« Je veux que tu meures », Angélique Aubrit & Ludovic Beillard

Je veux que tu meures » est le résultat de cinq années de collaboration, entre les artistes Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, par le biais de résidences et d’expositions communes. Ensemble, ils explorent les médiums du film, de l’installation mais aussi de la sculpture. Les artistes endossent tour à tour les rôles de metteur en scène, scénariste, réalisateur et costumier. À la galerie Valeria Cetraro, ils donnent naissance à une œuvre qui explore la complexité des relations humaines.

Converti par les artistes en un corridor étroit, l’espace de la galerie nous confronte à cinq mannequins de bois aux vêtements sales et débraillés. Nous sommes happés dans cet espace étriqué qui nous met à proximité de ces figures inquiétantes. Alignées en double rangées, les marionnettes géantes se tiennent raides, comme des condamnées attendant leur tour dans le couloir de la mort. Il émane d’elles un sentiment de désespoir et de résignation, mais aussi d’entrave. Affublées de masques en bois, grossièrement sculptés, où les yeux ont été oubliés, ces figures sont déshumanisées.

Vue de l’exposition personnelle d’Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, Je veux que
tu meures, Galerie Valeria Cetraro, Paris, 2022


Leurs vêtements donnent quelques indices sur les identités de ces personnages dont les artistes poursuivent aussi la description à travers un texte qui accompagne l’exposition.
En le lisant, on apprend ainsi qui compose cette cohorte inquiétante : une toxicomane aux étoles sombres et déchirées, cigarette à la main, un enfant soldat vêtu de tissus kaki rapiécés, un vieillard sénile, habillé de son pyjama d’internement souillé, un clown triste dont le costume noir traduit la perte d’inspiration, et enfin l’adepte d’une secte, vêtu de son impeccable costume de cérémonie. Ce sont des personnages marginaux, déviants, malades, perdus, des individus en souffrance que l’on préfère enfermer.

Projeté dans un renfoncement du mur de la galerie, un film fait d’ailleurs de ces mannequins les marionnettes d’un huis clos carcéral. Dans ce petit espace aux allures de théâtre, on observe comment ces mannequins, portés par des acteurs, évoluent maladroitement dans des salles lugubres.
Un sentiment de double enfermement nous gagne lorsque l’on imagine
l’acteur prisonnier de l’un de ces costumes massifs. Aveuglé, lesté par ce corps encombrant et inconfortable, ses gestes et déplacements deviennent difficiles et hasardeux.

Vue de l’exposition personnelle d’Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, Je veux que
tu meures, Galerie Valeria Cetraro, Paris, 2022
Vue de l’exposition personnelle d’Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, Je veux que
tu meures, Galerie Valeria Cetraro, Paris, 2022


Cette installation semble à la fois suggérer la nécessité de communiquer pour survivre et la difficulté de se faire comprendre. Les costumes enferment les acteurs dans des rôles secondaires et marginaux dont ils ne peuvent échapper. Leur masque aveugles évoquent le chœur d’une tragédie grecque qui aurait perdu son coryphée, son chef, et tenterait, tant bien que mal, de retrouver son unité. La frustration ne tarde d’ailleurs pas à prendre le relais de leur incapacité manifeste à s’exprimer, à communiquer les uns avec les autres : l’enfant soldat frappe pour exprimer son incompréhension et la toxicomane se raccroche à ses substances tandis que l’adepte ne jure que par sa croyance. Il y a du déni, mais aussi des mains qui tendent pour aider gauchement. Ces personnages semblent exprimer collectivement, comme de façon cathartique, une peine commune qui leur permettra peut-être de se reconstruire ensemble.

Texte écrit par Louane Baudel, au sujet de l’exposition d’Angélique Aubry et Ludovic Beillard, « Je veux que tu meures », à la galerie Valeria Cetraro, Paris

Vue de l’exposition personnelle d’Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, Je veux que
tu meures, Galerie Valeria Cetraro, Paris, 2022

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.