La poétique du numérique – Un entretien avec Julien Levesque

Par Raphaëlle Peria


LEVEQUE Julien, The Google Smile, en ligne, 2011 © JULIEN LEVEQUE

 

 

Alors qu’il achève les œuvres qu’il présentera lors du 60e Salon de Montrouge début mai 2015, le jeune artiste, Julien Levesque nous accueille dans son atelier.

Pour commencer, Julien, pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours ?

Ma formation est multiple. J’ai fait un cursus aux Beaux-Arts de Paris tout en étudiant en parallèle à l’université Paris 8 en Arts plastiques avec une spécialisation dans les nouveaux médias. Parallèlement à cela, j’ai mené le post diplôme de l’Ensad Lab aux Arts Déco. À un moment donné, j’étais dans les trois écoles en même temps ! Elles ne fonctionnent pas tout à fait de la même façon, leurs points de vue et approches sont assez différents, mais convergent parfois. Il m’est arrivé d’être quelquefois en porte à faux dans les trois ; une sorte d’ovni qui circulait. Ce mode d’approche me convenait parce que j’ai ce besoin d’être un peu en retrait, à l’écart.
J’ai terminé en premier le Master à la fac. Ensuite, j’ai commencé un doctorat sur les nouveaux médias que je n’ai pas terminé. J’admire beaucoup les gens qui arrivent à écrire, à théoriser ou à développer une pensée scientifique ; hélas pour le moment ce n’est pas pour moi. Peut-être que cela viendra plus tard.

Aujourd’hui vous êtes reconnu comme un net artiste. Lorsque vous êtes entré en école d’art, vouliez-vous déjà travailler avec internet ? Si non, pourriez-vous expliquer les différentes étapes qui vous ont amené à vous y intéresser ?

Grâce à une pratique fondée sur l’animation et la photographie, j’ai réussi le concours des Beaux-Arts de Paris où j’avais la volonté d’intégrer l’atelier de Claude Closky.
En arrivant dans son atelier, j’ai découvert que l’on pouvait faire des œuvres avec et sur Internet. Avant, le numérique me servait surtout à faire du montage de films ou des retouches d’images, mais je n’envisageais pas internet comme un médium possible. C’est à ce moment-là que j’ai renouvelé ma pratique artistique en me formant de façon autodidacte. J’ai découvert petit à petit que depuis les années 90 il y avait une importante production en ligne qui existait et me suis donc documenté sur le sujet. Je me suis lancé à fond dans des expérimentations. Claude, à qui nous devions montrer chaque semaine une nouvelle œuvre dans le cadre de l’atelier, m’a encouragé dans cette voie. Toutes les semaines j’essayais de produire des pièces en rapport avec internet. Ce qui m’a beaucoup intéressé dès le départ, c’était cette grande liberté d’action. L’idée d’être visible par tout le monde à tout moment. Cela correspondait beaucoup à mon état d’esprit du moment. J’avais trouvé un médium fluide, accessible, qui permettait d’être à la fois nulle part et partout. C’est pour cela, que l’on m’a mis l’étiquette de « net artiste », elle ne me dérange absolument pas.

Pour créer vos œuvres, utilisez-vous le web plutôt comme une matière ou comme un réseau de flux ? En quoi cela influence-t-il sur votre travail ?

