Juae E – Maison d’enfance

Maison d’enfance et sa magie 

Grace à la maison, un grand nombre de nos souvenirs sont logés, si la maison se complique un peu, si elle a case et grenier, des coins et des couloirs, nos souvenirs ont des refuges de mieux en mieux caractérisés. Nous y retournons toute notre vie en nos rêveries.

                                                                               – Gaston Bachelard «La poétique de l’espace»

La maison est un espace singulier. Elle est d’abord un espace physique qui nous abrite de l’extérieur et puis qui loge notre intimité. Le philosophe Gaston Bachelard pousse plus loin la réflexion, selon lui, la maison est aussi un lieu qui loge nos souvenirs. Ainsi les traces fragmentaires de l’être du passé acquiert un abri physique et tangible. La maison d’enfance est l’exemple de ce phénomène. Elle est à la fois la source de souvenir et celle qui les abrite. Les traces physiques que nous avons laissé dans cette maison deviennent ainsi la clé d’un monde beaucoup plus vaste, celui de mémoire, cet univers onirique et psychologique. Ouvrant la porte de cette maison d’enfance, nous retrouvons les souvenirs et le soi du passé. Ce moi du passé, qui n’est plus moi. L’incertitude des souvenirs, les doutes d’une existence du passé trouvent un témoin rassurant. Dans ce décors familier, parmi les meubles qui ont vécu, on retrouve notre première existence, un être doux et attachant.

Étrangère dans un pays qui n’est pas le mien, rentrer à la maison signifiait pour moi, pendant longtemps, un retour à l’abri sûr et réconfortant, un retour à la source, le retour au passé. Cet attachement à la maison d’enfance a dû être renforcé par ma situation. Car être étrangère c’est être déracinée. La maison de mon enfance est la représentation physique de mes racines, là d’où je viens. Dès lors, tous les maisons subsistentelles en France ne sont que des abris temporaires. Dans la maison de mon enfance, une maison en briques rouges avec un portail qui claque, de vieux escaliers et une arbre à pin, retrouver tous ces détails consiste à me retrouver parmi les miens dans mon abri primitif. Dans la chambre à l’étage, aux quatre murs colorés d’anciens papier-peints, dans mon lit étroit d’enfant, en fermant les yeux j’entendais le cri des cigales des nuits d’un mois d’aout. Je meretrouvais dans la chaleur de mon enfance, entourée et heureuse.

Gentrification sociale 

Mais si cette maison n’est plus accessible ? Si cette maison est disparue à jamais ? En 2013, j’ai appris la destruction définitive de ma maison suite à une décision gouvernementale. Le quartier entier est rasé et remplacé dans une logique d’urbanisme libéral. Les propriétaires y gagnaient chacun une somme importante de l’argent. Ils n’avaient donc pas de raison d’y opposer. En 2014, à mon retour en Corée, j’ai découvert cette disparition physique. Une destruction d’un sanctuaire de mon enfance. Non seulement la maison de mon enfance mais le quartier entier qui se volatilisa comme s’il n’a jamais existé. Le chemin que j’empruntais pour aller à l’école, le terrain où je jouait, les écoles où j’ai passé 9 années de ma vie, tout ces lieux de souvenirs sont disparus. Mon histoire personnelle avait disparu avec. Il ne restait rien pour témoigner de mes souvenirs. Ainsi mon existence du passé ne demeure désormais qu’à travers les mots.

Que peut-on faire face à cette disparition ? Peut-on réagir contre la disparition de ce dernier abri de notre existence ? Dans son ouvrage, Bachelard souligne le rôle de la rêverie dans ce processus. Selon lui la poésie est notre dernier recours quand ce lieu d’enfance n’est plus accessible. Mais quelle approche peut-on emprunter dans la pratique artistique? 

Home (la vie de Madame K)

Mon projet artistique est une tentative de réponse à cette question. Un hommage à la maison d’enfance inaccessible. D’abord, comment rendre visible la maison disparue ? Naturellement la question du matériau se pose. Car la maison n’est plus un sanctuaire solide et irrévocable. Elle est aussi fragile qu’une mémoire, privée de toute matérialité. Le choix du matériau de reconstruction a une importance primaire dans ce travail. Il faut un matériau qui correspondeau caractère du lieu. C’est la raison pour laquelle mon choix va vers les matériaux mous comme le tissu (soie) qui peuvent engendrer un résultat fluide, léger en y jouant une dialectique de transparence et d’opacité.

Il reste la question suivante : comment y évoquer les souvenirs à l’intérieur de cette maison ? La photographie familiale est un témoin physique de souvenirs partagés tout comme une maison d’enfance. Son caractère de ça a été rend le témoignage inébranlable. Mais cette temporalité limite la photographie dans le passé. La photographie est toujours un objet du passé. C’est une fixation visuelle d’un être du passé. Souvent en forme d’un portrait, la photographie familiale évoque également une question existentielle des sujets représentés. L’utilisation de la photographie récupérée semble cohérente dans ce type de projet. Reconstituer une histoire possible ou les utiliser sans y donner une cohérence est à réfléchir.

Références

Dans un espace blanc, se trouve un mur avec une toiture traditionnelle coréenne. Le mur étaillé comme un relief sorti d’un livre d’histoire, est l’oeuvre de l’artiste coréen Do-ho Suh. Réalisé en organza, tissu habituellement utilisé pour les tenues de soirée, crée une vision délicate et fragile. Arraché de la maison d’enfance de l’artiste, il crée un déséquilibre visuelle. Celui qui est censé envelopper l’intérieur révèle au contraire tout ce qui se trouve derrière de ce mur comme une fumée d’illusion. 

Né en Corée du Sud, ayant étudié aux États-Unis, l’artiste vit et travaille dans différentes villes à travers le monde. Cette situation nomade pousse l’artiste à se plonger dans ses souvenirs d’enfance, notamment ceux de sa maison d’enfance. Plusieurs séries d’œuvres comme Home within home ou Bringing home sont réalisées. Cette quête de maisons est à la fois celle des souvenirs mais aussi celle de son identité.

Ghost de Rachel Whiteread est une autre approche de la quête de mémoire. Le moulage d’une maison révèle un espace vide qui garde des traces de vie. Ainsi un espace d’intimité s’expose à l’extérieur. En 1993, elle réalise House., une maison prévue pour être détruite dans un quartier de Londres. L’artiste réalise un moulage d’intérieur en 1993 et l’oeuvre est détruite onze semaines plus tard.

Dans les années 90s à Londres, plusieurs quartiers sont en voie de gentrification, ce qui entraine la démolition de maisons victoriennes. Ainsi l’oeuvre dévoile une situation sociale ; la maison ne dévoile pas seulement une tranche de vie mais elle met en lumière une réalité sociale. L’oeuvre de Whiteread est une tentative de contenir la mémoire personnelle et collective.

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