« Soudain…la neige » – Maison des Arts Bernard Anthonioz

« Soudain…la neige »

Une exposition collective à la Maison des Arts Bernard Anthonioz de Nogent-sur-Marne du 5/11/2015 au 31/01/2016, sous le commissariat de Caroline Cournède.

Par Raphaëlle Peria

Echard Mimosa, Arena (miroir), acrylique et tissu, 2014 ©  Romain Darnaud

 

 

 

 

 

 

 

     Pour sa saison d’hiver, la Maison des Arts Bernard Anthonioz invite neuf artistes aux pratiques diverses sous le commissariat de Caroline Cournède dans une exposition intitulée « Soudain…la neige ». Si le spectateur voit peu de neige dans cette exposition, c’est surtout à l’idée de recouvrement et de dissimulation ou, à l’inverse, de révélation engendrée par cet élément climatique que font référence les différents travaux des artistes. Que ce soit à une échelle intime ou au niveau plus universel de notre Histoire, la neige est ici ce qui enveloppe ou dérobe, mais aussi ce qui s’estompe quand vient le printemps et laisse apparaître les changements de notre monde avec ses cicatrices et ses renaissances.

     Le spectateur est confronté dès la première œuvre Arena (miroir), aux recouvrements opérés par Mimosa Echard. Elle masque sous une couche de peinture, une photographie argentique puis révèle les traces laissées sur la peinture par celle-ci en les séparant. Se crée alors le fantôme de l’image, un miroir brisé, allégorie du passage d’un état à l’autre.

Sonnier Valérie, Errance du petit camion dans le jardin. II, l’hiver, film super 8 et 8 mm, 6’10, 1997 © Romain Darnaud.

     Chez Valérie Sonnier et Ilanit Illouz, ce passage c’est celui de l’enfance à l’âge adulte. La première nous montre les dérives d’un petit camion de jeu glissant sur la neige, filmé devant la maison familiale. Le temps présent et celui des souvenirs d’enfance se confondent. La deuxième sur un fond blanc laisse défiler des sous-titres qui ne sont autres que ses paroles dans lesquelles elle évoque avec beaucoup de tendresse l’enfance de sa mère. Le texte est hésitant et les bégaiements retranscrits à l’écran. L’enfant devient adulte, le temps passe, semble-t-il, parfois trop vite.

Ce temps qui fuit ou se fige, Isabelle Giovanni le révèle dans sa série de photographie de petits formats Quand fond la neige… dans laquelle elle dissout certains des sels d’argent du tirage avec des produits chimiques. Les brouillages et aplats de blanc qui apparaissent perturbent les images. Ces vues du Mercantour que l’artiste a récupéré sur internet deviennent irréelles plongeant le spectateur dans une rêverie intemporelle.

Thu Van Tran, Le gris des herbicides, sérigraphies sur papier Steinbach, 300g, 2015, © Romain Darnaud

Dans la troisième salle, nous découvrons une première œuvre de Thu Van Tran. Le visiteur pourrait passer très rapidement à côté de cette série de sérigraphies à l’esthétique minimaliste ou se superposent des couches de couleurs pour former des aplats de gris dont les nuances varient. Son titre pourtant retient l’attention : Le Gris des Herbicides. Ces images, d’apparence très simple nous emmènent dans les arrière-plans de la guerre de Vietnam. Thu Van Tran reprend dans ses lignes les couleurs des agents chimiques, les herbicides, utilisés par l’armée américaine contre les populations locales. Ces herbicides d’un doux gris qui laissent apparaître les couleurs plus fortes des massacres et des dégâts qui ont été causés par ces armes dans un pays qui en porte encore les traces.

     Ce jeu de recouvrement et de dissolution qui nous pousse ici à réfléchir à la destruction est aussi employé par Jonathan Martin dans sa vidéo Bleach réalisée en 2013. Faite à partir de pellicules 35 mm plongées dans des bains de javel (bleach en anglais), la vidéo est projetée sur toute la surface d’un mur. La bande-son quant à elle emplit l’espace. Tirée de l’album Bleach de Nirvana, une chanson est diffusée à l’envers comme pour mieux perturber les repères du spectateur. Ici plus qu’une revendication politique ou historique, c’est la matérialité de l’image et du son qui intéresse l’artiste. Comme lorsque la neige parfois brouille la télévision, une réalité se superpose à une autre.

     À l’étage, Cécile Hartmann superpose des couches d’images non pas sur un écran, mais directement sur un socle qui les surélève à peine du sol. Le spectateur surplombe ces grands tirages pris lors de moments de crise américaine. Il ne peut cependant en comprendre tout l’impact puisque chaque image est recouverte par une autre et n’apparaît que par fragment. Au mur deux autres photographies de l’artiste nous mettent face aux blessures infligées par l’explosion de la bombe d’Hiroshima sur les arbres alentour. Blessures d’un temps passé, mais qui marqueront à tout jamais la nature et l’humanité et qu’aucune neige ne pourra plus recouvrir.

Hartmann Cécile, Sediments & Lacunas, Wall Street, Hiroshima, digital prints sur papier affiche 90 x 150 cm, 2014 © Romain Darnaud

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