à cartographier la gare de Lyon par une dérive sonore, en compagnie de Sabina et Cae, mes amies du cours de ‘‘Son et musique de la ville’’. En cherchant les sons de la gare et en les écoutant, nous avons essayé de dessiner notre propre parcours sur la carte de la gare de Lyon. Notre itinéraire fonctionne comme un outil d’apparition des sons. La prise des sons nous a permis de créer une palette sonore.

Voici quelques pièces sonores de notre étude 

Salle d’attente  Relay-Librairie  Trajet de montée vers la gare  Terrasse et intérieur du resto

Parcours de l’extérieur  Escalators du metro vers la gare  Consigne et objets trouvés

Attente sur quai

Lorsqu’on écoute cette palette de sons, on perçoit en bruit de fond, même dans un espace fermé comme la salle d’attente, la présence de la machine (c’est-à-dire une ambiance mécanisée), l’intonation d’une voix féminine annonçant l’arrivée et le départ des trains et le bruit de roulettes d’un bagage sur le sol. Ce sont ces sons codés qui constituent la gare. A la fin de chaque séquence, la sonnerie d’un téléphone portable rappelle à quel point l’homme contemporain est dépendant des moyens de communication dans la vie quotidienne. Par conséquent, chaque apparition sonore pourrait être la représentation brute d’un moment et ce qui se cartographie, au-delà de l’événement, est une indication du rapport de l’homme et la machine dans une gare. L’espace, ni fermé, ni ouvert de la gare, qui caractérise son architecture, construit une gamme de « va et vient » sonores. Les voyageurs, les passagers et les trains qui se déplacent, arrivent ou partent, créent leurs propres bruits et rumeurs.

Les sons repérés le plus souvent dans cette étude 
  • Pas
  • Trains
  • Escalators
  • Chariots, engins à moteur
  • Passagers, voyageurs, passants
« Nous proposons d’écouter le monde comme une vaste composition musicale- une composition vaste dont  nous serions en partie les autres ». (Raymond Murray Schafer, auteur-compositeur, il a écrit notamment le fameux Sound scape)

Notre mode de travail          

Nousplan avons fait la prise de sons pendant deux jours et nous avons fait un commentaire après chaque  prise de sons : Cae dit qu’elle connaît la gare par cœur. Pour elle, la gare est une représentation absolue de notre société de consommation. On consomme tout le temps. Elle associe très fortement voyageur / consommateur. Sabine parle de la sonorité du sol et du plafond dans la gare et moi, je parle de l’apparition et la disparition des sons qui se déplacent  dans la gare, autrement dit des sons transitoires et du caractère spatio-temporel du son. Enfin, tout cet exercice a pour objet d’écouter autrement l’espace qui nous entoure, car les habitants d’un espace consomment cet espace et le son sans avoir conscience. Au cours de cette étude, dans notre errance dans la gare,  nous avons privilégié une errance dictée par les sons plutôt qu’une errance dictée par l’espace. L’apparition brute du moindre son captait notre attention.

Voici un exemple de l’observation audio-visuelle tiré de la  littérature 

 Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Christian Bourgois éditeur, (1975) 2008, p. 24.

J’ai revu des autobus, des taxis, des voitures particulières, des cars de touristes, des camions et des camionnettes, des vélos, des vélomoteurs, des vespas, des motos, un triporteur des postes, une moto-école, une auto-école, des élégantes, des vieux beaux, des vieux couples, des bandes d’enfants, des gens à sacs, à sacoches, à valise, à chiens, à pipes, à parapluies, à bedaine, des vielles peaux, des vieux cons, des jeunes cons, des flâneurs, des livreurs, des renfrognés, des discoureurs.

