Entretien avec Marie Jacotey

Marie Jacotey est née en 1988 à Paris, elle vit et travaille à Londres. Elle expose cette année pour la soixantième édition du Salon de Montrouge.

Entretien par Marie Bonhomme

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Marie Jacotey, Be Young, Be Wild, Be Desperate, 60 dessins, 23×18 cm, vue d’exposition.

 

Marie Bonhomme — Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? Comment en êtes-vous arrivée au salon de Montrouge ?

Marie Jacotey — J’ai étudié aux Arts Décoratifs de Paris d’où j’ai été diplômée en 2011. L’année suivante je suis entrée au Royal College of Art de Londres ou j’ai obtenu mon diplôme en 2013. À partir de ce moment-là, j’ai trouvé un atelier et j’ai commencé à travailler en tant qu’artiste. La première année n’as pas été la plus facile, entre les petits boulots que j’avais, je candidatais pour des prix, des bourses, ainsi que le Salon de Montrouge pour lequel j’ai candidaté en octobre et qui m’amène à exposer en mai.

MB — Que présentez-vous cette année au Salon ?

MJ — J’ai pour but de présenter un ensemble d’une soixantaine de dessins d’une série nommée Be young, Be wild, be desperate. C’est une série encore en cours qui se compose de cent trente dessins de format 23×18 cm dans laquelle j’ai fait une sélection. Cette série je l’ai créée originellement pour une publication que je comptais réaliser avant d’en faire une installation. Mais pour le salon, elle sera présentée sous forme d’installation qui prendra l’aspect d’une grille. Je vais également être résidente du Salon pendant un mois pour réaliser une autre pièce, faite sur de grandes plaques de plâtres et qui utilisera des techniques mixtes. J’ai en amont effectué des recherches plastiques et iconographiques pour mettre en place cette installation, que je suis impatiente de réaliser.

 MB — Comment votre pratique s’est-elle dirigée vers une démarche proche de la bande dessinée ? Et quelles sont vos influences dans cette dernière ?

MJ — C’est assez simple. Quand j’étais enfant, je lisais beaucoup de BD classique comme Tintin, Astérix, ou des auteurs comme Gotlieb, Blutch. En arrivant aux Arts Décoratifs, j’ai rencontré beaucoup d’autres artistes qui aimaient la bande dessinée et qui m’ont fait découvrir de nouvelles choses. Enfant, je dessinais beaucoup, jamais clairement de la bande dessinée, mais toujours du dessin figuratif à tendance narrative, que j’ai continué de développer pendant mon cursus scolaire, en parallèle d’autres expériences de peintures qui était moins proches de la bande dessinée. Mais cela m’a toujours suivi. Dans mon travail, je questionne le rapport entre le texte et l’image, donc je pense que de manière assez évidente cela lie mon travail à la bande dessinée et au roman graphique.

MB — Les personnages présents dans votre œuvre sont-ils inspirés de vos observations, des gens qui vous entourent ou tirés de votre imagination ?

MJ — Tout est tiré de mon imagination, mais il est vrai que souvent, en dessinant les scènes que j’invente, je m’aperçois qu’il y a certaines références à des personnes que je connais. Cela m’est déjà arrivé de faire des clins d’œil, notamment dans mon livre BFF, dans lequel une scène de deux filles discutant dans un bus fait référence à une amie. En fait, je fais souvent cela, non pas avec les personnages que je dessine, mais plutôt avec les éléments du décor. J’aime citer des dessins ou des objets d’amis, des choses qui existent dans mon environnement personnel. L’important n’est pas que ce soit reconnu, mais cela me permet de nourrir mon univers.

 

MB — En parcourant internet, on peut retrouver votre travail sur des tumblr d’anonymes à inspirations féministes, cette dimension est-elle volontaire dans votre travail ?

MJ — Ce n’est pas volontaire, car je n’essaye pas de faire quelque chose d’engagé, mais je pense que, malgré moi, cela véhicule des idées que je peux avoir en tant que personne sur la place de la femme dans la société. Je pense que je peux me définir comme féministe même si je ne sais pas si mon travail revendique une idéologie. Si c’est le cas, alors cela ne me dérange pas que mon travail soit repris par des mouvements féministes, au contraire.

J’ai d’ailleurs travaillé en mars dernier avec une auteure anglaise, qui publie Tender journal, qui est un journal qui réunit des auteures et illustratrices. Elle est tombée par hasard sur mon tumblr et a fait un lien avec le propos de Tender Journal.

MB — Vous avez exposé des peintures à l’huile sur des supports plastiques maintenus au mur grâce à l’électricité statique qui donne un aspect sculptural à votre travail. Quel a été votre processus expérimental pour arriver à ce résultat ? Et pourquoi ?

