Jeu de piste dans le métro parisien

Sans doute utilisez-vous le métro pour vous rendre à votre travail ou pour vos loisirs comme plus de 4000 personnes chaque jours ouvrable, 2,5 millions le samedi et environ 1,5 million le dimanche. Devenu un des symboles de Paris, le métro, produit de la croissance urbaine, assure la circulation de voyageurs très divers, contraints à une cohabitation momentanée dans un espace réduit. La simple évocation de ce chemin de fer souterrain suffit généralement à déprimer le Parisien saturé de transport en commun. Notons que cet espace est selon l’Anthropologue Marc Augé un « non-lieu » c’est à dire un espace où l’être humain est entraîné dans une circulation ininterrompue et peu propice aux relations sociales. Ainsi nous avons souhaité réaliser un jeu de piste afin que le métro Parisien devienne non plus un espace de transit et de passage mais un lieu de divertissement et de rencontre. Le voyageur n’est plus contraint dans son parcours mais adopte d’avantage le rythme du flâneur, dont Baudelaire fit l’éloge dans le Peintre de la vie moderne.
 
Au cœur du processus

L’espace du métro demeure un lieu d’expérience et de sensations, mais c’est aussi un moyen d’échapper au quotidien à travers deux  parcours : un parcours pair (effectué dans chacune des lignes pairs du métro parisien : les lignes 1, 3, 5, 7, 9, 11, et 13) et un parcours impair (correspondant aux lignes impairs du métro : les lignes 2, 4, 6, 8, 10, 12, 14). En guise de témoignage, ces parcours ont été doublement matérialisés par des photographies et des vidéos. Les deux parcours ont été dans un premier temps publiés sur Internet, une manière d’évoquer la fluidité et la mouvance de notre société contemporaine. Partout on parle de fluidité, mot devenu à la mode et qui dénote une absence de frontières. Il n’y a rien d’étonnant à ce que nous tenons à travailler dans des frontières souples et perméables, et ce désir explique l’essor de projets artistiques pouvant prendre n’importe quelle forme, se produire n’importe où et comme le dit Tiravanija, comprendre « beaucoup de monde ». Cette forme d’art témoigne donc d’une approche ouverte en ce début de nouveau millénaire. Dans ce contexte, le spectateur détaché dont parle Descartes, et relié à « la froideur bourgeoise » évoquée par Adorno n’existe plus. Articulé autour d’images numériques, négligeant l’épaisseur et le poids du matériau, des cartes et des indications relatives au jeu de piste sont donc consultables à loisirs sur la page Facebook :                       « https://www.facebook.com/#!/events/175024152644108/» Lisses et glacées. Propres et polies. Il s’agissait de proposer au spectateur l’image la plus parfaite qui soit. Comme un journal de bord, Facebook au fil des jours se nourrie de l’expérience des uns et des autres. Le voyageur commence par prendre conscience du circuit et se rend au lieu de rendez-vous avec les indices nécessaires pour atteindre son objectif.

Parcours impair et parcours pair

Ces deux parcours ont pour vocation de transporter le  voyageur dans le monde de l’imaginaire et de la rêverie, hors du quotidien et de la monotonie du métro parisien. L’usager n’est plus passif, victime d’une tache laborieuse qu’il se doit d’accomplir quotidiennement, mais devient par les biais de ces deux jeux de piste, l’acteur et le héro de sa propre histoire. Pour les deux parcours, une carte du métro est donnée en guise d’indice, dont les lignes ont été remplacées par des fils, en référence au fil d’Ariane dans le labyrinthe. Le but n’était pas qu’elle ressemble exactement à la carte du métropolitain mais qu’elle évoque d’avantage cette idée de mouvance et de flânerie.

 

Dans le parcours impair, la dimension textuelle et langagière est fort importante puisque le jeu de piste est basée sur la narration : « Une femme a été retrouvée inerte et amnésique sur le quai d’une station de métro. Dans les poches de son manteau on récupéra quelques fleurs desséchées et un fatras de documents […] La femme a laissé derrière elle plusieurs indices : une carte, une fleur de lilas, une page déchirée venant d’un conte pour enfant. » 

Ainsi ces éléments sont censés aider le voyageur dans sa quête. Une carte, un conte pour enfant et du lilas ont été aussi publiés sur la page. La page déchirée venant d’un conte pour enfant retrace l’histoire de cette femme dont le voyageur ignore encore l’identité. Ce récit évoque au fil de la narration certaines stations, choisies en fonction de leur évocation aux songes et aux rêves (Maison Blanche, Sentier, Lilas..)