Observation audio-visuelle de notre parcours 

IMG_2123-copieSéquence de la salle d’attente 

Des enfants, les familles, les copains, en tout cas, des voyageurs qui attendent de leur départ ou se reposent. Les paquets de chips sont presque finis, un groupe d’arabes en train de parler, deux jeunes femmes en train de discuter, les enfants en train de jouer. La salle d’attente, un lieu pour se reposer sans dépenser d’argent. La salle d’attente, c’est un abri !

2-copieSéquence sur le quai, voie K 

L’arrivée du train en provenance de Montargis, la voix des machinistes, le mouvement de plusieurs personnes. Entendre une langue qui n’est pas le français. Les valises qui roulent. Les gens qui s’embarquent dans le train et ceux qui courent pour l’attraper. Beaucoup de voyageurs sans grosses valises. L’autre train qui va vers l’Italie. Ce train vers Venise me fait rêver, me donne envie d’y aller, réveille mon désir d’ailleurs. J’aimerais tant partir ! Mais c’est impossible en ce moment !

IMG2426-copieSéquence consigne-objets trouvés 

Cette fois-ci, on est dans un espace fermé. Entendre le claquement de portes automatiques à travers le bruit des voyageurs et la sonnerie du contrôle de sécurité. La séquence se termine sur un téléphone portable qui se met à sonner et le glissement doux des roulettes, sur le sol, d’une valise qui s’éloigne petit à petit de nous.

IMG_2115-copieSéquence de la terrasse et de l’intérieur du restaurant Le Train Bleu

Restaurant : il y a beaucoup de bruits, les bruits des tasses contre leurs soucoupes. Le plus marquant : les communications téléphoniques des clients qui sont parfois plus bruyantes que les conversations normales, peut-être parce qu’on ne voit pas l’autre interlocuteur. Une famille qui se lève en face, les grands-parents, les petits enfants. Les annonces qui rythment la voix qui vient de nulle part. Et encore les oiseaux qui volent dans le restaurant et dans le hall, les pigeons, quoi !

IMG2443-copieSéquence du marchand de journaux « Relay » 

La voix d’une petite qui appelle sa maman. Les murmures des clients et des voyageurs qui regardent des magazines. Le bruit de la monnaie qu’échangent clients et caissière. Le geignement des enfants qui réclament des gâteaux. Et encore le glissement des valises sur le sol.

Exemples d’une carte sonore

Carte sonore de BruxelleCarte sonore de Bruxelles

Le projet de la ‘‘carte sonore de Bruxelles’’ est un exemple de la cartographie sonore de la ville de Bruxelles. Ce projet invite les Bruxellois à enregistrer leurs sons favoris dans la ville et à les poster sur une carte en ligne.

http://www.bna-bbot.be/brusselssoundmap/?lng=fr

 Présentation finale 

A la suite de notre démarche pour vivre les ambiances sonores de la gare et les enregistrer, j’ai parcouru notre trajet une autre fois mais toute seule. J’ai tenté de dessiner le parcours en prenant des photos et des films. J’ai commencé donc à flâner. Au départ, pour la présentation finale du projet, je pensais plutôt à une vraie carte qui pourrait montrer notre parcours sonore. J’ai constaté finalement que j’avais beaucoup de mal à réaliser cette carte. Du point de vue géographique, la carte est un moyen qui permet de naviguer sur le territoire. C’est un outil qui montre le trajet et permet de savoir où on est. Cependant je ne voulais pas faire une carte de géolocalisation. J’ai décidé d’adopter un autre point de vue pour réaliser cette carte : celui de cartographier l’ensemble de la sonorité de la gare sous la forme d’une chaine sonore des ambiances diverses. J’ai fait un arrangement avec les pièces sonores que nous avions déjà enregistrées pour composer une bande son. Cette composition sonore est accompagnée des photos que j’ai prises dans la gare. Les images, en petits formats, sont superposées les unes sur les autres. Elles sont aussi disposées de manière à renforcer l’apparition des sons dans cet ensemble.

