Quand l’emprisonnement prend des formes de liberté par Mathilde Hubert

Il est clair qu’aujourd’hui nous sommes touchés par un certain capitalisme que ce soit dans nos rapports de production ou de consommation. L’être humain, conscient ou non mène au quotidien une vie qui prend des caractères aliénés que ce soit dans son travail ou dans ses manières d’acheter. Et ces deux actions sont chacune motrices de l’autre. Ce qui engendre parfois un oubli de soi et une impossibilité à vivre le présent, attiré et seulement guidé par nos aspirations futures, dans lesquels de par notre travail nous aurons plus d’argent et donc nous pourrions plus consommer et  assouvir nos besoins et être « heureux ». L’Homme ne sait plus et n’a plus le temps de se regarder lui et son entourage à l’instant présent et vivre ce moment. En quelque sorte, il ne vit plus que dans l’illusion, dans l’espérance d’un futur meilleur. D’autant que cette utopie souhaitée, n’est souvent pas ce que désire réellement chaque personne. Etrangement tous guidés par les mêmes envies, on se rend compte que celles-ci sont la preuve qu’une sujétion qui est mise en place à notre insu. L’individu n’a plus le temps de se concentrer sur lui-même, de prendre le temps de découvrir, d’échanger, de s’instruire, de se tromper et de se construire. Toutes les infos viennent à lui automatiquement, sans qu’il en soit forcément conscient et peu à peu elles créent chez lui des désirs, des pulsions et des comportements. Toute cette « atmosphère » qui réside autour de nous, fait de nous des sujets communs, mais surtout nous permet souvent d’accepter des conditions de vie, de travail, de rémunération qui n’atteignent jamais nos espérances. Et pourtant c’est bien grâce à la féérie de pouvoir un jour les atteindre qu’on accepte actuellement notre présent.

Mais comment réagit ce même être humain lorsque tout s’arrête, lorsque l’activité qui occupait la majeure partie de son temps et restait toujours en éveil au coin de son esprit s’interrompt. Comment fait-il lorsque pour combler son vide, son manque d’avoir le temps de profiter du moment, il ne peut plus consommer ou se créer le désir d’un jour pouvoir s’acheter une certaine chose pour combler à une autre tristesse. Comment fait-il lorsqu’on lui dit que l’économie est touchée et que peut-être il n’aura plus ou moins de sous, donc de plus de possibilité d’atteindre ses « fantasmes », ses désirs et ses rêves ? Et donc comment réagit ce même être humain en cette période de confinement ?

Ainsi j’ai voulu m’interroger sur la façon dont ce confinement intervenait d’une manière ou d’une autre sur notre liberté. Si finalement le temps abondant dont nous disposons de manière imprévue et bouleversante, peut être l’occasion de renouer avec une concentration intérieure, voire de développer une mise en question de notre manière de vivre ou si fallait se méfier de cette « mythification ». Et ainsi dégager plus les aspects qui restreignent au fur et à mesure nos possibilités d’évoluer et de s’épanouir en tant qu’être humain.

Alors j’ai voulu faire comme un « journal sensible » quotidien d’analyse de ma propre situation concrète et de mon environnement. Pratiquant l’athlétisme, j’ai dû continuer mes entraînements seule chaque jour de ce confinement. Tous ont été enregistré sur cette application « Strava » (photos ci jointes*) et il m’a semblé intéressant d’observer de plus près l’évolution de toutes ces images « cartographiées » que j’ai pu créer chaque jour. Celles-ci relatent d’abord des règles mises en place au fur et à mesure envers les pratiques sportives et aussi de mon humeur, ma motivation et mon énergie qui dans ce contexte varie énormément.

Poussé par l’envie de faire « plaisir » à mon coatch, mais surtout de ne pas régresser malgré tout, ce sport qui est avant tout source de bonheur pour moi a parfois pris des tournures stressantes. Comme ce « temps libre » que je pouvais maintenant m’accorder, qui était finalement aussi propice à la découverte de certaines de mes failles que je transportais surement depuis longtemps mais qui étaient mises en abîme sous un quotidien surement trop rempli (comme le fameux « métro, boulot, dodo »).

Et peu à peu, malgré le fait que cette reconnexion envers soi-même pourrait nous ouvrir sur un autre monde et rendre nos champs des possibilités plus larges, nous donner l’impression que la privation d’un monde est finalement l’ouverture à un autre ; je ne me sens pas m’épanouir. Je n’ai pas l’impression d’évoluer, de me construire. L’apprentissage de soi totale, passe forcément à un moment ou à un autre d’abord par l’écoute des autres. Il est difficile de réussir, avec objectivité, de s’instruire soi même et surtout de se développer, de se déployer totalement. Car nos terrains d’enquête restent bien malgré nous, toujours recentrés sur les mêmes préoccupations. Et bien que chaque journée se compose de diverses pratiques recommandées par le gouvernement pour se « faire du bien », le semi bonheur que j’entretiens similairement chaque jour ne vaut, à mon sens,  d’être vécu, car il n’est tout simplement pas partagé. Et sans le partage, mes capacités physiques, psychologiques et mentales me paraissent régresser. Dans notre vie, notre évolution, l’Autre, la découverte, l’imprévu et l’inconnu sont des moteurs. C’est une richesse qui est à mon sens injuste de nous interdire car ils sont à l’origine de la construction de l’humanité et lui permettent chaque jour de s’accroitre d’autant plus.

