Francesco Gennari, Vorrei perdermi e non trovarmi più


La pratique artistique de Francesco Gennari ( né à Pesaro, 1973) s’articule autour de l’autoportrait. Ses médiums principaux sont la sculpture et la photographie. L’emploi de matériaux changeants, à la fois organiques et industriels, traduit des changements d’états intérieurs. Cette dissolution des contours est évoquée par le titre de l’exposition : « Je voudrais me perdre et ne plus me retrouver ». Dès les premier pas dans la galerie, on sent les parfums enivrants du fruit sucré et du gin, on remarque des tâches noircies à la surface du sol. Ces auréoles d’humidité semblent dessiner une galaxie, évoquer le passage du temps et une présence du passé. Dans l’espace épuré de la galerie, quatre sculptures minimales de formes géométriques se trouvent au sol. Une photographie semi-abstraite est accrochée sur le mur du fond, comme en retrait.

Francesco Gennari, Vorrei perdermi e non trovarmi più, 2022, nautical bronze, ice cream according to the artist’s wishes, gin, variable dimensions tending to infinity.
Courtesy Galerie Ciaccia Levi, Paris


La sculpture centrale, en bronze doré, prend la forme d’un prisme triangulaire dont les trois segments ne se touchent pas tout à fait, gardant la forme légèrement entrouverte. Ces ouvertures laissent s’échapper un liquide, mélange de glace et de gin, et se former au sol un dessin, de façon improvisée. Le triangle est une forme récurrente dans l’œuvre de l’artiste. Il renvoie à l’univers astronomique et spirituel. L’association du gin (comme eau-de-vie) et du ciel, rappelle une peinture à laquelle l’artiste se réfère explicitement : « L’Esprit de Dieu planant sur les eaux » du peintre français Simon-Mathurin Lantara, datée de 1752. Un bloc de glace rosé a été placé dans la forme triangulaire lors du vernissage, il a fondu sur le sol, rappelant un coucher du soleil colorant l’espace, pour ensuite virer vers un ciel nocturne et déverser de minuscules formes d’étoiles et de lunes depuis le bloc de glace, tels de petits pépins en bronze doré. Tout un microcosme, ancré au cœur de la glace se dévoile ainsi, lorsqu’elle a fondu. En disséminant l’œuvre dans le monde qui l’entoure, l’artiste matérialise symboliquement l’action de se disperser et de se fondre dans l’infini.

Francesco Gennari, Vorrei perdermi e non trovarmi più, 2022, nautical bronze, ice cream according to the artist’s wishes, gin, variable dimensions tending to infinity.
photo : Minhee Kim

Autour du cœur symbolisé par la glace, on remarque trois paires de tubes en céramique de couleurs pastel poussés aux pieds des mur. Celles-ci font écho aux segments du triangle. L’artiste fait de ce répertoire géométrique un monde à la fois personnel et universel, dont il fait lui-même partie intégrante. L’état d’âme, l’état physique et l’état métaphysique convergent symboliquement dans cet agencement de formes et de matériaux. Les matériaux concrets, de nature fragile, représentent l’être humain. Le passage continu, y compris l’adjonction et la rupture, est une forme de notre existence. Comme le revendique le titre de ces œuvres, Pourtant, on est bien ensemble, la forme d’ensemble porte un sens précieux pour l’artiste.

Francesco Gennari, Comunque stiamo bene insieme, 2022, glazed ceramics,
3,7 × 110 × 7,4 cm, courtesy galerie Ciaccia Levi, Paris

La photographie accrochée au fond de la galerie est issue de la série, Autoportrait à la menthe. L’appareil photo capture le reflet de l’artiste dans un champ vert mystérieux, créé à partir de la surface ondulante d’un sirop de menthe. Vêtu d’une chemise blanche couvrant légèrement son visage, il semble dilué, noyé, quasi dissous dans le flux infini de l’eau verte. Le procédé de se capter pour se perdre travaille de façon récurrente l’univers
de l’artiste, à la fois ironique et poétique. Tel que le fit Yves Klein avec son champ bleu, Francesco Gennari nous porte vers un au-delà de la matière avec son champ vert, vers une dimension infinie.

Francesco Gennari, Autoritratto su menta (con camicia bianca), 2020, inkjet print on 100% cotton paper, in artist’s walnut frame, 44 × 31,5 × 4 cm (framed)


Selon un même principe que celui de l’autoportrait spirituel de Dürer, notamment « Melencolia I »(1514), Francesco Gennari matérialise le moi invisible à travers des formes géométriques visibles. Dans un esprit qui rappelle celui de l’Arte Povera, il privilégie le processus, mettant en avant un geste intuitif aussi clair que précis. Dans cette exposition aux formes dépourvues de clôtures fermes, les matériaux interagissent en un dialogue constant et fluide, du dedans vers le dehors. Au sein du champ infini de l’autoréflexion, l’artiste nous plonge dans un espace ultime de rencontre entre continuité et discontinuité, concentration et dispersion, extériorité et intériorité. Le recueillement imposé par cette ambiance éveille en nous des sensations liées, en partie, à la conscience de notre propre respiration.

Texte écrit par Minhee Kim, au sujet de l’exposition de Francesco Gennari, Vorrei perdermi e non trovarmi più à la Galerie Ciaccia Levi, Paris

Simon-Mathurin Lantara,
« L’Esprit de Dieu planant sur les eaux » (1752)

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