Tavares Strachan, « In Total Darkness »

           L’exposition “In Total Darkness” de Tavares Strachan à la Marian Goodman Gallery se situe dans l’héritage d’un art africain-américain qui questionne les connaissances biaisées de l’histoire américaine et poursuit son travail d’écriture postcoloniale. Sa particularité est d’accueillir, au sein de œuvres exposées, un ensemble de performances réalisées par des chanteurs noirs originaires des Bahamas. L’artiste amplifie ainsi le registre des expressions et des émotions en donnant à cette exposition un format d’œuvre d’art total, avec ses acteurs et ses décors.

            Le projet de recherche à longue durée de l’artiste, The Encyclopedia of the Invisible, est présenté sur un lutrin de conférence, au milieu de la salle d’exposition, comme une bible. Dans cette pièce qui affiche également sur ses murs des œuvres graphiques formant une constellation de savoirs, telles les pages déployées d’un thésaurus, il est question des multiples savoirs de l’humanité. Placée au centre de cette dernière, The Encyclopedia of the Invisible est aussi la plus petite œuvre de l’exposition. Mais à travers elle, Tavares Strachan matérialise tout ce qui ne s’écrit pas, ou ne se représente pas. Il rappelle ainsi que dans tout ce qui se sélectionne ou ce qui se perd se cache un enjeu de pouvoir. Ce qui parvient à s’écrire dans des livres, très lus et consultés, comme la bible ou l’encyclopédie, n’est pas innocent. Par conséquent, une encyclopédie ne peut jamais être complète, mais l’artiste travaille « la possibilité d’une encyclopédie » qu’il décrit aussi comme une utopie humaine. Il s’agit, à travers cela, de réfléchir à qui écrit les encyclopédies, à qui décide de leur contenu au détriment d’autres informations.                                                                                                         
Les encadrements de verre accrochés aux murs de la pièce forment une carte des constellations. Ils exposent diverses entrées de l’encyclopédie, des images de la science et de personnalités oubliés, ainsi que des lettres, des chiffres aléatoires et des sculptures. En contrepoint de ces connaissances déversées sur les murs de la pièce, les chansons entonnées par les performers, ainsi que leurs gestes, remplissent la pièce. Contrairement aux encyclopédies écrites et illustrées et aux panneaux muraux, la méthode de transmission de la connaissance d’une œuvre d’art par la représentation orale est d’ordre plus dramatique et plus intense sur le plan de l’émotion. C’est cette capacité à s’adresser ainsi à un plus large public qui intéresse l’artiste.

Tavares Strachan,
The Encyclopedia of Invisibility (Maple #1), 2021. Courtesy Marian Goodman Gallery, Paris
Tavares Strachan,
The Encyclopedia of Invisibility (Maple #1) -detail, 2021. Courtesy Marian Goodman Gallery, Paris

            En suivant les chanteurs au sous-sol, on découvre quatre bustes de personnalités noires réalisées en bronze. Issues de la série A Map of the Crown, leur particularité est d’intégrer au bronze des cheveux humains. Les nom des œuvres et des personnalités représentées est également écrit avec des cheveux noirs issus de différentes origines. On lit Nefertiti Coil, Himba Dreaded Knots, Himba Bald Front Locks, et Congo Candle Wick. Ce travail contraste fortement avec les sculptures de héros blancs que l’on trouve habituellement dans les musées, les salles d’exposition ou les espaces publics. À travers cette série de visages noirs, Tavares Strachan parle de la nécessité d’approfondir l’exploration des origines africaines, et de leur diversité. On peut aussi l’interpréter selon le même angle que The Encyclopedia of the Invisible, c’est à dire comme une œuvre qui interroge les visions partielles, ou les angles morts, d’une histoire qui serait uniquement incarnée par des personnalités blanches et des sculptures d’une seule couleur.

A Map of the Crown (Himba Dreaded Knots), 2022, courtesy Marian Goodman Gallery

           Dans cette exposition, qui se concentre sur les questions raciales et sociales, en exposant une encyclopédie dont l’artiste est le compilateur de savoirs, des bustes noirs et des masques traditionnels, Tavares Strachan nous fait réfléchir à des évidences que nous n’avions pas pensé à interroger. Il nous les rend visibles à travers ses œuvres aux techniques variées, et ses performances réalisées par des artistes noirs. Parallèlement à cette exposition, l’artiste expose les aspects tragiques associés à la figure de la femme noire à travers l’histoire, dans son exposition “In Broad Daylight”, simultanément montrée à la galerie Perrotin, à Paris.

Texte écrit par Hyunji Kim au sujet de l’exposition de Tavares Strachan,
In total darkness, à la Marian Goodman Gallery, Paris


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