Britt Sprogis, variations sur la présence

La démarche de Britt Sprogis se caractérise par une variation de ses modes opératoires et des transpositions des uns aux autres. L’espace, la figure de la maison, ainsi qu’une attention particulière portée aux procédés de fabrication et au temps, interviennent sans jamais tomber dans le protocole. Chaque espace ou contexte dans lequel le travail se construit donne lieu à une nouvelle pièce qui participe à un ensemble plus large.

La multiplication des références à des techniques opposées convoque l’idée d’une porosité entre l’art et l’artisanat, questionne ce qui les caractérise ou notre manière de les considérer. La provenance du matériau employé n’est jamais neutre, comme le choix des outils pour le façonner. Lorsque l’artiste utilise des plaques de construction qui servent initialement à isoler les maisons, pour l’exposition Modules étranges, elle ne les transforme pas et choisit de les conserver en l’état, préfère créer de légers décalages. La répétition arbitraire de leur format standard dans un espace souligne leur caractère d’assemblage et les normes imposées par l’industrie. D’autres pièces empruntent aux savoirs-faire de l’artisanat comme ça avance ? où la technique de pose d’un parquet traditionnel en bois a été entièrement reproduite avec du papier. La flexibilité des matériaux confère aux objets un aspect précaire et nous renvoie au temps de leur fabrication. Parfois montrées dans un état inachevé qui rend leur progression apparente, les pièces existent dans leur rapport au temps. Le travail in situ donne lieu à des installations éphémères où la question de la conservation ailleurs mise en exergue est suspendue.

L’artiste évoque des impressions, des sensations, de l’ordre du vécu, qu’elle choisit de retranscrire selon le contexte dans lequel elle intervient. Si l’espace n’a pas été choisi pour ses qualités, elle trouvera les moyens de le façonner à l’image d’un autre imaginé et resté jusque là en réserve. Lorsqu’elle transformait les combles d’un immeuble en atelier puis en lieu d’exposition, elle travaillait dans et avec l’espace. Dans la galerie 180 à Rouen où elle avait été invitée à intervenir in situ, elle choisissait de modifier sensiblement le lieu. Britt Sprogis s’adapte au contexte, qu’elle investie comme un terrain glissant où de nouvelles modalités sont intégrées à son travail de création. Chaque pièce est le résultat d’une expérience dans le temps et dans l’espace où un ensemble de données opère et subit de nouveaux déplacements. Espace pensé et espace construit, mental et physique, basculent dans la figure de la maison qui s’assimile à la cellule mentale. La séparation entre l’intérieur et l’extérieur semble avoir été résorbée dans un travail sur la surface. L’utilisation des plaques de construction, l’action du ponçage, la reproduction d’une technique de pose d’un parquet ou celle d’une grille d’aération, renvoient à des opérations de montages qui l’isolent, la transforment, la détourent, montrent sa fonction ou la révèlent.

Les espaces sont habités par une présence singulière, que celle-ci soit liée à un phénomène naturel ou physique, animale ou humaine. Pendant l’exposition 51, rue M, la lumière entrante et ses déplacements semblait figer le temps et projeter les corps dans un état contemplatif ou l’attente d’une forme de résurgence. La disparition de la lumière révélait sa présence sur une bâche accrochée au mur dans Facetter. Le corps de l’artiste est engagé physiquement et la réalisation de certaines pièces côtoie la performance. L’artiste évoque leur dimension performative, ses gestes sont parfois montrés et toujours convoqués chez le spectateur. Lorsqu’elle souhaitait réaliser une pièce sonore, elle décidait de créer une pièce qui assourdissait l’espace. Dans ça avance ? elle convoquait l’idée de la marche dans un parquet en papier sur lequel on ne pouvait pas marcher. La présence et l’absence n’existent que dans leur interrelation. Le jeu permanent de la disparition et de l’apparition des choses interroge leur existence dans cette dualité.

 

Par Sarah Boubé

 

 

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