J’ai alors voulu mettre en avant au travers d’un « carnet quotidien », comment ce confinement est devenu pour moi plus qu’une histoire de chiffre, d’attente et d’un « trop » recentrement sur soi-même. Attachée et également intriguée par le comportement des couleurs, peu à peu, j’intègre et m’inspire des théories des formes et de la couleur de Kandinsky, afin qu’au travers de celles-ci je puisse suggérer toutes les modifications ressenties. Ces dessins, dans leurs formes s’inspirent aussi des coloriages à numéro pour les enfants et des cartes montrées plus haut. Pour le moment, ils font partis de mes recherches, je ne les considère pas forcément encore comme une œuvre finie, mais au fur et à mesure du confinement et peut être aussi du déconfinement, j’espère que ces recherches aboutieront à ce que je trouve : un médium et des moyens propices à mettre en lumière les découvertes que je réalise.

Voici quelques notes reportées de différents sites qui reprennent des parties des livres écrits par Kandinsky lui-même et qui m’ont aidé dans mes interprétations :

http://luc168.perso.infonie.fr/kandins.htm

Propriétés spécifiques de la couleur – Kandinsky

« Les couleurs claires attirent davantage l’œil et le retiennent. Les couleurs claires et chaudes le retiennent plus encore : comme la flamme attire l’homme irrésistiblement, le vermillon attire et irrite le regard. Le jaune citron vif blesse les yeux. L’œil ne peut le soutenir. On dirait une oreille déchirée par le son aigre de la trompette. Le regard clignote et va se plonger dans les calmes profondeurs du bleu et du vert. »

« Le bleu apaise et calme en s’approfondissant. En glissant vers le noir, il se colore d’une tristesse qui dépasse l’humain, semblable à celle où l’on est plongé dans certains états graves qui n’ont pas de fin et qui ne peuvent pas en avoir. Lorsqu’il s’éclaircit, ce qui ne lui convient guère, le bleu semble lointain et indifférent, tel le ciel haut et bleu clair. A mesure qu’il s’éclaircit, le bleu perd de sa sonorité, jusqu’à n’être plus qu’un repos silencieux, et devient blanc. »

« La passivité est le caractère dominant du vert absolu. Qu’il passe au clair ou au foncé, le vert ne perd jamais son caractère premier d’indifférence et d’immobilité . »

« Le rouge, couleur sans limites, essentiellement chaude, agit intérieurement comme une couleur débordante d’une vie ardente et agitée. Dans cette ardeur, dans cette effervescence, transparaît une sorte de maturité mâle, tournée vers soi et pour qui l’extérieur ne compte guère. »

« Le rouge chaud, rendu plus intense par l’addition du jaune donne l’orangé. Le mouvement du rouge, qui était enfermé en lui-même, se transforme en irradiations, en expansion. »

« Le violet est un rouge refroidi au sens physique et psychique du mot. Il y a en lui quelque chose de maladif, d’éteint et triste. C’est la raison, sans doute, pour laquelle les vieilles dames le choisissent pour leurs robes. Les Chinois en ont fait la couleur du deuil. Il a les vibrations sourdes du cor anglais, du chalumeau et répond, en s’approfondissant, aux sons graves du basson. »

« Et enfin, le noir: Comme un  » rien  » sans possibilités, comme un  » rien  » mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans avenir sans l’espérance même d’un avenir, résonne intérieurement le noir. En musique, ce qui y correspond c’est la pause qui marque une fin complète, qui sera suivie, ensuite, d’autre chose peut-être, – la naissance d’un autre monde. Car tout ce qui est suspendu par ce silence est fini pour toujours : le cercle est fermé. »

Après avoir ainsi fixé l’action de la couleur en soi, Kandinsky s’étend sur ses possibilités d’accord avec la forme, sur la relation, en somme, entre forme et couleur : Des couleurs  » aiguës  » font mieux ressortir leurs qualités dans une forme pointue (le jaune par exemple, dans un triangle). Les couleurs qu’on peut qualifier de profondes se trouvent renforcées, leur action intensifiée par des formes rondes. Le bleu, par exemple, dans un cercle.

Lire Kandinsky

Kandinsky définit les couleurs par couple, se répondant :

Pour commencer le bleu et le jaune. Le bleu évoque le froid, l’infini, l’immensité, le divin ; le jaune pour la chaleur, la violence, il a un mouvement concentrique donc qui rapproche.

En mélangeant les deux premières couleurs, il obtient le vert à qui il attribue le calme, l’immobilité. Et par opposition vient le rouge, qui appelle à la colère, au mouvement.
C’est une couleur très forte.

Ayant introduit le rouge, il l’ajoute à chaque couleur du premier couple et obtient alors le violet (qui devient ‘un rouge refroidit par le bleu’) et l’orange (qui forme un intermédiaire pour nous rapprocher du rouge).

Le blanc est introduit comme « modificateur de couleur » et le noir est « un néant sans possible ». Des deux nait le gris. Quand il évoque le gris, on reconnaît facilement les usages des peintres jouant avec les gris pour modifier la valeur de leur couleur.

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