P é r i p h é r i q u e s

 

P é r i p h é r i q u e s

 

Ce sont deux performances vidéographiques qui ont eu pour terrain la petite ceinture de Paris, voie ferrée désaffectée faisant le tour de la ville par l’intérieur du boulevard des Maréchaux, et le boulevard périphérique emprunté journellement par un million d’automobilistes marquant la frontière entre Paris et les autres départements d’ Ile de France.

Elles tentent, par la projection vidéographique sauvage (mobile ou fixe) sur le boulevard périphérique d’une femme à vélo se déplaçant à l’intérieur de la petite ceinture, de créer une connexion entre ces deux espaces cloisonnés, véritables remparts modernes distants l’un de l’autre de cinq cents mètres et parfois d’un kilomètre.

Paris est depuis sa naissance une ville construite sur un modèle concentrique de part peut-être sa position géographique insulaire sur l’Île de la Cité, ancienne Lutèce dont la Seine devait jouer un rôle de douves. À mesure de son accroissement démographique Paris se dote de différents murs d’enceinte délimitant la ville du monde extérieur. Nous en dénombrons cinq, chronologiquement sans compter l’enceinte gauloise puis gallo-romaine.

Celles présentent sur la carte ci-dessous sont: l’enceinte de Phillipe Auguste, et de Charles V, les remparts bastionnés de Louis XIII dite des Fossés jaunes , l’enceinte des Fermiers Généraux et l’enceinte fortifiée de Thiers.

Enceintes de Paris

 

Si dans la majeure partie des cas elles furent construites comme outils de défense face à l’envahisseur, il arriva que ce fût pour des raisons économiques. L’enceinte des Fermiers Généraux réalisée par l’architecte Ledoux sera édifiée à partir de 1785 pour la perception de l’octroi, impôt prélevé sur les marchandises entrant dans la ville.

Dans l’histoire plus récente nous pouvons constater d’autres voies de circulation de marchandises et de personnes qui tracent le pourtour de Paris pour optimiser la fluidité et l’économie: le tramway des Maréchaux , les bus PC, la petite ceinture, le boulevard périphérique, l’autoroute A86 et la francilienne. La raison économique organise, construit et démantèle le réseau des moyens de transports. L’histoire urbaine de ces axes périphériques est très riche. Nous retiendrons celles de la petite ceinture et du périphérique.

La petite ceinture

Il faudra 17 ans de 1852 à 1869 pour construire les 32 kilomètres de voies ferrées. Les voyageurs l’utiliseront dès 1854 sur la ligne Auteuil et en 1869 sur l’ensemble de la ligne. Le trafic de marchandise se fera par tronçons dès 1854. Puis elle sera fermée aux voyageurs en 1934 hormis la ligne d’Auteuil, restée ouverte jusqu’en 1985 . Le fret est fermé définitivement en 1992 et n’est à ce jour toujours pas réhabilité.

La petite ceinture

 

Le boulevard périphérique

Il se construit de 1959 à 1973 en suivant les fondations de l’enceinte de Thiers qui démantelée dès 1919, laissait place à la « zone »: des terrains vagues occupés par des bidonvilles abritant environ 30 000 personnes au début du XXe siècle. On appellera cette population : les « zonards ».

Son édification correspond aussi à la volonté de reloger ses habitants dans des immeubles sociaux à l’extérieur de Paris et de créer des villes de banlieues. On repousse ainsi toujours un peu plus loin les démonstrations de pauvreté.