Pour moi, internet c’est avant tout une matière infinie, car il y a à disponibilité des milliers d’images, de sons, des mots, le pire comme le meilleur. Mais cela dépend des pièces, certaines vont uniquement extraire de la matière ou des images. Prenons l’exemple de Street View Patchwork, une œuvre construite grâce à l’utilisation de Google Street View et qui a déjà été plusieurs fois exposée au public, les photographies qui la composent existent et sont matière puisque c’est de l’image, mais si on coupe la connexion, elles n’existent plus. La pièce est donc dépendante du flux. Cette œuvre-là est à cheval entre les deux puisque l’image est dépendante de l’infrastructure pour arriver jusqu’à l’écran.
Cela influence mon travail, car le réseau implique que mes œuvres soient parfois amenées à disparaître.
Il m’arrive d’être amené à faire des captures d‘écran pour sauvegarder celles-ci. C’est le cas avec Street View Patchwork parce que l’œuvre est tendue par le flux. Si l’image se rafraichit du côté de Google, sur mon montage image, elle change. Si la Google Car repasse dans un paysage et qu’il réactualise la base de données, et bien mon image en ligne se modifie. L’œuvre évolue ainsi depuis 2009. La capture d’écran me sert à garder une trace des paysages, mais aussi à fixer un moment. Dans l’optique où je suis dépendant du service de Google Street View et que demain, si ils le souhaitent, ils peuvent couper le flux, je risque de perdre l’œuvre en ligne. Avec la capture d’écran, je rentre dans la matière puisque j’imprime la photographie. L’œuvre devient quelque chose de physique. Il y a cette envie de marquer le rapport au temps lorsque je montre les paysages qui changent au fil des mises à jour. L’évolution de l’image implique une évolution de l’œuvre.
Certains travaux sont aussi voués à disparaître. Cela fait partie du jeu, je ne garde pas de trace et j’accepte qu’elles disparaissent, car elles n’ont pas toujours de sens à être conservées. C’est l’obsolescence impliquée par le travail en ligne : les plug-ins changent, les programmes disparaissent. Si j’en ressens le besoin, je restaure les œuvres, mais certaines deviennent obsolètes. Pour moi il y a des choses déjà consommées, car elles représentent un moment donné qui n’est plus d’actualité, tout dépend de l’enjeu qu’il y a derrière chaque pièce.

 

LEVEQUE Julien, Street View Patchwork, en ligne, 2009 © JULIEN LEVEQUE

 

Il y a dans votre travail un engagement critique vis-à-vis des outils internet et notamment des réseaux sociaux, mais vous évoquez toujours ces sujets avec beaucoup d’humour, est-ce pour passer plus facilement un message ? Si oui quel est ce message ?

C’est parce que l’internet est plutôt un univers drôle à mes yeux ! Les réseaux sociaux, j’en fais une critique douce, car je pense que la meilleure façon de faire passer un message c’est souvent par l’humour. C’est une manière qui permet une approche plus désinvolte. En décalant le propos, il est possible de porter un message de manière plus subtile. Dire que Facebook conserve nos données personnelles sans notre consentement par exemple, j’essaie de le faire avec humour. Dans mon travail, j’essaie également de mettre un peu de poésie. Je ne me sens pas non plus porteur de message. Je ne suis pas politisé même si j’ai toujours l’envie de faire passer quelque chose.
Pour moi l’humour est une façon de travailler. Je n’aime pas les choses trop sérieuses, trop engagées. Je préfère que ce soit poétique ou décalé, pas besoin que les œuvres soient « prise de tête ». Dans le cinéma c’est différent, mais les artistes contemporains qui mènent un combat très politisé ça ne m’intéresse pas forcément. J’essaie de faire passer une idée, car des choses doivent transparaitre, mais ma volonté n’est pas d’imposer un point de vue unique. Il est plus subtil de suggérer ou d’inspirer que de dire les choses directement. C’est une philosophie de vie, je préfère les gens qui déconnent aux gens trop sages.

 

En 2014, un vendredi 13, vous publiez dans le Monde le manifeste Datadada, exprimant votre opposition à la transformation de la Data comme un simple fait numérique. Quelle influence le mouvement Dada a-t-il sur votre pensée ?

