Prosopopées ou Thanatos déguisé en Eros le temps d’un instant et vice-versa

Rentrer dans l’exposition  » Prosopopées » c’est un peu comme rejoindre une fête pour y voir Thanatos déguisé en Eros… Une association audacieuse aussi étonnante par l’émerveillement qu’elle provoque qu’amusante par son absurdité révélée. C’est l’espace du 104 qui propose d’accueillir « ces objets qui prennent vie » le temps d’un instant, celui de l’exposition : du 5 décembre 2015 au 31 janvier 2016. En raison de l’architecture compartimentée du lieu, nous avons la sensation d’aller rendre visite tour à tour à des formes plus étranges les unes que les autres, véritable maison de fou aux chambres multiples. Nous irons même jusqu’à y voir une réunion collective au sein de l’espace nommé « L’appartement fou ». Au croisement du freak show, du cabinet de curiosité et de l’hôpital psychiatrique, la sensation d’être dans une ambiance particulière se fait omniprésente… Impossible de définir à l’avance ce qu’il se passe derrière ces « chambres ». Une chose est certaine l’étrange est au rendez-vous !

Mêlant appréhension et excitation nous retombons dans l’enfance en nous voyant émerveillés par un canapé qui tient sur un pied (Balance from within de Jacob Tonski), perplexe face à un vidéoprojecteur qui se scanne lui-même à l’aide de miroirs (RE : de Bram Snijders et Carolien Teunisse), séduit par une fumée de cigarette qui s’échappe d’une bouche visible à l’écran (Art Student de Marck), frustré par un miroir qui ne veut pas que l’on se regarde en lui (Miroir fuyant de Thomas Cimolaï), hypnotisé par une spirale de points lumineux (Timée de Guillaume Marmin et Philippe Giordani)… Bref un cocktail d’émotions faisant aussi bien la girouette que le corbeau de Kristof Kintera  dans I see, I see, I see qui nous surplombe en nous insultant.

(Jacob Tonski, Balance from within, 2010)

(Bram Snijders et Carolien Teunisse, RE : , 2010)

(Marck, Art Student, 2015)

(Thomas Cimolaï, Miroir fuyant, 2013)

( I see, I see, I see, Kristof Kintera, 2009)

(Guillaume Marmin et Philippe Giordani, Timée, 2014)

 

Cette exposition nous la subissons par cette explosion de possibilités de formes de vies, cette folie de l’indépendance. Cependant, la fin du subterfuge se fait sentir… Les visiteurs ne cessent de se demander « comment ça marche ? », « il est où le truc ? » et là, patatra, l’oscillation d’un mouvement de la sculpture mouvante Sans Objet d’Aurélien Bory, on voit « le truc », la machine, cette mécanique programmée qui nous fait face sans sourciller. Derrière son apparat empreint de vie, Eros n’est donc rien d’autre que Thanatos qui s’est déguisé !

(Aurélien Bory, Sans Objet, 2009)

 

Absurde non ? Des « oh on l’a vu! »,  «  tiens regarde, c’est donc ça » jaillissent. Mais est-ce qu’il nous viendrait à l’esprit de dire à un enfant en costume de fantôme : « Tu sais, on voit tes pieds » ? Au lieu de prendre part à la déception, d’avoir vu, connu, su l’astuce du tour de magie ce que nous propose cette exposition c’est plus une interrogation amusée sur la coexistence, le rapport binaire entre la vie et la mort. Vivantes en apparence, froides à l’intérieur, ces œuvres semblent trouver un équilibre dans lequel ces contrastes coexistent en une symbiose contradictoire. Et c’est peut-être le travail d’Edwige Armand qui incarne au mieux cette rencontre improbable via Endophonie mécanisée qui nous laisse voir des organes sortis de leurs corps qui restent « vivants puisqu’ils bougent ». Efficace, étonnamment autonome, nous sommes confrontés à cette vie qui nous habite que nous ne sommes pourtant pas en mesure de voir, un cadeau.

(Edwige Armand, Endophonie mécanisée, 2012)

 

La vie vous va si bien pourra-t-on dire à ces objets. Pour en recevoir aussitôt la réponse « la mort nous va si bien… » dès que l’on revêtit les exosquelettes de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers dans Inferno le temps d’une danse en enfer… Prosopopées propose un temps et un espace pour inverser les rôles, jouer à ce que l’on n’est pas, se déguiser, ainsi les « vivants » feront semblant de mourir et les « morts » feront semblant de vivre.

(Bill Vorn et Louis-Philippe Demers, Inferno, 2015)

Anaïs Ciaran

 

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