La petite ceinture et le périphérique à l’heure actuelle

 

Le périphérique contient à lui seul toutes les réalités historiques, géographiques, économiques, sociales et bien au-delà psychiques et mythiques. En effet il constitue une enceinte bétonnée qui sépare psychologiquement les habitants du centre de Paris et ceux de la banlieue, invisibles à ceux de la ville qui sont pourtant si idéalisés. Mythique également car il semblerait que ce soit la frontière sacrée de Paris. Elle rappelle le marquage cérémonial par l’augure et les fondateurs des villes de l’Antiquité. Celui-ci conférait au lieu à venir une existence mystique et immuable. Paris n’ira jamais au-delà, ouvert seulement par ses Portes allant de Montreuil à Auteuil en passant par Porte d’Orléans et Porte de Clichy. Déjà de par son histoire nous comprenons que cette délimitation ne peut pas disparaître, elle se réinvente seulement. Ivan Illich dans son texte H2O raconte:

« En 146 av J.-C, le général romain Scipion terminait la troisième guerre punique en rasant Carthage. Mais la ville n’était pas encore détruite. Il fallait, pour anéantir sa fondation, la « retourner sous le soc », inverser son sillon sacré. Il fallait que la terre qui, lors du rituel de fondation, avait été soigneusement formée en billon vers l’intérieur, fût renvoyée à l’extérieur. Lorsqu’il ordonna la suppression de sillon, Scipion songeait probablement à Achille tournant trois fois autour de Troie en traînant le cadavre d’Hector pour « purifier » (lustrare!) le site et faire ainsi disparaître la ville. Quand l’âme d’une ville a été annihilée, alors seulement lui est définitivement déniée toute existence et la vie sauvage reprend possession de son site. »

Cette dernière phrase de Ivan Illich me conduit directement vers les considérations écologiques des périphériques. Qu’en est-il alors de la petite ceinture et de toutes les zones blanches selon le terme de Philippe Vasset, ces interstices oubliées des plans des urbanistes. J’aime à penser qu’il s’y trouve le Tiers Paysage de Gilles Clément, la réserve de nos écosystèmes. Depuis quelques années il semblerait que les renards se réintroduisent dans Paris en circulant par la petite ceinture, du Bois de Vincennes au Parc des Buttes de Chaumont.

Par mon projet  P é r i p h é r i q u e s  je souhaitais faire une anticipation de ce que pouvait- être le périphérique le jour où le vélo remplacerait définitivement la voiture, la petite ceinture semblait en être l’élément énonciateur.

Aussi il me parut intéressant de briser les frontières matérielles qui séparent les différents moyens de transports et les populations, en projetant une action poétique qui ouvre et crée un nouvel espace. En effet comme a pu l’écrire Marc Augé dans Anthropologie de la Mobilité, l’idée même de frontière dans cette situation urbaine est devenue une réalité dépassée ou du moins à dépasser.

Par la mobilité de l’écran du projecteur j’ai pu confronter et juxtaposer les paysages et les mobilités et ainsi apporter un nouveau regard sur ces lieux, qui n’en sont pas tout fait.

Lieux d’interventions

Lieux d’interventions

Dispositif de tournage

Croquis du dispositif de tournage

 

Dispositif de projection

Croquis du dispositif de projection

 

Les Vidéos

La projection mobile a suscité de l’intérêt à en croire une voiture qui nous à suivi et une camionnette qui est restée à notre hauteur un long moment et dont les gestes de la passagère étaient enthousiastes.

 

La projection fixe a pour but et effet d’aller à l’encontre du flux des voitures. Elle agit plus profondément avec le lieu en s’y incrustant. La conséquence est qu’elle se désengage des voitures en tant que public, définissant ainsi le rapport qu’elles entretiennent elles-même avec le lieu.

 

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Une réponse à P é r i p h é r i q u e s

  1. daravone dit :

    Ton projet est très riche en différentes couches, j’espère que tu vas le poursuivre! Je ne sais pas si tu as vu mais la portion de petite ceinture où tu as filmé va peut-être être détruite, même si les associations essaient de la faire transformer en prolongation du tramway. Ça serait bien dommage!
    Je ne sais pas si je la préfère en ruine, vestige d’un autre temps, ou si je préfère qu’elle soit rénovée et réemployée. Je t’avoue pencher pour la première option, tu en donnes une belle image dans tes videos.