J’aime beaucoup le mouvement Dada, notamment depuis que j’ai eu la chance durant mes études d’être surveillant au Centre Pompidou lors d’une exposition sur Dada. J’ai eu la possibilité de rester de longues heures devant certaines œuvres en tant que gardien et de voir leur effet sur le public. J’aime beaucoup Dada, car c’est un mouvement contestataire, mais en même temps très libre et empli de poésie. Avec Albertine Meunier, on en est venu à ce manifeste par un jeu de mots qui disait que la Data c’est Dada, la Datum c’est Badaboum. En fait, nous nous sommes rendu compte qu’en latin data se dit datum mais que personne n’utilisait ce mot alors qu’il sonne bien ! Nous avons commencé à digresser à partir de ce mot et à force de discuter, nous avons acté ce jour-là que le mouvement existait. Tout est parti d’une conversation avec un spécialiste du latin qui nous a décliné le mot « data ». Nous avions décidé que nous allions porter un nouveau courant artistique. Ce courant a pour ambition de produire des œuvres qui utilisent la data, saupoudrées d’un brin de surréalisme. On utilise des données personnelles, des choses vues du côté de la surveillance et en même temps en le décalant ou le sublimant, on y ajoute de l’humour. Toutes mes pièces ne sont pas Datadada, mais on a créé ce mouvement qui regroupe un ensemble de pièces.
Après le net-art, on parle de post-internet ce qui nous fait beaucoup rire Albertine et moi. Nous avons conclut que le post-internet était déjà fini pour laisser place aujourd’hui au Datadada. C’est un projet conséquent avec pour l’instant un manifeste rempli d’anecdotes, il en suivra d’autres. Un jour, en faisant une expérience dans l’atelier avec une résistance ça a fait « Boum ! », ce qui nous a donné envie de faire des œuvres connectées qui explosent. Avec les œuvres Badaboom@gogo nous faisons des performances en lisant le manifeste et au mot « badaboum », elles explosent. Mais cette idée d’ « exploser » va aussi dans l’idée que la data peut être tendancieuse et exploser ! C’est un sujet sensible, la récupération de la data…

Beaucoup de vos pièces comme Le Lièvre et la tortue dont le titre est tiré de la fable de La Fontaine, nous replongent dans le jeu ou dans nos souvenirs d’enfance, cherchez-vous à donner à vos œuvres un côté ludique ?

Non, c’est plutôt un hasard, car l’interactivité est ludique en soi. Je suis forcément dans une relation ludique avec le spectateur puisque certaines de mes pièces font référence effectivement au monde de l’enfance, à des souvenirs plus lointains. Le côté ludique n’est pas voulu, il arrive par défaut. Même lorsque les pièces sont interactives, elles n’ont pas toujours d’interactivité avec le spectateur. Dans les objets physiques, l’interactivité se fait souvent sans le consentement du spectateur. C’est par exemple une donnée qui va tomber et qui animera un objet par exemple. Dans ce cas-là, l’interactivité se fait de manière indirecte. Mais pour moi le ludique fait référence plutôt au monde du jeu vidéo. De manière générale, l’art est peut être un jeu ludique en soit. Proposer une œuvre c’est entrer dans un contexte, une relation, dans un jeu, mais il n’y a pas dans mon travail une volonté ciblée d’être ludique.

Most viewed, all time, all category, all language, nous montre un curseur vidéo Youtube qui se déplace, symbolisant le temps que nous passons sur Internet. Vous pouvez nous en parler ?

LEVEQUE Julien, Most Viewed, All Time, All Category, All Language, vidéo, 1″54, 2007 © JULIEN LEVEQUE

Ce curseur est un symbole du temps déjà passé et périmé. Le symbole des premiers Youtube, à l’époque où le moteur de recherche était en plein boom. Nous étions tous habitués à voir cette fameuse barre. Most viewed, all time, all category, all language, je l’ai réalisée alors que j’étais encore aux Beaux-Arts. Tout est parti d’un exercice consistant à proposer une œuvre sur la plateforme Youtube. Ce travail fait référence au temps où la plateforme rangeait ses vidéos par catégories : vue, langage, temps et autres. C’est un jeu sur le temps.

 

 

Que pensez-vous justement de l’influence d’internet sur notre relation au temps ?