MJ — En règle générale, j’aime expérimenter avec et sur différents types de matériaux. Je conçois le dessin comme une prise de note qui forme le corps central mon travail. C’est une pratique qui m’est quotidienne, de manière très simple en utilisant du papier et des crayons de couleur. Partir de ce point me donne des idées parfois non picturales, et me permet de faire des digressions comme faire la recherche sur du textile, du bois, du plâtre, sur lesquels je dessine des motifs.

C’est de cette façon que j’ai commencé à peindre sur du plastique, au Royal College, où j’utilisais du plastique pour mixer mes couleurs, à défaut d’avoir une palette. Je me suis aperçue que j’aimais le matériau en lui-même et c’est comme cela que j’ai commencé à l’utiliser pour créer des motifs abstraits que je laissais sécher au mur. En les détachant, je me suis aperçue qu’ils tenaient sans aucune aide et que la découpe donnait l’impression que le motif était peint sur le mur. C’est cette matérialité spéciale avec un aspect brillant qui m’a poussé à sortir de l’expérimentation plastique et à réaliser ce projet de peinture plus figurative.

MB — Certains des dessins se trouvent par terre et cet accrochage par l’électricité statique donne à votre travail une dimension éphémère, très fragile. Y a-t-il un aspect performatif s’ils tombent ?

MJ — En effet, j’ai présenté des dessins posés au sol pour mon diplôme au Royal Collège, mais je ne suis pas sûre de le refaire. Il s’agissait de montrer le processus qui va avec cet accrochage, c’est-à-dire la dimension éphémère des peintures qui peuvent tenir cinq minutes comme trois semaines. Cependant, pour mes autres expositions, je les ai fixées au mur, car il était impossible pour moi de les raccrocher tous les jours. En y repensant, je trouve que le lien entre les peintures au sol et au mur ne fonctionnait pas très bien, le spectateur avait l’impression de voir deux ensembles de travaux différents et la relation entre les deux se faisait difficilement. J’aimerais par la suite poursuivre ce travail en documentant le processus en vidéo, pas en tant qu’installation, mais en questionnant le coté éphémère de la peinture qui se décroche.

MB — Les histoires qui émanent de vos dessins et peintures semblent tirées de journaux intimes de jeunes femmes, le tout sous l’emprise d’une phrase marquante Be young, be wild, be desperate qu’est ce que ce titre signifie pour vous ?

MJ — Ce titre est au plus proche de ma pratique quotidienne du dessin, donc effectivement cela se rapproche du journal intime même si ce n’est jamais autobiographique. Ce titre retranscrit un état d’esprit. Je l’ai choisi, car il me paraissait assez représentatif de l’ensemble de ma pratique. Quand je travaille, j’aime avoir en tête une phrase qui puisse être une arrière-pensée dans la production d’une image, et qui fonctionnerait comme fil rouge de toute une série. Je ne sais plus exactement comment ce titre est arrivé, mais je me souviens que c’est un commentaire qui m’est venu sur un dessin de la série de soixante. Après l’avoir légendé, cette phrase m’a paru être le titre que j’essayais d’exprimer pour l’ensemble de ce travail.

MB — La majorité de vos dessins utilisent l’anglais dans les phylactères et les cartouches, pourquoi cet usage ? Y a-t-il une dimension générationnelle ?

MJ — En France, je n’écrivais qu’en français. Puis, arrivée à Londres, je me suis aperçue que les gens ne pouvaient pas me comprendre, j’ai donc changé de langue à partir de là. Cela n’avait pas une dimension générationnelle, mais il est vrai que de plus en plus on utilise des acronymes, etc. Je fais quelques erreurs de langage qui permettent de comprendre que ce n’est pas ma langue maternelle, et de cette façon, les Anglais m’ont dit que c’était ma voix, la manière dont je parle, qui a créé un ton à mon travail.

MB — Les personnages féminins que vous représentez offrent des positions lascives, questionnant le corps et son rapport à la mort, au sexe ou encore aux relations amoureuses, quel point de vue adoptez-vous par rapport à ces représentations et pourquoi ces thèmes ?

MJ — J’imagine que le point de vue change en fonction des images. Il y a des sujets que j’aborde de manière assez obsessionnelle, cela varie par période. J’ai l’impression que ma relation à ces sujets paraît être la même puis, d’une année sur l’autre, ma manière de les exprimer se transforme légèrement. Au début de ma série Be young, be wild, be desperate il y avait quelque chose de beaucoup plus adolescent, notamment dans le traitement des images, l’iconographie et les textes. Il en ressortait quelque chose de plus léger.

