Valentin Dommanget : Une plongée dans la contemplation

Après une Licence de « Design de Mode – Option textile, surface et environnement » à l’École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art de Paris, Valentin Dommanget suit un Master de Beaux-Arts à la Central Saint Martins School de Londres. De retour à Paris, il a été sélectionné cette année pour exposer lors de la 60e édition du Salon de Montrouge (5 mai – 3 juin 2015).

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies X7, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 93x85x10 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies X7, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 93 x 85 x 10 cm, 2014

Lisa Tietze : Dans les œuvres de la série Digital Stretcher Studies (2014/15) on remarque une grande sensibilité. Elles ont un côté poétique avec leur effet marbré qui fait penser à une sorte de minéral. Pourriez-vous nous parler de ce travail ?

Valentin Dommanget : Lors de mes études en design de mode et textile, je me suis intéressé aux objets de contemplation, notamment en réinterprétant des objets de mon enfance que je pouvais observer des heures sans jamais éprouver le besoin d’en comprendre leurs utilités. Ces objets, principalement des souvenirs issus de collections insolites, étaient de formes et d’esthétiques singulières et c’est cela que j’ai cherché à adapter au monde de l’art contemporain. Je tenais à travailler sur la notion de contemplation pour son caractère universel. J’aime penser que tout le monde peut s’immerger dans une de mes pièces sans forcément comprendre les tenants numériques en arrière-plan. Afin de candidater au Master des Beaux-Arts de la Central Saint Martins, il fallait proposer un cadre d’études sur lequel je comptais porter mes recherches pendant deux ans. Étant fan de Net art, d’art numérique et d’histoire de l’art plus généralement, je me suis concentré sur la création de ponts entre art traditionnel et numérique. Au début j’ai continué mon travail sur le format Gif comme pas mal d’autres Net artistes, cependant peu d’entre eux faisaient passer les expérimentations dans le monde réel avec des objets tangibles. En tout cas c’était la tendance de l’époque, car en ce moment ça change très rapidement. Par la suite, je me suis essayé à reproduire des plâtres de mon ordinateur ou bien des projections vidéos sur toiles peintes jusqu’à organiser les funérailles de mon MacBook décédé. La présence du digital ramené dans le réel était encore trop visible, c’est pourquoi je l’ai réduit à un quasi-silence dans mon travail actuel.

L.T. : Pourriez-vous expliquer la démarche que vous avez suivie pour arriver à l’originalité de votre travail ?

Valentin Dommanget : Pendant l’entre-deux de la première à la deuxième année de mon Master, je me suis remis à ma technique de peinture débutée lors de ma Licence en textile en oubliant tous mes concepts de numérique, etc. Je me suis mis à faire des grandes toiles, format rectangle, normal, basique, traditionnel. Mais rapidement j’ai remis en question ce format classique étriqué du châssis. Au même moment je commençais à m’intéresser à des logiciels 3D type Sketchup, j’ai alors modélisé un châssis dans mon ordinateur puis commencé à jouer avec les différents outils numériques. Ici il faudrait dire que je m’intéresse aussi au Transhumanisme, c’est approximativement une théorie qui prédit que la technologie va augmenter progressivement les capacités de l’Homme et créer un être hybride entre humain et robot. Proche de la science-fiction. Je me suis donc demandé comment mettre en place une collaboration entre ma propre créativité et celle de la machine. Ma peinture étant basée sur une part d’aléatoire, j’ai décidé de rechercher cette même caractéristique dans le numérique. C’est ainsi que j’en suis venu à faire le parallèle avec les glitchs. On peut aisément saturer un ordinateur en lançant une myriade de logiciels simultanément et en ouvrant 30 000 onglets sur Internet, ainsi l’accident est inéluctable et tout se fige, le logiciel disjoncte et les modèles 3D de ces châssis se figent dans des formes improbables. Ce sont ces reliques d’accidents que je recrée ensuite dans le réel.

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies V, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 180x120 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies V, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 180 x 120 cm, 2014

L.T. : Donc c’est un peu le hasard qui décide la forme de chaque châssis ?