C’est très propre à chacun. Je travaille par exemple dans le projet Hyper(r)old avec des dames âgées qui n’ont pas du tout le même rapport à Internet que moi. Internet peut-être un outil formidable si tu sais t’en servir, mais aussi t’en préserver. Par exemple, la plateforme Facebook sur laquelle j’ai pas mal surfé au début, aujourd’hui je n’y vais presque plus. Ça me fatigue. Je suis fatigué de scroller la page du mur qui n’en finit plus et je me rends compte que le temps passe trop vite sur Internet. Je pense que les réseaux sont un gain de temps, car ils me permettent d’envoyer des informations plus vite, mais c’est très chronophage. L’internet en général, par sa sérendipité est intéressant à explorer, mais je n’en ai plus la même appréhension aujourd’hui qu’à mes débuts. Cette soif d’informations que m’apportait le médium s’est assagie. On sait qu’on perd d’avance sur internet, on ne pourra pas tout voir. Je comparerais ça à une relation amoureuse : pour le pire et le meilleur. À des moments c’est génial et parfois ça me gonfle ! En juin prochain, nous ferons d’ailleurs avec Albertine Meunier une performance DataDada lors du festival Futur en Seine : Internet me gonfle. Procrastiner devant un écran m’arrive beaucoup moins aujourd’hui que ça a pu arriver lorsque j’étais étudiant. J’utilise d’une certaine manière mieux internet aujourd’hui qu’auparavant.

Il y a deux ans, vous lancez votre propre monnaie, le Pegman coin, dans le but de contrer les grandes entreprises telles Google, qui ont la main mise sur les données numériques. Aujourd’hui, les Pegman coins circulent-ils toujours ? Que devient ce projet ?

LEVEQUE Julien et le collectif Microtruc, Le Pegman Coin, Plombs, 4cm, 2013 © JULIEN LEVEQUE

 

Ils circulent difficilement. Certains continuent leur chemin, mais plutôt comme une œuvre d’art, un multiple artistique que comme une monnaie d’échange. Beaucoup le garde dans leur sac comme un porte bonheur. C’est un projet que j’aime beaucoup. Le personnage Pegman a d’ailleurs changé de forme depuis sur Google Maps ce qui lui donne encore plus d’importance. Le design que nous avons utilisé pour couler ce petit bonhomme en plomb, lui donne un côté relique. Il devient un symbole de l’histoire de l’Internet. Mais ça reste un projet poétique et utopique que de travailler sur une monnaie alternative. Elle a circulé dans un cercle restreint de personnes qui nous connaissent, qui aiment ce que l’on fait ou qui sont amateurs d’art contemporain. Il y a aussi eu quelques curieux parce que nous avons souvent montré le projet. Les quelques personnes qui le possèdent ne veulent pas s’en séparer pour cinq baguettes de pain, car c’est un bonhomme plutôt sympathique. Ils désirent le garder comme un objet insolite. Le côté monnaie insistait sur le fait que les gros acteurs du numérique se mettaient à faire des monnaies virtuelles. Ils venaient rajouter une couche supplémentaire à ce qu’il y avait déjà. Déjà que payer avec une carte bleue c’est assez abstrait, alors s’il nous faut l’utiliser pour acheter des Amazon Coins qui servent ensuite à payer un Kindle, cela ne finit plus. L’idée était d’inverser cette tendance de la dématérialisation totale. La matière est et restera toujours une valeur sûre.

Au fil des années, vos œuvres continuent d’interroger notre rapport au web, comment expliquez-vous que vos dernières créations deviennent de plus en plus matérielles ?

C’est une évolution de mon travail qui va vers l’envie et le besoin de revenir au réel, à de la matière, à des choses que je peux toucher, sentir. Je fais encore des œuvres en ligne, mais je trouve intéressant de faire aussi une liaison entre ce monde des données et le monde « réel ». Je crée une sorte de pont, un endroit de passage qui permet la rencontre de deux univers. J’ai besoin de revenir à du concret. J’aime beaucoup travailler avec des matériaux nobles que l’homme utilise depuis la nuit des temps, comme le bois par exemple. Je viens à la matière tout en ayant cette ambivalence, cette possibilité de parler d’un monde invisible, plus lointain. Je matérialise des choses qui nous échappent pour redonner du visible.
Naïvement quand j’ai commencé à travailler sur internet, je pensais que tout le monde voyait mes oeuvres. Potentiellement c’était vrai, mais en réalité ce n’était pas le cas. Je pensais que les gens pouvaient tomber dessus par hasard, mais il faut plutôt être renseigné, guidé. Finalement faire des œuvres sur Internet touche moins de gens que l’on pense.

 

Il me semble que lorsque l’on voit des pièces comme Tu chauffes ou Little umbrella, on ne peut cependant pas parler de sculpture ou d’installation, j’aurais plutôt envie de les qualifier de « petits bricolages ». Pouvez-vous nous en parler un peu plus ?