Et voici la symphonie de la gare (à écouter de préférence avec un casque)

https://vimeo.com/67171836

Objectif de parcours 

La marche en écoutant ! L’idée était de cartographier les ambiances sonores de la gare pour écouter  l’espace autrement, en déambulant. Les sons sont aussi puissants que les images. Les sons construisent notre perception de l’espace. Bien qu’on n’en soit pas toujours conscient à ce point-là. L’écoute peut révéler des secrets de l’espace qui nous entoure. Cela veut dire quoi ?

Pendant cet exercice, on a essayé d’écouter l’espace de la gare. C’est vrai que l’apparition de chaque bruit nous a fait agir. Cependant lorsqu’on a commencé à réécouter les morceaux enregistrés, j’ai compris de manière plus intense l’espace qui  nous entoure. J’ai découvert plein de séquences intéressantes que je n’avais pas perçues lors de l’enregistrement. Certes, j’ai raté beaucoup de moments, de conversations et d’événements qui se passaient dans la gare. Mais la manière d’enregistrer les sons nous a permis de les découvrir. Ecouter ou réécouter les enregistrements  plusieurs fois permet d’agrandir « l’image » et d’en visionner tous les détails. On a pu ainsi découvrit l’espace sonore de la gare autrement.

IMG_2230 (2)-copie Dernière action : Jouer du violon en silence dans la gare

Je voulais expérimenter l’espace de la gare encore une fois. Autrement dit, je voulais à la fois mettre en pratique l’expérience de notre écoute et amener les passants de la gare à réfléchir sur la question de l’écoute. Au départ, j’ai imaginé dériver en aveugle dans la gare avec des yeux bandés. Je me disais, en faisant cette expérience : je vais écouter l’espace de la gare d’une autre manière.

Puis, j’ai trouvé une autre idée.  C’était de devenir une sculpture immobile qui écoute l’espace et les passants et en même temps fait jouer pour eux une musique en silence, pour que cette performance puisse modifier non seulement l’écoute des passants pressés qui vont et viennent dans un espace comme la gare, mais encore modifie leur regard.

J’ai demandé à Sabina de m’accompagner pour réaliser cette performance. Comment réaliser ce projet ? J’ai choisi un lieu de passage dans la gare et je suis restée immobile pendant quelques minutes sans regarder les gens, en jouant du violon en silence sans archet. J’ai joué un morceau en mimant les gestes pour les passants, J’étais silencieuse et à l’écoute de « la musique » produites à leur insu par les passants. Au départ, j’avais peur de tout, de la police, des passants et de leurs réactions. Du coup,  j’ai fermé les yeux et j’ai écouté  ce qui se passait autour de moi. Cette  performance était assez particulière pour moi. J’ai juste écouté, j’ai ressenti les réactions négatives ou positives, j’ai entendu les mots  gentils et pas gentils. Au fur et à mesure, j’ai osé ouvrir les yeux et regarder ceux qui me regardaient. Les gens qui s’arrêtaient une seconde ou un peu plus pour me regarder, les gens qui tournaient la tête en marchant. Est-ce qu’ils pouvaient entendre ma musique ? Je n’ai pas de réponse à cette question mais moi, je les  ai  bien  écoutés! Une écoute intérieure absolue pendant quelques minutes. Sabina a illustré cette performance avec un appareil photo.

Et voici quelques photos de cette performance

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Sabine me disait que ces deux femmes me regardaient attentivement. Apparemment, elles sont restées jusqu’à la fin de la performance.

J’ai fait une autre performance à l’extérieur de la gare. Cette fois-ci, je n’ai  eu aucune peur. J’ai joué ma musique en silence. J’ai écouté et perçu ce qui m’entourait, les oreilles et les yeux grand ouverts sans avoir peur.

 


[1] http://eductice.ens-lyon.fr/EducTice/recherche/geomatique/actualites-et-lettres-geomatiques/articles-lettre-geomatique-13/lettre-18/paysage-sonore-une-maniere-sensorielle-de-cartographier-les-lieux/