Mais c’est justement la situation de la culture aujourd’hui.

Posted: December 18th, 2009 | Author: admin | Filed under: Art, Lire | Comments Off

Mais c’est justement la situation de la culture aujourd’hui. Tous ces gens qui sont actifs dans le milieu culturel, dans les médias, travaillent comme des fous. et quand on travaille autant, ça n’a rien à voir avec la culture. Dans les masses-médias aussi, on peut produire de l’art – mais cet art exhale une odeur de sueur. Ce que nous voulons, c’est le contraire, c’est la culture sans odeur de transpiration.
Quand on se retourne sur le passé, on constate qu’il n’y a peut-être eu que deux ou trois époques sans odeur de transpiration. Pensons à l’Athènes des 5ème et 4ème siècles avant J.C. : Diogène pouvait s’installer dans un tonneau, c’était déjà un geste philosophique. Ou bien il pouvait se rendre en plein jour avec une lanterne sur la place du marché. Cela suffisait, il n’était pas nécessaire qu’il écrive quoi que ce soit. La deuxième variante connue dans l’histoire de ce types d’art de la performance, c’est saint François d’Assise qui l’a réussie. Et pour finir sont arrivés Duchamp et l’art de la performance des années soixante. En Europe, nous avons donc eu plus ou moins trois endroits, à des périodes différentes, où l’on a pu produire un geste culturel sans sentir la sueur, c’est à dire sans travail. On s’asseyait dans un tonneau, on se déshabillait ou bien on exposait une urinoir – et c’était fait. Si nous oublions à présent la question embarrassante de savoir si c’est de l’art, de la philosophie ou n’importe quoi d’autre, si nous nous demandons si nous pouvons être libres, dans ce sens tout simple, alors la réponse est très dégrisante : de temps en temps, c’est à dire trois ou quatre fois en quatre mille ans, oui. Le reste du temps, non.
Et l’affaire est ainsi réglée, d’une manière totalement indépendante de ce que l’on dit, de ce que l’on écrit, de ce que l’on montre sur une scène et de ce que l’on peint – on fait toutes ces choses-là dans la sueur de son vis-à-vis, et ça suffit à faire de nous de pauvres types. Surtout à une époque où l’art et l’écriture sont informatisés, il n’y a plus d’échappatoire au travail. En tant qu’artistes des médias, les artistes sont de nouveau fiers de leur capacité techniques, c’est un fait caractéristiques, les écrivains parlent avec joie des nouveaux traitements de texte. Bref, aucune chance.

Boris Groys, Politique de l’immortalité, quatre entretiens avec Patrick Knoefel, Maren Sell Editeurs, Paris 2005, p.97, 98.


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