Be young, be wild, be desperate : Marie Jacotey

« Be young, be wild, be desperate » aurait pu être le slogan d’un groupe punk des années 1970. Mais avec cette phrase, Marie Jacotey nous plonge dans l’intemporalité et la complexité des relations humaines.

Marie Jacotey utilise le dessin pour révéler des personnes, des situations, des décors, qui sans cesse nous ramènent à notre propre existence. Bien souvent, ce sont des filles, qui offrent au spectateur des positions lascives, parfois elles nous regardent, parfois leur regard est ailleurs, très loin de nous. Son dessin rappelle la naïveté maitrisée de David Hockney, ses lignes franches et colorées. Sans se soucier des règles du dessin, son trait ignore consciencieusement les détails pour en garder l’essentiel ; les matières et les motifs, et bien sûr, les émotions. On retrouve également Edward Hopper et sa mélancolie ambiante dans l’Amérique de la grande dépression ainsi que l’ennui qui règne au sein de décors ensoleillés. Mais la réalité de Marie Jacotey est plus crue. Nous sommes au cœur du malaise adolescent qui évolue en laissant des traces jusqu’à l’âge adulte. Au fil des années, le travail de Marie Jacotey grandit avec elle, et pose les questions liées aux différentes périodes de la vie. Mais son travail n’est pas autobiographique ; elle laisse loin derrière l’introspection pour imaginer des situations particulières, qu’elle pioche dans l’observation du monde qui l’entoure, ou qu’elle invente.

À la manière d’une bande dessinée, elle fait usage de phylactères qui agrémentent et font partie intégrante de ses dessins. Ce sont des commentaires ou des messages qui, sans raconter trop d’histoires, se manifestent comme des pensées. Si les dessins qu’elle construit (le plus souvent en série) sont le fruit d’une narration partagée avec les mots qu’elle appose, son travail est une véritable recherche plastique qu’elle ne cesse d’interroger par l’utilisation de nouveaux matériaux. Que ce soit par de massives plaques de plâtres ou de fins morceaux de plastique fluide, Marie Jacotey questionne le processus plastique de sa pratique du dessin.

Le travail de l’artiste se rattache aux éternels thèmes de la mort, du sexe et des rapports sociaux. Ces thèmes-là, elle les aborde dans des situations anecdotiques : une jeune fille se retrouve allongée presque nue sur un tapis coloré, dans un univers intime qui paraît être celui d’une chambre. Un tableau est visible au premier plan, et semble représenter une architecture. La déception amoureuse se devine par un texte qui illustre la scène où l’on peut lire « no future for us ». Ainsi, le désespoir exprimé par les mots peut être considéré comme une seconde lecture. Il ne s’agit plus d’une fille nue paraissant attendre quelque chose du spectateur en le fixant, il s’agit de la mélancolie de la rupture amoureuse. La mort, le sexe, l’amour et la mélancolie sont alors personnifiés dans ces jeunes femmes préoccupées. On lit, entre les lignes de l’artiste, l’influence de la culture adolescente, à travers une représentation du monde contemporain, mis en relation avec des sujets atemporels liés aux Hommes. Dans le travail de Marie Jacotey, les personnages représentent les questionnements perpétuels qui traversent les individus.

Son travail s’attache à l’importance des couleurs. Des couleurs vives et travaillées qui contrastent avec le propos, et qui sont une manière de fixer ces fragments dans la vie réelle. Cyniquement, une belle jeune femme en robe de soirée rouge pose devant le poster d’un cimetière. C’est là toute l’ambiguïté du travail de Marie Jacotey qui trouve ses racines dans la difficile compréhension des rapports humains.

Dans la continuité de sa recherche, l’artiste propose des éditions qui sont au croisement de la bande dessinée et du livre d’artiste. Elle initie un rapport narratif et une recherche graphique avec les histoires qu’elle crée. Dans un subtil mélange des deux formes de création, le travail qu’elle propose acquiert toute sa singularité.

Son propos renvoie à la culture de bande dessinée, comme Ghost World de Daniel Clowes qui raconte l’errance de deux jeunes filles dans leur ville natale, entre ennui urbain et mépris de la société. Cette errance que l’on retrouve dans le parcours des filles dessinées par Marie Jacotey. L’intimité qu’elle expose par fragments est ancrée dans les trois mots qui apparaissent comme fil conducteur de son travail : la jeunesse pour Marie Jacotey est alors sauvage et désespérée.

Marie Bonhomme

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