Prémonitions, Iván Argote

Parallèlement à l’exposition des nominés au Prix Marcel-Duchamp au Centre Pompidou, le travail d’Iván Argote est visible à la galerie Perrotin, dans le cadre d’une exposition personnelle intitulée Prémonitions.
Ce travail de peinture, de sculpture et de vidéo s’inscrit dans la continuité de sa réflexion sur les espaces publics, qui sont pour lui des lieux de pouvoir à critiquer. La signification symbolique des monuments et leur devenir historique sont ici questionnés à l’aune des enjeux environnementaux qui bouleversent aujourd’hui l’organisation des grandes villes.

Vue de l’exposition d’Iván Argote, Prémonitions, à la Galerie Perrotin.
Photo : Claire Dorn – courtesy de l’artiste et de Perrotin. © Argote/ADAGP Paris 2022

Les murs peints en rose et les teintes pastels des œuvres infiltrent ce sujet sérieux, avec la tendresse et l’humour qui caractérisent l’artiste, lui permettant de prendre du recul devant les menaces de disparition des civilisations humaines dans un futur proche. Que deviendront ces symboles de pouvoir à l’heure du déclin des grandes métropoles urbaines ?

Dans cette exposition, Argote recourt à un médium jusqu’ici peu présent dans son œuvre, la peinture, en présentant une série d’huiles sur toile intitulée Fallen. Leur composition, parfois semi-abstraite, reprend le motif de l’obélisque, un monument à la forme monolithe verticale que ses sculptures avaient ramolli, dégonflé jusqu’à le faire crouler son son propre poids, ridiculisant ainsi cet emblème phallocrate et guerrier. Ici, l’obélisque n’est plus affaissé mais brisé, fragmenté : Argote s’intéresse à la rigidité minérale du monument qu’il oppose au monde végétal, figuré sur d’autres toiles, dans lesquelles des branches noires criblent des socles vidés de leurs statues, comme si elles poussaient à partir de la pierre elle-même. Tous ces fragments évoluent librement dans des espaces indéfinis de couleur rose, ocre ou taupe, comme de grands déserts monochromes, à mi-chemin du virtuel et de l’organique.

Ce contraste entre le vivant et le minéral se retrouve dans les sculptures disposées au centre des deux premières salles : de grands bustes tronqués – ici une main tenant un drapeau, là des jambes et le bas d’une tunique -. Certaines d’entre elles, recouvertes de végétation, évoquent les ruines du Louvre peintes par Hubert Robert. L’artiste nous met face à la vanité de ces œuvres d’art à la gloire de grands hommes, incarnant le pouvoir et l’autorité et supposées demeurer éternellement, alors même que leur matérialité ne pourra jamais résister aux assauts du temps et des forces naturelles.

Vue de l’exposition d’Iván Argote, Prémonitions, à la Galerie Perrotin.
Photo : Claire Dorn – courtesy de l’artiste et de Perrotin. © Argote/ADAGP Paris 2022

Comme par une volonté de porter un regard panoramique sur la question politique de la place du vivant dans les grandes villes, Iván Argote aborde également le monde animal. Avec humour, de petites statues en bronze figurent des pigeons dans des attitudes typiquement humaines, en train de bronzer contre une petite fontaine ou s’appuyant contre un arc de triomphe miniature. Écornant de nouveau les images de pouvoir qu’incarnent les monuments publics en les réduisant à l’échelle de petits objets souvenirs, Argote renverse les hiérarchies en faisant de ces animaux, habituellement considérés comme des nuisibles, les protagonistes d’une scène à la fois comique et étrange.

Vue de l’exposition d’Iván Argote, Prémonitions, à la Galerie Perrotin.
Photo : Claire Dorn – courtesy de l’artiste et de Perrotin. © Argote/ADAGP Paris 2022

Post Human, la vidéo présentée dans la dernière salle, met en scène de véritables pigeons se déplaçant dans l’atelier de l’artiste et dérangés par des mains anonymes qui déposent brutalement les petites maquettes architecturales évoquées plus haut. Plus tard, dans une lumière crépusculaire qui a remplacé l’atmosphère douce et éthérée de l’atelier aux murs roses, les pigeons piétinent et renversent ces maquettes, avant de décrire, à travers une voix off, les humains comme une espèce repoussante et destructrice aujourd’hui disparue. L’écran-titre de fin, « The End », semble signaler tout autant la fin de la vidéo que la fin de l’humanité.

Tout en reprenant ses thématiques habituelles liées aux enjeux de représentation du pouvoir dans l’espace public, Argote consacre sa production récente à la question du vivant et de l’anthropocène, qu’il aborde avec son humour irrévérencieux habituel. C’est un sentiment de tendresse qui se dégage de ses œuvres, et prévaut sur le discours d’esprit médiatique, à la tonalité alarmiste ou pessimiste. S’il est bien question de fin de l’humanité, il n’est pas pour autant question de fin du monde : le vivant dans son ensemble, qu’il soit animal ou végétal, survivra aux dérèglements climatiques qui bouleverseront les siècles à venir.
À l’encontre du traitement actuel de la crise écologique, l’artiste porte un regard étonnamment réconfortant sur l’effritement des symboles de pouvoir qui peuplent nos villes et sur la perte de pouvoir progressive de l’entreprise humaine dans l’organisation des espaces publics.

Texte rédigé par Nathan Magdelain, au sujet de l’exposition d’Iván Argote, Prémonitions, à la Galerie Perrotin, Paris.

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