De l’autorité du cartel – Mel Ziegler, Galerie Perrotin, Paris

Des matériaux/

« Sticks and stones may break my bones

But words will never hurt me. »

Vue de l’exposition « Sticks and Stones May Break My Bones » à la Galerie Perrotin, Paris, 2015 © Galerie Perrotin

Vue de l’exposition « Sticks and Stones May Break My Bones » à la Galerie Perrotin, Paris, 2015 © Galerie Perrotin

Le titre de l’exposition est le segment d’un aphorisme anglo-saxon pouvant trouver son corollaire en français avec « La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ». Sa traduction littérale est « Les bâtons et les pierres peuvent briser mes os, mais les mots ne me blesseront jamais ». L’œuvre de Mel Ziegler est imprégnée de ces deux matériaux : la pierre et le bois. Via ces deux éléments, l’exposition présente une dizaine d’œuvres de l’artiste abordant les rapports qu’il entretient notamment avec les États-Unis, la société et sa famille.

Chaque pièce est accompagnée d’un texte explicatif du protocole employé par Ziegler afin de créer les œuvres. Est-ce un outil de médiation ou bien le texte est-il considéré comme intrinsèque à l’œuvre ? Ces textes relatent le processus créatif de l’artiste, ils génèrent également un sentiment d’accès à la dimension intime de l’artiste. Force est de constater qu’il existe un décalage entre les objets qui fonctionnent très bien formellement et le fait de venir leur apporter un discours, créant ainsi un autre regard face aux œuvres.

Mel Ziegler , “Carry a big stick”, 2015 Caisses de munitions, bâtons de bois, velours Dimensions variables © Mel Ziegler — Photo : Claire Dorn /Courtesy Galerie Perrotin

Mel Ziegler , “Carry a big stick”, 2015
Caisses de munitions, bâtons de bois, velours
Dimensions variables
© Mel Ziegler — Photo : Claire Dorn /Courtesy Galerie Perrotin

De l’intime/

De nombreuses personnes sont évoquées dans les cartels accompagnant les œuvres. Ces personnes font partie du cercle familial de l’artiste : sa femme défunte, ses enfants et son chien. Chaque personne est incarnée dans l’une des quatre salles. La première est l’œuvre fabriquée par ses enfants, la seconde rend hommage à la pratique artistique qu’il a eue avec sa femme, la troisième rapporte les liens entre l’artiste et son chien, et enfin, Mel Ziegler s’incarne dans la dernière salle.

Les informations données sur chacun sont très fragmentées, le spectateur ne prend connaissance de la sphère intime de l’artiste que par quelques zones éclairées. Un certain malaise est créé par exemple pour l’œuvre fabriquée par ses enfants. Le geste et la raison du geste sont annoncés, tandis que les noms ne le sont pas : pour Sans Titre, les enfants de l’artiste ont créé des armes à partir de bandes adhésives, car leurs parents ne veulent pas leur acheter des armes en plastique. À contrario, les informations sur le chien sont nombreuses et extrêmement précises, en décalage total avec les enfants dont il manque notamment le nom, le nombre et  même les âges desdits enfants.

La création des enfants naît d’un interdit alors que l’œuvre en rapport avec Sister, le Pitt Bull de M. Ziegler, naît d’une relation quotidienne de moments agréables. L’œuvre To carry a big stick, présente la collecte des bâtons avec lesquels le chien joue lors des promenades journalières. Une forme de naïveté est adoptée pour ce protocole : d’une habitude naît une œuvre, d’un matériau naît un motif qu’il conditionne dans des boîtes de l’armée.

Vue de l’exposition « Sticks and Stones May Break My Bones » à la Galerie Perrotin, Paris, 2015 © Galerie Perrotin

Vue de l’exposition « Sticks and Stones May Break My Bones » à la Galerie Perrotin, Paris, 2015 © Galerie Perrotin

 

Le troisième élément induit — mais pas mentionné — dans le titre sont les mots. À l’instar du titre, la dimension textuelle est extrêmement présente dans l’exposition, de manière sous-jacente. La véracité des cartels peut être discutée par le choix des éléments donnés dans les textes accompagnant l’exposition : un doute sur l’existence des enfants s’installe. Ainsi, ces mythologies créées autour des œuvres ne participent-elles pas de l’œuvre, selon leurs formes « conceptuelles », c’est-à-dire agissant grâce et/ou avec une matière discursive ?

 

Du discours au dialogue/

Il existe un discours qui s’opère selon le choix des oeuvres et les symboles qu’ils dégagent lorsque ces oeuvres sont mises en relation. Ainsi, ce discours est créé par l’aspect formel des oeuvres. L’Amérique, et par extension la société dans laquelle vit l’artiste est clairement abordée dans la première salle de la galerie. L’oeuvre faite par les enfants de l’artiste est mise en regard de deux oeuvres : Rock hard individualism, et Catch and release.

 

Mel Ziegler, Rock Hard Individualism, 2010, roches, aluminium, 84 x 166 x 12 cm © Mel Ziegler et Galerie Perrotin

Mel Ziegler, Rock Hard Individualism, 2010, roches, aluminium, 84 x 166 x 12 cm
© Mel Ziegler et Galerie Perrotin

Ces trois éléments rappellent la suprématie des USA : sa taille et son engagement dans des conflits interpays. Cependant, l’artiste opère un décalage avec la symbolique de la “force” invoquée. Les armes, bien que très nombreuses, très diverses et fabriquées par des enfants, sont dans des matériaux inoffensifs aux couleurs criardes ; le soldat, bien que photographié en tenue de guerre, exerce une action poétique en récoltant de l’air afghan dans son bocal et en le relâchant aux États-Unis. Et enfin, Rock hard individualism est biaisée par les visages qui se distinguent dans chacune de ces pierres en apportant, à nouveau, une forme de naïveté.

 Cette exposition présente des oeuvres créant un dialogue incessant entre elles : par leurs aspects formels, leurs valeurs discursives et les symboles qu’elles véhiculent. Ces pièces opèrent un discours pertinent entre l’identité américaine, le jeu, le quotidien et la sphère familiale.

Queenie Tassell

Mel Ziegler, Sticks and stones may break my bones, jusqu’au 30 mai

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