« Quelque chose en plus » : Grégory Buchert, Mains d’oeuvres

Le lieu d’exposition Mains d’œuvres présente la première exposition monographique de l’artiste plasticien Grégory Buchert. Ancien du Fresnoy, du Post-diplôme de l’ENSBA Lyon et de la HEAR à Strasbourg, qui a déjà exposé à Beaubourg (Hors Pistes), à la Kunsthaus Baselland, au CNEAI à Chatou, au sein du programme Résonance de la Biennale de Lyon, à la Motorenhalle de Dresde, aux Frac Languedoc (hors les murs) et Frac Bretagne, ou encore au CRAC Alsace, il est représenté par la galerie Jérôme Poggi depuis l’an passé.

 « Quelque chose en moins » est le titre que Grégory Buchert a décidé de donner à cette exposition. Dix œuvres sont présentées aux spectateurs dans un espace occulté de la lumière du jour. Essentiellement performatives, les vidéos présentées témoignent majoritairement des histoires que nous raconte l’artiste. Des vidéos dont la durée peut aller jusqu’à 20 heures de visionnage pour la plus longue et, dont l’aspect technique est égal à celui des longs-métrages.

Le voyage vers « quelque chose en moins » débute par une vidéo à mi-chemin entre le film expérimental, le documentaire et le récit d’une odyssée intime qui est préalablement racontée au spectateur :

« Au mois de juillet 1989, Michèle Buchert et son mari Yves (parents de l’artiste) partent en voiture de Haguenau (Bas-Rhin), pour passer quelques jours de vacances dans le village de Piolenc (Vaucluse). Un trajet de 750 kilomètres que Michèle devra effectuer sans que son mari ne prenne le volant. En effet, Yves, lecteur compulsif, entame au moment du départ un roman de plus de 800 pages. Après une journée de route, le couple arrive enfin à destination. Michèle est harassée de fatigue tandis que son époux, côté passager, referme le livre terminé. Il vient d’engloutir en un peu moins de 9 heures, les 858 pages que compte “Ulysse” de James Joyce. Soit, un peu plus d’1,5 page par minute, rendement qui constitue sans doute un record. Quelques semaines plus tard, pour des raisons qui resteront obscures, Yves partira sans laisser de traces, quittant sa femme et ses deux enfants. Sans être certain que cette anecdote soit avérée, sans parvenir à distinguer la part de fantasme et de réalité à l’origine de ce souvenir d’enfance, Grégory Buchert s’est souvent posé la question : jusqu’où irais-je et combien de temps mettrais-je à mon tour pour achever la lecture de ce roman ? »

À cette question, Grégory Buchert va tenter de donner une réponse en réitérant le voyage que ses parents avaient entrepris plusieurs années auparavant. Accompagné de sa propre sœur, témoin elle aussi de la disparition de son père et, de deux amis, chargés de la prise de vue et du son, nos quatre voyageurs vont alors capter et filmer le déroulement de l’action, l’écoulement du voyage dans toute sa dimension narrative. Comme son père, Grégory ne va à aucun moment toucher le volant, reléguant cette tâche à sa sœur ou à ses amis. Lui, a pour mission de lire le livre dans la totalité à voix haute, infligeant le récit du roman à ses auditeurs.

Pourtant, alors que son père aura lu l’intégralité du livre d’une seule traite en 9 heures, Grégory Buchert n’éprouve pas la même facilité. Au contraire, il a du mal, l’histoire de ne le passionne pas, c’est un exercice douloureux, il peine à lire et se déconcentre facilement malgré les encouragements constants de ses compagnons.

Le but de l’expédition devait au départ se terminer au même endroit que ses parents, c’est-à-dire à Haguenau. Mais en raison de la lenteur du lecteur-orateur, l’expédition se poursuivra jusqu’au Détroit de Gibraltar, car le contrat était simple : si la lecture n’était pas terminée dans les délais, l’équipage devait continuer sa route vers le Sud, jusqu’à ce que la dernière page soit tournée.

"858 pages plus au sud" Le film 2011/59 min Production Le Fresnoy,  Studio National

« 858 pages plus au sud »
Le film
2011/59 min
Production Le Fresnoy,
Studio National

 

Dans la vidéo finale, les moments de lecture sont entrecoupés des différentes étapes et arrêts qu’ont réalisés les voyageurs. On peut alors tout aussi bien les suivre en train de boire une bière dans le bar de l’hôtel, à discuter de leur enfance, de quelques anecdotes rigolotes. Quelques séquences donnent également la parole aux différentes personnes rencontrées sur leur route, les interrogeant sur la notion de voyage et de récit. Enfin, des scènes totalement fictives viennent rythmer le montage du film. Ces « saynètes » concordent parfois avec la lecture du roman, comme une adaptation, une mise en abîme du roman « Ulysse ». En définitive, cette vidéo, ce film relève plus du carnet de bord filmé et du voyage psychanalytique. Un moyen peut-être d’enfin comprendre le choix et la décision de son père, car peut-être était-elle écrite dans le roman.

Le reste de l’exposition se poursuit avec de nouvelles performances, vidéos et photographies où l’artiste se met toujours en scène, parfois accompagné d’un partenaire. Grégory Buchert gesticule au sommet d’une colline enneigée, invite un peintre aquarelliste à peindre le même paysage pendant toute une journée à la manière des impressionnistes, investit un rond-point et se demande ce que deviennent les œuvres d’art une fois l’exposition terminée.

"Gourdoulou" co-réalisé avec Jonathan Schall 2009/26 min Production CRAC Alsace

« Gourdoulou »
co-réalisé avec Jonathan Schall
2009/26 min
Production CRAC Alsace

Ces diverses productions résultent du goût de Grégory Buchert pour l’imagerie du making-of, en tant que double proposition narrative : la fiction initialement projetée se développant toujours dans les limites d’un second récit, qui est celui de l’auteur en prise avec son propre travail.

L’exposition se termine par la proposition de l’artiste et du commissaire de l’exposition, Ann Stouvenel, d’un corpus de livres en tout genre, se référençant implicitement aux œuvres, aux idées et au travail de l’artiste. Cette « petite bibliothèque » de l’artiste présente alors des œuvres littéraires telles que La promenade de Robert Walser, Les anneaux de Saturne de W.G Sebald où encore La traversée de la France à la nage de Pierre Patrolin.

 

Marcy PETIT.

 

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