Aujourd’hui, dans ma dernière série, il y’a quelque chose de plus mélancolique, de moins brutal et moins provocateur. Même s’il est difficile pour moi de l’analyser et que cette interprétation est personnelle, je pense que de l’extérieur on comprend plus clairement les sujets. Néanmoins, je trouve qu’il y a toujours une noirceur et un cynisme qui transparaissent des images.

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Marie Jacotey, Needy as hell, série Be Young, Be Wild, Be Desperate, dessin 23×18 cm.

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Marie Jacotey, Needy as hell, série Be Young, Be Wild, Be Desperate, dessin 23×18 cm.

 

MB — Il existe un paradoxe dans vos travaux entre des scènes souvent mélancoliques, et des décors très « ensoleillés » dans lesquels vos personnages évoluent. En quoi ce paradoxe est-il important ?

MJ — Généralement, j’aime beaucoup jouer sur les contrastes, de manière plus ou moins consciente. Les couleurs sont très importantes pour moi, elles apportent une fraîcheur, une luminosité qui contraste avec le propos et c’est ce qui m’intéresse, jouer avec les couleurs presque pastel, assez douces. J’ai déjà travaillé en noir et blanc, mais cela paraissait froid, à la manière d’un film noir et ce n’est pas en accord avec ce que j’essaye de véhiculer.

MB — On remarque une naïveté dans votre trait, pourquoi ?

MJ — J’essaye de trouver un équilibre entre quelque chose qui soit à la fois naïf, c’est-à-dire qui garde une fraîcheur presque enfantine, et quelque chose qui soit plus maîtrisé, que l’on trouve dans les compositions ou les détails d’un personnage, d’un visage ou d’un objet. Dans le dessin, j’aime que tout ne soit pas parfait et maîtrisé. Par exemple, j’apprécie les dessinateurs chez qui il existe une ambivalence entre des choses qui paraissent être dessinées à main levée et des détails plus maîtrisés, à la manière de David Hockney. J’adore les dessins d’art brut, et de la façon dont les gens sont plus ou moins conscients de ce qu’ils dessinent, il en ressort parfois une vraie force et une vraie émotion. La précision n’est pas toujours utile pour faire passer des émotions.

Depuis mon enfance, je dessine, pas particulièrement bien, mais de façon quotidienne. J’ai pris des cours plus traditionnels de dessin durant mon parcours aux Arts Décoratifs. Mais je pense que mon trait se transforme un peu malgré moi, même s’il y a toujours une constante dans les sujets, dans cette présence de l’image et du texte. Même si mon travail est toujours figuratif, le trait évolue, et je le laisse faire.

MB — Quelles sont vos sources d’inspirations actuelles ?

MJ — Actuellement, je viens de finir certains des livres de Catherine Millet dont j’ai beaucoup aimé le style, notamment Une enfance de rêve. J’ai aussi lu des livres de Virginie Despentes qui se trouvait être dans mes attentes de lecture du moment, et cela m’influence pour aborder les thèmes de la sexualité et des femmes. J’écoute également la radio quand je dessine, j’aime beaucoup entendre des histoires lorsque je travaille.

Je suis aussi influencée par ce que mes amis sont en train de faire. Je gravite dans un environnement de personnes qui font du design, de l’art, de l’architecture, et de manière formelle, cela me donne de l’inspiration. Par exemple, j’ai une amie artiste qui a réalisé une installation à l’intérieur de laquelle sont accrochées d’immenses photographies sur panneau de rideaux noir, qu’elle dispose dans des pièces. De mon côté, j’ai représenté ses rideaux dans un dessin et à partir de là je me suis mise à en dessiner très souvent, ils sont devenus un élément très important dans ma production. Plus tard, je me suis rendu compte que David Hockney en dessinait très souvent, et de cette façon, les choses se raccrochent les unes aux autres.

 MB — Quels sont vos projets pour la suite, après le Salon de Montrouge ?

MJ — Ce premier semestre 2015 est exceptionnel ! J’ai plusieurs expositions qui ouvrent en même temps. En juin, je vais faire partie d’une expo collective à Londres, qui sera une exposition d’artistes femmes. Je vais probablement exposer dans les Hamptons à New York cet été, et travailler sur un nouveau Solo Show à Londres pour la rentrée. J’aimerais faire coïncider l’ouverture de cette exposition avec la parution d’une publication sur mon travail, que je co-réalise avec deux graphistes, qui ont un espace d’intervention artistique au sein de ce projet. J’aimerais aussi finir et publier cette année, Be young, Be wild, Be desperate.

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