Adel Abdessemed, out, out brief candle

À partir du 8 octobre 2022, et pendant six semaines, la Galleria Continua, située au cœur du quartier du Marais à Paris, présente une nouvelle exposition d’Adel Abdessemed intitulée « out, out, brief candle ». Visible depuis la rue, une statue de taille humaine attire notre attention, elle représente un homme tenant une sphère noire enflammée sur son épaule. C’est un globe planétaire calciné, et l’homme a les traits de l’artiste. Abdessemed se représente ainsi comme la figure héroïque d’Atlas portant le monde sur son épaule. C’est une planète embrasée, traversée par les guerres, les révolutions et les révoltes populaires.

Adel Abdessemed, Tonight, no man will sleep, 2022.
Courtesy Galleria Continua, Paris

Artiste français d’origine algérienne, Adel Abdessemed exploite dans ses œuvres plusieurs techniques dont le dessin, la vidéo, la sculpture et l’installation. Durant son éducation en Algérie, il a fait l’expérience de la censure et suivi un enseignement fermé et restreint. Sans doute est-ce pour cela qu’Abdessemed conteste sans relâche les injustices, et les atteintes aux libertés, à travers des images fortes qui parlent à tous, souvent extraites de la presse quotidienne.

Les références littéraires et iconographiques sont un outil récurrent dans la production artistique de l’artiste. Le titre de l’exposition est lui-même une phrase célèbre tirée de Macbeth,de Shakespeare. Le nom de l’exposition provient d’une vidéo réalisée en 2020, Politics of the Studio, Out, Brief Candle. Dans ce film qui ne dure que quelques secondes, un pied claque si fortement le sol qu’il fait s’éteindre une bougie posée à côté. Cette œuvre nous fait réfléchir à la brièveté de la vie, au fait que tout peut s’arrêter à tout moment. D’autres références littéraires se trouvent dans cette exposition.

Si la sculpture en vitrine représente Atlas, Jam Proximus Ardet, une vidéo datant de 2021, dérive quant à elle d’un poème de Virgile, L’Énéide. Dans cette vidéo projetée sur un immense écran, et d’une durée d’une minute et 40 secondes, qui tourne en boucle, l’artiste recourt une fois de plus au feu. En un seul plan fixe, un bateau embrasé s’approche de nous, dont on peut entendre le bruit des flammes. Cet incendie en pleine mer devient le porteur d’une autre dénonciation sociale, celle de toutes les tragédies survenues en mer Méditerranée, espace de migration qui relie, autant qu’il sépare, le pays d’origine de l’artiste et son pays d’adoption. À l’approche du navire, nous reconnaissons l’artiste dans le rôle du capitaine. Stoïque, il garde son cap, et ne bouge pas, malgré le danger.

On trouve également plusieurs références à la guerre en Ukraine. À l’entrée de la galerie, une série de bas reliefs, de taille moyenne, nous montre les détails d’une œuvre plus grande qui se trouve au rez-de-chaussée, intitulée Entièrement brûlé. De format monumental, cette œuvre fait référence à la célèbre image d’une femme enceinte sortant de l’hôpital bombardé de Mariupol. Ces bas-reliefs sont réalisés sur du bois de tilleul brûlé. Le bois, calciné et noirci, est une autre indication d’une violence subie. Devant cette œuvre a été placée la sculpture Nika et Miya, représentant deux enfants qui regardent, indemnes, les décombres causés par la guerre. Monochromes et blanches, elle contraste avec la noirceur du bois calciné. Le blanc, symbole de la pureté et de l’innocence, et ici associé aux enfants, contraste avec le noir qui symbolise la violence et la destruction.

À l’étage, une armée de coqs grandeur nature, taillée dans du fil barbelé, nous défie. Fascinants et inquiétants, ils sont le miroir de notre cruauté. Ces mêmes coqs se retrouvent également sous la forme de dessins au fusain. Leur couleur métallique répond à celle de la dernière œuvre de l’exposition : Tomorrow and Tomorrow. C’est une énorme broyeuse de métal, animée d’un mouvement perpétuel. Ce spectacle hypnotique peut- être interprété comme un appel au courage, au franchissement d’une dernière illusion, d’un dernier voile à déchirer qui recouvrirait la vérité. Autour de cette broyeuse encastrée dans le mur de la galerie se trouvent plusieurs photographies représentant des gouttes de sang. La violence devient explicite, elle se montre à nos yeux comme la conséquence inéluctable de ce monde marqué par une boucle continue, et impossible à interrompre, de tragédies.

Vue de l’exposition d’Adel Abdessemed, photo Maria Elena Tornar

Dans cette exposition, l’artiste se fait, une fois encore, le porte-parole des cruautés du monde. « En tant qu’artiste, je suis témoin de mon temps. » déclare-t-il lors d’une interview pour la Fondation Louis Vuitton. Dans le catalogue de son exposition réalisée au Centre Pompidou, on peut lire également : “ l’œuvre d’Adel Abdessemed se nourrit du désastre de l’histoire contemporaine. L’artiste utilise le langage de l’art pour se réapproprier les puissances de la violence et de la destruction”. Tous ces aspects, si caractéristiques de l’œuvre d’Adel Abdessemed, se retrouvent dans cette impressionnante exposition.

Texte écrit par Maria Elena Tornar, au sujet de l’exposition d’Adel Abdessemed à la Galleria Continua, Paris.

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