Laurine Wagner

Laurine Wagner, entre poésie et sincérité

Par Jorge Sanchez.

Fugitive World, 2019-2021

L’art peut-il transformer le monde? C´est une question difficile, souvent à l´origine de débats stériles, plus proches des polémiques des plateaux de télé que d’un échange fécond. La réponse qu’apporte Laurine Wagner évite cet écueil en faisant le pari d’un travail original, où la création d’un lien intime et transparent entre l’artiste et son public, permet de suggérer des solutions uniques.

Doctorante en Arts Plastiques à Saint-Charles École des Arts de la Sorbonne, Laurine Wagner développe depuis 2017 un travail plastique abordant des problématiques liées à l´environnement, la société et la santé mentale. La diversité de ses intérêts implique dans sa démarche l’utilisation de moyens divers comme la vidéo, la captation de sons naturels, des interviews ou encore la récitation de poèmes. Grâce à cette approche, elle s’inscrit dans la lignée d’artistes comme Ai Weiwei et Hito Steyerl et aborde son travail comme une recherche quasi-scientifique, dépassant le format plus établi des séries artistiques.

C´est le cas de Méditations Climatologiques, Seawater et Fugitive World, trois œuvres distinctes et séparées dans le temps, mais qui forment une triade singulière. Dans Méditations, Laurine Wagner offre une composition de neuf vidéos dans lesquelles une douzaine de personnes partagent leurs opinions et inquiétudes face à l’avenir de notre planète. À travers ces témoignages, s´esquisse un processus collectif de réévaluation de la réalité, donnant lieu à des stratégies d’adaptation et de cohabitation face au dérèglement climatique. Inaugurée lors de l’exposition « (In)errance » à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne en 2019, cette pièce trouve sa résonance dans Seawater, une vidéo conçue en 2020 lors de la résidence « Art House Holland » au Pays-Bas. Celle-ci se compose d’images et de sons issus des tempêtes Ciara et Dennis, qui s´entrelacent avec des poèmes que Laurine Wagner a composés et récités. Il s´agit d´une œuvre simple et intime, dans laquelle l’artiste crée un équilibre dans le déséquilibre de la tempête, qui permet aux spectateurs de découvrir l’approche particulière de l´artiste à la nature.

L´esthétique de Laurine Wagner trouve sa force dans la création de liens entre son public et les propositions qui résultent de ces échanges. C´est une attitude proactive, qui évite la dérive des postures didactiques, assez récurrentes dans les œuvres qui abordent l´écologie. Comme dans toute recherche honnête, le résultat n´est pas défini a priori, mais se donne après un long processus exhaustif, aboutissant à la transformation des personnes impliquées.

Méditations Climatologiques, 1, 2019. ©Laurine Wagner

Son point de départ se trouve souvent dans la mémoire, collective ou personnelle, des personnes qu’elle aborde. Les souvenirs  sont traités dans ces œuvres comme un espace de réinvention, susceptible aux expériences sensibles, où la mise en relation avec d’autres interlocuteurs permet aux spectateurs de créer des liens insoupçonnés. C´est notamment le cas dans son projet le plus ambitieux jusqu’à présent, la troisième pièce de sa trilogie, Fugitive World, où elle entreprend des recherches sur la montée des eaux dans des publications scientifiques, et mène des interviews auprès de plusieurs personnes autour du globe. Commencé en 2019, et toujours en cours, Fugitive World, vise à créer une sorte de registre kaléidoscopique et international sur les effets des dérèglements climatiques. Au travers de ce projet, qui a vu le jour lors de sa résidence aux Pays-Bas, Laurine Wagner s’intéresse à un monde qui va bientôt disparaître, ainsi qu’aux réactions des sociétés menacées, comme la création de grands projets de barrages à Singapour. En prenant en compte les prévisions apocalyptiques, son travail explore les souvenirs anticipés des personnes faisant face à des catastrophes annoncées, avec l’approche transdisciplinaire qui la caractérise.

Dans les pièces de Laurine Wagner, la mémoire collective et le défi d’un cataclysme majeur sont les instigateurs d’une réflexion destinée à interpeller son public et faire du moment de l’exposition celui d ́une rencontre sincère, capable de transformer la perception de la réalité, sans forcer à suivre des chemin précis. La liberté d’action revient donc aux spectateurs, riches d’une perspective plus ouverte de leur réalité.

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