Valentin Dommanget : Le processus créatif est maintenant devenu une sorte de petite gymnastique où je sais comment recréer tel ou tel type de bug. En fait c’est comme ma technique de peinture, maintenant je sais comment combiner certains outils, certaines techniques et arriver à un résultat qui sera proche de ce que je veux malgré l’aléatoire.

L.T. : Cette partie aléatoire est alors une partie très importante de votre travail ?

Valentin Dommanget : Oui, c’est la partie la plus importante. L’aléatoire me permet de m’échapper de mes propres réflexions et de partir dans quelque chose qui me dépasse. Je me sens presque moins propriétaire de la pièce, parce que ça passe au-delà du personnel.

L.T. : Les nouvelles technologies prennent-elles une place importante dans votre travail ?

Valentin Dommanget : Oui, totalement. À l’heure actuelle, je ne m’imagine pas créer une pièce qui ne soit pas en relation avec l’ordinateur, l’Internet ou un logiciel. Faire simplement une sculpture pour l’amour de la sculpture ne m’intéresse pas plus que ça même si j’en conçois l’aspect ludique.

L.T. : J’ai l’impression que la technologie se retrouve aussi au niveau des noms de vos œuvres. C’est-à-dire que vous donnez des titres à vos œuvres qui font penser à des objets techniques, comme Digital Stretcher Studies X6 ou Digital Stretcher Studies X5 PF. Pourriez-vous me parler de vos titres ?

Valentin Dommanget : C’est un code référentiel. Comme j’ai pu le mentionner, je suis un adepte de science-fiction. Mes titres sont un clin d’œil au film THX1138 de Georges Lucas, un film de science-fiction culte pour moi où tout est numéroté. PF me vient de Stéphane Verlet-Bottéro qui a rédigé le texte de mon exposition personnelle à la Galerie Olivier Robert. Voguant entre abstrait ou figuratif, nano et giga dimensions, Stéphane à désigné ma peinture de « Pré-Figuratif », j’ai donc désiré garder ce terme et l’abréger.

L.T. : Est-ce que vous voyez dans votre travail une interrogation au rapport que nous avons aujourd’hui avec les nouvelles technologies ?

Valentin Dommanget : Totalement. Je pense que c’est la grande question du moment. Comment le monde va-t-il évoluer avec la technologie ? Est-ce que celle-ci va prendre le dessus ? Comment peut-on s’en servir de façon noble ou spirituelle pour en faire une force créative au service de l’histoire de l’art, plutôt qu’un simple outil de labeur ?

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies Vlll H24/2, acrylic & phosphorescent spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 90x82x10 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies Vlll H24/2, acrylic & phosphorescent spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 90 x 82 x 10 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies Vlll H24/2, acrylic & phosphorescent spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 90x82x10 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies Vlll H24/2, acrylic & phosphorescent spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 90 x 82 x 10 cm, 2014

L.T. : Vous rappelez-vous d’un moment révélateur dans votre carrière ?

Valentin Dommanget : C’était lors de ma première année d’études dans le supérieur. Je créais des compositions d’aplats de couleurs sur toiles. Ce jour-là j’avais fait un fond violet à la bombe sur lequel venait se déposer un triangle jaune uniforme à l’acrylique. Mais ce n’était pas le bon jaune. Philippe Tourriol, mon professeur de l’époque, m’a conseillé de l’effacer en grattant avec une éponge. Avant même d’essayer, j’avais des doutes sur le résultat, puis j’ai essayé et je me suis rendu compte que quand tu as une idée en tête, mais que le produit physique de cette idée n’est pas celui escompté, c’est justement là où ça peut devenir intéressant. Parce que tu ne veux pas gâcher ta toile, elle coûte quand même quelque chose, alors il faut essayer de réparer ou de modifier. Et alors de mon erreur a découlé un geste de prendre une éponge et d’effacer ce jaune et cela m’a apporté d’autres nuances insoupçonnées. C’est à partir de ce moment-là que j’ai arrêté de vouloir réaliser des conceptions mentales précises et de laisser plus de place à l’expérimentation.

