L’illusion du réel mise en oeuvre, l’oeuvre de Sara Acremann

Par Mona Prudhomme
«  J’ai souvent l’impression de trancher dans le réel » explique l’artiste Sara Acremann.Ses œuvres sont des histoires, qui se multiplient les unes face aux autres et s’entremêlent autour d’un mystère. Le mystère du «  je » et du « nous », une ambiguïté espiègle de l’artiste qui invente mille personnages et semble toujours se réinventer elle-même. Aussi bien auteure que narratrice ou actrice, Sara met en scène des instants, des moments volés sur le long fil tendu de la vie.

Lorsqu’elle enregistre sa grand-mère qui perd la tête ou qu’elle filme sa première visite chez un astrologue, elle nous laisse entrer dans son intime, mais toujours pour y questionner le nôtre. Lorsqu’elle se poste en observatrice dans les rues de Pékin, la caméra braquée sur cette multitude de corps inconnus, elle ne cherche pas à prendre position. C’est un instant T, irrémédiablement passé, dont témoignent ses clichés photographiques. On lit comme un absurde besoin de garder des traces de ces moments, sans savoir exactement ce qui perdurera après la « mise en œuvre ».

Sara Acremann, Série Pékin, deuxième périphérique, photographie numérique 120cm x 160cm, 2011 ©Sara Acremann

Sara Acremann, Série Pékin, deuxième périphérique, photographie numérique 120cm x 160cm, 2011 ©Sara Acremann

Des miettes de vies, des empreintes de présences, et un matériau central : la parole. Comme une litanie, les œuvres de l’artiste ramènent à cette obsession du langage « incarné », comme elle le nomme. Peu importe les situations, les personnages de Sara persistent à exister, encore et toujours. C’est surtout la faille ou l’absence de la parole qui intéresse l’artiste, diplômée de Lettres modernes. Avec l’email amoureux qu’elle grave sur une imposante roche au moment même du montage de l’exposition à la Villa Emerige, elle montre la naïveté et le ridicule du discours qui fut alors le sien. Les mots fiévreux de l’amoureuse semblent presque irrationnels une fois exposés aux yeux de tous. À la suite de cette gravure, elle réalise la vidéo Ce mur.

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Ici le visiteur est dupé, coincé dans l’attente d’une action dans l’image qui n’arrivera jamais. Sans le léger battement de la lumière et des ombres, la vidéo pourrait être une photographie. Rien n’est jamais certain, tout reste à faire et c’est cette ouverture des possibles qui est touchante dans l’univers de l’artiste.

Sara Acremann, La Liste, texte, 2015 © Sara Acremann

Sara Acremann, La Liste, texte, 2015 © Sara Acremann

Avec La Liste, on suit du regard ces enchaînements de mots, ces combinaisons infinies qui font peut-être sens dans une autre réalité, mais perdurent irrésolus dans la notre. Ici personne n’a tranché, nul ne sait où aller ni où l’on pourrait arriver. Chacun doit assumer ses choix face à cette beauté du hasard, si grand, si absorbant qu’on en deviendrait tous fous.

«  L’imagerie se déploie au regard d’une illusion des pratiques qui saisit la modalité des récits et les utopies du personnage incarnant le pouvoir sensible de la représentation. Le langage s’incarne pour activer les explorations polyvalentes, les entre-deux, les futurs, au cœur des systèmes sociaux, les signifiants qui génèrent les rythmes textuels. L’interprétation se façonne pour résoudre une expérience des potentialités qui module la variation des scénarios et les institutions du dialogue cohabitant avec le tissage discursif d’une action.»
Exemple de texte réalisé à partir des mots proposés dans l’œuvre La Liste.

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