La déroute

La déroute

Loc. et expr. littér. Mettre qqn en déroute dans une dispute. Le déconcerter, lui faire perdre contenance (cf. Ac. 1798-1932). En déroute. En confusion, décontenancé. 1

« « Déroutes » est plus problématique. Au sens stricte, c’est la débâcle physique ou mentale, la débandade des armées ou des idées. Mais le mot est proche de « déroutement » qui désigne le changement d’itinéraire, au sens géographique du terme, généralement sous l’effet d’une contrainte extèrieure, mais parfois volontaire. Le verbe « dérouter » réunit les acceptions respectives des deux substantifs : on déroute un avion, mais aussi un interlocuteur en lui opposant (lui imposant) des arguments qui l’égarent et l’obligent à battre en retraite. Transitif le verbe peut-être conjuguer au passif : on est dérouté par un raisonnement ou une attitude qu’on ne comprend pas. Au sens physique et géographique, le verbe peut-être pronominal : un navire se « déroute » (volontairement) pour porter secours à un autre navire. »2

Pour ce troisième travail de projets plastiques pour lieux publiques, le thème était la mobilité, que j’ai déjà exploré lors d’un travail précédent. J’avais étudié le domaine des distances sociales et de la proxémie dans les transports. Pour le travail de ce semestre axé sur la mobilité en général, j’ai décidé de travailler sur le thème de la déroute. En lisant les ouvrages de Marc Augé traitant du métro de façon précise et de la mobilité de façon plus large3, j’ai réalisé que la mobilité, c’est partir d’un point A pour arriver à un point B. C’est une route, un chemin tracé surtout dans le métro. Lorsque l’on intervient sur ce trajet, c’est la déroute, la « débandade » comme le dit Augé. Pourquoi ne pas intervenir sur ce trajet, créer la déroute, même de façon anodine ? Les interventions performatives que j’ai déjà réalisées, notamment dans le métro, se sont soldées par de l’indifférence. Le peu de réactions observées restaient quelques regards, mais pas plus de communication verbale même si je m’y attendais, l’indifférence fut encore plus importante qu’escomptée. Pour le projet de ce semestre, je me suis demandé si la déroute serait la réponse radicale à l’indifférence.

J’ai donc réfléchis à des scenarii afin de provoquer la déroute chez les usagers du métro. Je me suis donc repasser les étapes du trajet de métro que l’on peut résumer de la façon suivante :
- descendre dans la bouche de métro
- passer les portiques
- attendre sur le quai, regarder dans combien de temps arrive le prochain métro s’il n’est pas déjà à quai
C’est là que je pouvais intervenir en premier, l’attente sur le quai, le trépignement de l’attente, la peur du retard, même si savoir le nombre de minutes avant qu’il n’arrive ne change rien au retard, puisqu’il arrivera à ce moment là qu’on le sache ou non. Peut-être que le fait de savoir est en quelques sortes rassurant. On sait à ce moment là s’il faudra que l’on court ou non jusqu’à notre destination ou à la correspondance. Que se passerait-il si l’on enlevait ce confort ? Parce qu’il n’a pas toujours été là, cela fait quelques années seulement que l’on est privé du suspense de l’arrivée du prochain métro. Je m’inclus bien sûr dans le fait de trouver apaisant d’avoir cette information.
Ma première déroute se trouvait donc là, cacher le nombre de minutes avant l’arrivée du prochain métro : me percher sur un tabouret, et avec du scotch, recouvrir la précieuse information. Le processus reste suffisamment simple pour être réalisé de façon discrète.

J’ai effectué l’action un vendredi matin (je pense que le fait que ce soit un jour de semaine change beaucoup la donne), à deux stations de la ligne 11, Jourdain et Pyrénées. Deux stations que je ne considérais pas comme très fréquentées, mais en réalité elles le sont plus que ce que j’imaginais.
Lors de la première intervention à Jourdain je décide d’être dos tourné aux gens qui sont amassés à la tête du quai, je ne ressens donc pas les regards, si regard il y a. Je place mon dispositif assez facilement, sans interruption ni intervention. Je peux quand même voir que les personnes passant dans le métro à côté de moi me regardent de façon insistante alors que je suis toujours sur mon tabouret, mais pas de question.
Je change alors de station et me rend à la station Pyrénées. Je prépare mon action et place mon dispositif. Cette fois-ci les questions des usagers interviennent, notamment celles d’une jeune femme, qui a l’air clairement embêté par mon action. Elle me notifie que l’information dont je la prive est la seule qui l’intéresse dans la station. Une personne en entraînant une autre, une autre femme m’interroge sur mon action. Elle aussi est ouvertement énervée par mon intervention. Je suis en quelques sortes sauvée de leurs questions (et énervement) par l’arrivée en quai du métro. Elles ne perdent pas de vue leur chemin malgré mon action. Il leur faut arriver au point B, alors même si elles veulent savoir le but de mon dispositif, elles prennent le métro et disparaissent. Leur énervement provoque en moi un sentiment d’embarras. A ce moment là, toujours sur mon tabouret, je vois un agent de la RATP arriver, car effectivement les caméras du quai sont tournées vers les panneaux, où l’on doit me voir distinctement donc. Je me précipite donc à l’autre bout du quai et le métro qui arrive me sauve une nouvelle fois de l’embarras.
Lors de mes précédentes interventions, je n’avais pas eu à expliquer mes gestes, donc je n’avais pas pensé à une justification, une explication de mon action performative. Je n’ai également pas pu rester sur les quais suite à mes dispositifs, de peur que les agents de la RATP ne viennent me donner une amende (ou du moins me réprimander).
Je suis repassée à ces deux stations dans les jours suivant l’intervention, le scotch avait été retiré et donc les usagers soulagés.

En conclusion partielle, je ne pensais pas qu’une action aussi anodine prendrait autant d’ampleur, mais surtout qu’elle provoquerait autant de réactions négatives. Peut-être que l’énervement est le sentiment qui fait parler les gens ? La curiosité n’aide pas à la communication donc ce sont les mesures extrêmes qui la provoque. Pourtant je n’avais caché que le nombre de minute avant le métro suivant, pas celui d’après, mais surtout je n’avais pas caché l’autre côté du panneau, qui donne la même information, en plus de la voix annonçant régulièrement cette même information.

1 Trésor de la langue française informatisée

2 Carnet De Route Et De Déroutes : Septembre 2008-Juin 2009, Marc Augé, 2010, Editions Galilée

3 Le Métro Revisité, Marc Augé, 2008
Un Ethnologue Dans Le Métro, Marc Augé,

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2 réponses à La déroute

  1. Paula dit :

    J’ai beaucoup appréciée l’idée de faire une petite action capable de déstabiliser les gens. C’est intéressant le fait que la dimension qui prend la action dépende de la personne qui se sent affectée, qui la transforme en quelque chose significative.

  2. Alizee dit :

    Je trouve que tu amène une prise de conscience sur la réalité de « l’être humain parisien » en élevant de manière encore un peu  » farouche  » la conscience collective . C’est en cela que je trouve la démarche type Happening/performance plutôt judicieuse et intéressante. Tu nous apportes des questionnements sans nous donner des réponse. Mais à travers ton projet, tu me donnes envie d’aller en chercher par moi – même.

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