L.T. : Vous exposez au Salon de Montrouge, quel apport cela donne à votre expérience artistique ?

Valentin Dommanget : Déjà je suis très content d’avoir été choisi. Il est très intéressant d’avoir la possibilité de rencontrer 59 artistes qui sont plus ou moins au début de leurs carrières. Tu te nourris de l’expérience de chacun, tu essayes de voir où ils travaillent, où sont leurs ateliers, s’ils ont déjà aussi été repérés par des galeries… Et surtout quel est leur rapport à l’art. Le Salon de Montrouge découvre des talents, puis invite des galeries, des collectionneurs et des commissaires étrangers. Tout est fait pour aider les jeunes artistes à faire leurs premiers pas dans l’art contemporain à un niveau professionnel. Trois lauréats auront une exposition personnelle au Palais de Tokyo, c’est juste une superbe opportunité. Le prix est un bonus, ce n’est pas mon but, l’expérience d’exposer au Salon de Montrouge est déjà superbe.

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies IX, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 90x135x10 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies IX, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 90x135x10 cm, 2014

L.T. : Qu’exposez-vous au Salon de Montrouge ?

Valentin Dommanget : Ce sont des œuvres de ma série Digital Stretcher Studies (2014/2015). À la base, je ne devais avoir que deux cimaises, j’avais donc prévu deux œuvres, mais au final j’en ai eu trois. Il y a une pièce que j’ai créée spécialement pour le Salon, une que j’avais déjà produite quand j’étais encore à Londres ainsi qu’une vidéo. La vidéo est constituée principalement de mes peintures scannées ou filmées puis retravaillées sur logiciel. Je voulais retranscrire le rythme lié à mon processus de création, les réactions qui s’opèrent entre pigments, spray et produits chimiques lorsque ma peinture est encore à l’état aqueux. J’ai créé cette vidéo avant tout pour partager l’excitation que j’ai quand je suis seul à l’atelier et que j’observe une pièce prendre forme devant mes yeux.

L.T. : Que souhaiteriez-vous que le spectateur retienne de votre exposition au Salon de Montrouge ?

Valentin Dommanget : Déjà je veux qu’il passe un bon moment. Ensuite que ça lui parle ou pas, ça c’est au spectateur de voir, je ne suis pas un dictateur. Si j’expose, c’est avant tout pour créer de la discussion. Via l’échange, une personne peut me faire découvrir une nouvelle facette de mon travail et ainsi le faire évoluer. Je peux aussi apporter une idée ou une expérience nouvelle à cette personne et c’est encore plus gratifiant. L’échange peut être porté sur les œuvres ou sur tout autre chose.

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies IV, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 170 x 90 x 90 cm, 2014

Valentin Dommanget, Digital Stretcher Studies IV, acrylic spray pigments, chemical solutions on canvas, stretched on wood, 170 x 90 x 90 cm, 2014

L.T. : Et après le Salon de Montrouge, quels sont vos futurs projets ?

Valentin Dommanget : Après ce travail sur les châssis, je me suis rendu compte que je m’intéressais presque plus au volume qu’à la surface de la peinture. La peinture, j’aime toujours autant la faire, mais ça ne me suffit plus. Je réfléchis à des objets qui se tiendraient dans l’espace. Par exemple, ici à Montrouge, j’expose une toile entre mur et sol. J’aimerais créer des pièces qui se tiennent dans un espace au sol et qui se libèrent du mur. Je compte aussi renouveler mon choix de matériaux. Je n’ai jamais vraiment travaillé le métal, je vais donc étudier ça de plus près. Je m’intéresse aussi à l’impression 3D, à des nouveaux logiciels. Pour le moment j’attends d’emménager dans mon nouvel atelier puis je m’organiserai en fonction des possibilités à l’intérieur de celui-ci.

Plus d’informations sur le site de l’artiste : Valentin Dommanget

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