Atelier Art et Internet

Bill Viola, Room of St. Jean de la Croix (1983)

L’essai intitulé L’entre-images de Raymond Bellour, consacre un extrait à Room of St. Jean de la Croix de Bill Viola: «de l’image brute et vive, en quelque sorte, une sorte d’image-corps sans laquelle aucune transmutation n’est possible. C’est en accueillant cette force qu’on métamorphose la perception-vidéo, et qu’on la transforme en poème. Qu’on passe et qu’on repasse du dedans au dehors de l’image, qu’on transforme son extériorité de principe en une forme d’animation visionnaire […] »
J’ai finalement eu l’occasion de visiter cette installation vidéo lors de l’exposition Traces du sacré à Beaubourg. Le bruit du vent m’accueille dans la salle où des images de montagnes en noir et blanc, animées d’un mouvement instable, fugitif, même inquiet, sont projetées sur le mur du fond. Au centre de la salle se trouve une cellule avec une petite ouverture où l’on peut se pencher pour voir l’intérieur: une table, un verre, un pot à eau et un minuscule moniteur couleur. L’image de la montagne (l’image du mont Fuji d’Ancient Of Days) filmée en plan fixe apparaît sur le moniteur. Le murmure d’un poème coule dans la cellule, parfois couvert par le bruit du vent.

Pour moi, à travers les deux espaces (la salle et la chambre) et les deux images de montagne (instable et statique), le spectateur intégre le processus de la perception, puis passe au-delà de celle-ci. En effet, cette œuvre permet au spectateur une exploration de soi: elle représente, d’une part en faisant varier les volumes et la taille des images, d’autre part en utilisant différents moyens de montrer les images, le concept bouddhiste d’Anatta. Pour le bouddhisme, «la conscience de soi» n’est que la projection de nos sentiments et nos sensations. Le soi est donc inconstant et insaisissable comme la grande image de montagne. Seul l’abandon du soi peut nous aider à nous dégager des tourments séculaires. La cellule nous permet au contraire de percevoir le monde intérieur plus profondément. La petite image de montagne nous révèle l’opération de l’esprit par laquelle il est possible d’accéder à la contemplation. L’instant de cette contemplation est ainsi celui de l’inspiration artistique (le poème récité de St. Jean de la Croix nous le suggère).

Cet article a été publié par Hsiao-wen Liu le Mercredi 18 juin 2008 à 2:52 et est classé dans Artistes, Workshop (1). //Vous pouvez aller directement à la fin et laisser un commentaire. Les pings ne sont pas autorisés. //