Page tirée du conte pour enfant, retrouvée dans la poche de la femme amnésique

Dans son ouvrage Le métro revisité, Marc Augé cite les noms de stations qui enfant favorisaient son imagination et sa rêverie  « La poésie du métro c’était d’abord la poésie des noms, parfois parce qu’elle évoquait une époque révolue et une campagne disparue » [1] Les noms des stations utilisés ont pour seul but d’éveiller la curiosité du passant et de le transporter dans un monde imaginaire. Le voyageur devra alors se rendre le jour J aux stations indiquées dans l’ordre de la narration afin qu’il y découvre à chaque fois un nouvel indice. Il sera guidé dans sa quête par une femme mystérieuse avec des lunettes noires et un imperméable beige qui l’attendra à chaque étape sur le quai d’une station afin de lui rendre un autre indice. Ces indications lui permettront de comprendre la suite du récit et de relier ensemble toutes les pièces du puzzle. La première personne qui publiera sur la page Facebook la morale de cette histoire sera désigné comme vainqueur du parcours impair. Si Thésée remonte le fil d’Ariane, le petit Poucet retrouve ses cailloux, l’usager est à même grâce à ces indices de mener l’enquête.

Photos du parcours impair, réalisé à Paris le lundi 10 décembre entre 19h et 21h. Le rendez-vous a été fixé à 19h, devant l’entrée principale de l’opéra Garnier (à proximité de la ligne 7 où commençait l’enquête) :

Première étape : premier indice !

 

L’indice est donné. C’est à l’équipe de trouver le nom de la station !

 

Une mystérieuse femme transmet des indices au fil des étapes

Dans les méandres des couloirs…

Est-on perdu?

Tentative de triche !

 

Dernière ligne droite après deux heures de jeu…

 Transportés dans le monde des contes de fées les participants du parcours pair, qui se mettent dans la peau d’un preux chevalier, doivent effectuer une quête afin d’aider le roi Godefroy Le Barbu à récupérer sa couronne magique et à délivrer sa fille la princesse Madeleine des mains de l’affreux Mage Noir.

Voici l’intrigue de l’histoire : « Il était une fois, dans un royaume lointain, le roi Godefroy le Barbu qui régnait en paix parmi les siens. Le roi était connu pour sa gentillesse et son altruisme envers son peuple. Afin de le remercier de sa bienveillance, les reines fées du royaume voisin, lui avait fait cadeau d’une couronne magique dotée d’un sortilège lui assurant prospérité et longue vie. Avec sa femme Genièvre, ils eurent une fille : Madeleine. A sa naissance, le Mage Noir aux sourcils d’argent, dont la réputation maléfique était connue de tout le royaume, vint leur rendre une visite : le roi devait lui donner sa couronne magique, ou sa fille allait être enlevée à l’année de ses dix huit ans, et gardé prisonnière dans le donjon de son château hanté pour l’éternité. Le roi refusa, et le chassa de son royaume. Il lui fallait désormais protéger sa fille. Mais en dépit de ses efforts, le matin de son dix-huitième anniversaire la princesse Madeleine fut enlevée par une armée de corbeaux d’argent. Le même jour deux vipères dorées, pénétrèrent dans le château du roi et lui subtilisèrent sa couronne magique. Cette atrocité fut l’œuvre de l’horrible Mage noir aux sourcils d’argent. Le roi et la reine furent propice à un chagrin foudroyant, et à mesure que leur tristesse grandissait, la peste s’emparait du royaume. Il fallait que quelque chevalier lui vienne en aide et vite ! »

C’est à la suite de cette histoire que la quête commence. Pour chaque étape du parcours, les participants à l’aide d’une carte du métro comme celle utilisée dans le parcours pair, doivent résoudre des énigmes dans lesquelles se trouvent le nom d’une station pair à deviner. Les noms faisant référence à la féérie et à l’imaginaire des contes : « Boissière », ligne 6; « Chemin vert », ligne 8, « Château rouge », ligne 4, « Couronne », ligne 2, etc… Les énigmes sont données aux participants sous la forme d’un parchemin fermé par un ruban rouge, qui leur est donné à chaque étape par un personnage du moyen-âge appartenant à l’époque du roi Godeffroy le Barbu.

