Au premier abord, l’univers que nous offre l’artiste semble s’ouvrir sur un musée ethnographique, aux matières brutes et prosaïques. Mais en s’avançant plus près, Kévin Rouillard se dévoile comme un alchimiste passionné qui assemble et fait naître de nouvelles pièces des objets recueillis lors de ses pérégrinations. En premier lieu, on se concentre sur ce qui nous est donné à voir : cette colonne mise sous vitrine, ce pavé enfermé derrière une autre, tel squelette ou objet encore marqué de sa vie passée… Cependant, le dénominateur commun à ces pièces est le choix méticuleux du mode de présentation : l’attention va progressivement se détacher de l’objet montré pour étudier la manière dont il nous est donné à voir. Depuis son entrée aux Beaux-Arts de Pau puis de Paris, il s’attache à ramasser et collecter ce qui constitue une véritable base de données. De celle-ci, il prend des pièces, y réfléchit, observe l’assemblage de deux d’entre elles, puis trois, le défait et recommence…jusqu’à obtenir le résultat parfait.

KÉVIN ROUILLARD, TAXINOMIE 2, 2015, BRIQUES, SUZE, SERPENTS SÉCHÉS, SABLE, BALANCES, PAPILLONS, PIERRES VOLCANIQUES, COTES, BALLES 303, FOSSILES, COQUILLAGES, 500cmx100cm. ©Kévin Rouillard

KÉVIN ROUILLARD, VITRINE P2F, 2014, VITRINE, COLONNE, 300X100cm. ©Kévin Rouillard

Dans Vitrine P2F, le spectateur est confronté, très logiquement, à une vitrine qui renferme une colonne. Si ses yeux glissent au-dessus du meuble, ils seront confrontés à l’objet exposé qui continue à s’élever jusqu’au plafond. On comprend alors que le geste artistique n’a pas été de modeler la colonne, ni de la déplacer dans une galerie pour être montrée, mais bien d’agir directement dans le lieu d’exposition et donner à voir une partie de l’architecture habituellement peu regardée. La galerie elle-même, antre de culture et de sa démonstration, vient être encadrée et exhibée. La pièce Vitrine P2F est sûrement l’une des plus pertinentes pour aborder la réflexion sur la monstration que Kévin Rouillard développe.

D’une maturité déconcertante quant à sa condition d’artiste, mais surtout d’être humain, il discute le travail d’artiste : avant même de créer, qu’est-ce que signifie exposer ? Qu’est ce qu’implique le geste de socler ? Revenant sur les réflexions déjà abordées par Constantin Brancusi ou Marcel Duchamp, il se détourne encore de ces géants de l’art en se concentrant sur l’exposition d’exposition. Avec Sa place est dans un musée, il va jusqu’à créer une installation qui singe le musée : les murs nus sont recouverts de pièces diverses dont l’accrochage est désordonné. L’œuvre se situe autant dans l’action de montrer que dans le choix des objets : seuls, ils ne sont que tas de ciment, bancs usés, bouts de squelettes et cartons à dessin abandonnés. Ensemble, cependant, une histoire se crée. Kévin Rouillard peut être vu comme un jeune alchimiste, mais également comme un commissaire : il insuffle des discours par association d’objets orphelins et leur construit des relations et des histoires.

KÉVIN ROUILLARD, SA PLACE EST DANS UN MUSÉE, 2014, CADRE CIMENT, CARTONS À DESSIN, DESSINS, SILEX, PHOTOMONTAGE “LES AVENTURES DE TINTIN”, SCREENSHOTS “INDIANA JONES ET LA DERNIÈRE CROISADE”, SQUELETTES DE CHAT, PIERRE, CAISSE EN BOIS, CIMENT ALLÉGÉ, PORTE FENÊTRE, DESSIN, 1000x300cm. ©Jérome Pauchant

Les relations sont un aspect important de son travail. Si par les objets, il a besoin de faire se rencontrer des éléments pour voir ce qui va naître de ces nouveaux liens, cette attitude se répercute sur sa vie artistique. Depuis le tout début, se réunir avec d’autres artistes afin de monter des projets communs se place comme une pratique essentielle. Il prend l’initiative de faire se rencontrer des personnalités, prend les éléments qui l’intéressent et les fait interagir les uns avec les autres pour que la chimie prenne. Se créant autour de lui une véritable famille artistique, il se rapproche de l’esthétique relationnelle. C’est moins le résultat de la rencontre entre jeunes artistes qui compte que les relations qui en résultent.

VUE D’EXPOSITION, 2014. ©Kévin Rouillard

Par la création de communautés et l’union de ses pièces, Kévin Rouillard est un conteur. Au premier abord froids et silencieux, les objets qu’il associe s’animent pour raconter de nouvelles histoires, mais témoignent également de souvenirs vécus. Accumulation de souvenirs physiques, il compose au gré de ses expériences une biographie créative. De plus en plus personnelles, ses pièces se durcissent également. L’artiste a beau être jeune, il en garde une certaine force de caractère et de maturité et ne veut pas oublier le « niveau zéro ». Inspiré par l’ouvrage de Bret Easton Ellis, il cherche à revenir au degré zéro de la création et de la vie. Donnant son corps, son temps et sa sueur au travail artistique, il accouche de sa dernière pièce Extrait tôle choc, bouclier poli par le sang des impurs, exposée en 2015 dans « Empiristes » pour la Bourse Révélation Emerige. Véritable production ouvrière, martelées de coups et malmenées pendant les longues semaines de solitude de l’artiste, ces plaques révèlent la violence du processus dans lequel il se plonge.

Alchimiste, conteur, biographe, curateur, plusieurs termes peuvent se greffer au travail d’artiste qu’exerce Kévin Rouillard. Méticuleux et acharné, entre sérénité froide et violence des gestes, ses pièces racontent un événement vécu, sont prétexte pour explorer un mode de vie nouveau, mais également deviennent source de réflexion quant à l’exposition dans une mise en abîme de sa propre condition d’artiste.

Anaëlle Villard