Carte parcours pair

Par ce jeu de piste, le métro parisien, n’est dans ce contexte plus associé à une corvée quotidienne, mais il devient ici un noble destrier, que vont chevaucher les participants pour cheminer d’une étape à une autre dans leur périlleuse quête semée d’embuches (une pyramide à escalader pour la station Pyramide, ligne 14; ou et un dragon à combattre pour la station Château Rouge, ligne 4). Par le biais de cette quête, ce derniers effectuent un voyage à travers le monde de la rêverie, leur faisant oublier la morose réalité du métro, transformé en terrain de jeu.

Photos du parcours pair, réalisé à Paris le samedi 15 décembre entre 14h et 17h. Le rendez-vous a été fixé à 14h, en haut des ascaliers de la sortie du métro Montgallet (à proximité de la ligne 6 où commençait la quête) :

Frédéric ouvre le premier indice

 

Les enquêteurs en pleine reflexion !

Par où passer? Ligne 8 ou ligne 2 ?

Dans les méandres des couloirs…

 

Dernier indice! L’aventure se termine toujours avec le sourire!

 
 

 Echange et partage

Notre réalisation s’apparente donc à un jeu, nous fournissons des règles que les usagers mettent en pratique par le biais de l’interactivité. Le voyageur ne se demande plus quel peut être le sens de l’œuvre (comme dans le cas d’un tableau figuratif ou d’une œuvre abstraite); il s’interroge aujourd’hui sur le fonctionnement de l’œuvre et sur la manière dont il va pouvoir intervenir et interférer dans son processus. Déjà, Paul Ardenne s’empressait de citer Marcel Duchamp dans son chapitre consacré  à l’art comme participation  et d’utiliser sa célèbre phrase « ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». Il ajoute «  L’art participatif relève de la sollicitation, il recherche de manière ouverte et souvent spectaculaire l’implication du spectateur. S’il vit lui aussi de transitivité, comme l’art classique, il n’offre pas des objets à regarder mais des situations à composer ou avec lesquelles composer. Cela tient à la nature inachevée de l’œuvre d’art participative, son achèvement plastique supposant que le spectateur y mette la dernière touche. »  

Par le biais de la participation et de l’interactivité, le spectateur fait donc partie intégrante de notre dispositif. Bien plus, il apparaît comme une pièce maîtresse, son intervention étant nécessaire au déclenchement de ce qui apparaît comme un « mécanisme ». Il est aussi invité à donner une réponse totale c’est-à-dire à la fois intellectuelle et physique : intellectuelle car le jeu de piste demande une certaine réflexion et physique car il doit arpenter durant un certain temps les lignes de métro. Cela pose aussi la question de la disponibilité : le piéton pris dans le rythme effréné de la ville veut toujours aller plus vite. Comment alors, comprendre une action si le spectateur n’a même pas le temps de s’y intéresser ? Et admettons qu’il s’y intéresse le spectateur a-t-il réellement conscience de son importance dans ce genre de processus ? Lors des deux jeux de pistes, des personnes rencontrées au hasard dans des endroits divers, ont accepté de participer à cette aventure. Ainsi tout le monde pouvait se retrouver à jouer et ce jeu devenait instaurateur d’un lien social. Dans la bonne humeur, nous avons pu suivre une équipe dans les couloirs circulatoires du métro et décrypter pendant deux heures trente la société en dialoguant avec ces personnes que nous ne connaissions même pas. Ce pouvait être un voisin ou un Américain venu séjourner à Paris pendant une semaine, un homme d’affaire ou une personne âgée. Peu importe le statut, l’âge ou la nationalité. Ce qui nous importait c’était le dialogue avec l’autre.

Dans l’ambiance générale du métro faite de tensions, d’accélérations, d’entrecroisements rapides, les individus suivent en temps normal leurs trajectoires propres en veillant à réduire au strict minimum tout contact, toute séquence, avec les parcours des autres. Mais avec ces deux jeux de pistes la mobilité devient un divertissement. On comprend alors que le voyageur n’est plus un spectateur passif, ce n’est pas un simple diorama qui défile devant ses yeux. Par le bais de la participation et de l’interactivité, le spectateur est désormais partie intégrante de notre dispositif puisque l’œuvre ne s’achève et ne s’accomplit qu’en tenant compte de son action.


[1] M. AUGE, Le métro revisité, 2008, Le Seuil, Paris, p 73

Ce contenu a été publié dans Marianne, Marie, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.