Tu chauffes est composé d’un grille-pain Moulinex des années 70 un peu bricolé mais pas dans le sens péjoratif que l’on peut comprendre du terme « bricolage ». C’est plutôt un montage, comme un ready-made. L’œuvre est un assemblage d’une sérigraphie posée sur le grille-pain. La sérigraphie est réalisée avec un pigment thermique sur une plaque d’acier ce qui permet de révéler l’image avec la chaleur du grille-pain. Pour Little Umbrella, actuellement c’est effectivement un aspect bricolé un peu à la Michel Gondry, avec trois bouts de ficelle. Mais ce n’est qu’une première version. Je travaille actuellement sur une autre version de ce projet. L’idée au départ était de montrer que l’on pouvait réaliser un objet connecté à partir de trois fois rien, lors de l’exposition « Happy Trucs » que nous avons réalisée à La Tapisserie l’an dernier avec We Love The Net. Nous avons construit plusieurs projets autour des objets connectés, dont celui-ci. Donner une fonction à un parapluie est une idée qui me trottait dans la tête. Le projet a été réalisé en un après-midi, mais il y a tout de même derrière ce bricolage un serveur relié à une API Yahoo qui va chercher les données météorologiques d’un lieu précis. Ce projet a beaucoup plu, mais pour l’instant ce n’est pour moi qu’un prototype, pas encore une œuvre. L’aspect bricolage semble plaire, si je fais quelque chose de plus léché c’est sûr que je ne toucherai plus le même public. Dans ce projet, il y a un va-et-vient entre l’art et le design. Je ne suis pas designer, mais ce côté « do it yourself » m’intéresse.

little umbrella

LEVEQUE Julien, Little Umbrella, techniques mixtes, dimensions variables, 2013 © QUENTIN CHEVRIER

 

7e ciel ou In the cloud with Lulu servent à indiquer vos déplacements où plus généralement ceux des spectateurs grâce à des applications de géolocalisation alors que DCODD nous perd dans Paris. Quel est votre rapport à l’espace géographique ?

In The Cloud With Lulu

LEVEQUE Julien, Lulu In The Cloud, techniques mixtes, dimensions variables, 2014 © JULIEN LEVEQUE

 

Avec l’arrivée d’internet, Street View et les cartes interactives, notre perception de l’espace et des frontières a été perturbé. Ces œuvres nous permettent de voir d’une autre manière la géolocalisation. Au lieu de regarder un point qui se déplace sur une carte, ces oeuvres nous procurent une sensation différente du déplacement. Pour 7e ciel, par exemple il se fait sur un axe vertical. Dans In the cloud, je m’intéresse à ma vitesse de déplacement. Dans cette idée de travail sur l’espace, il y a aussi Croisements réalisée avec Albertine qui parle du rapprochement de nos trajectoires. Dans ma perception de l’espace, j’ai sans doute subi cette influence d’internet et de ses outils. La possibilité de savoir où l’on se trouve exactement sur une carte sans même relever le nez sur le réel est intéressante. Il devrait être possible de se déplacer uniquement en regardant l’écran de son téléphone. La géographie a évolué, on ne perçoit plus notre environnement de la même façon au fil des inventions techniques. Nous vivons une redéfinition de l’espace, mais aussi du temps. Mon travail lie fortement ces deux notions. Cette notion est vraiment quelque chose qui m’intéresse. Actuellement je travaille sur une nouvelle pièce qui, je l’espère, sera montrée à Montrouge : un travail photographique qui questionne différemment cet espace-temps.

 

En 2010, vous créez avec Albertine Meunier le projet Hype(r)olds, mettant en place des ateliers multimédias avec des femmes de plus de 77 ans, est-ce pour vous une manière de vous engager socialement en tant qu’artiste ? Pouvez-vous nous décrire plus précisément ce projet ?

Pour moi, oui, c’est un engagement. Cet atelier pour des femmes de plus de 77 ans est un super projet qui a comme point de départ de montrer qu’il est possible d’apprendre internet. Nous voulions renverser la vision des gens sur la vieillesse, autant pour montrer aux dames qu’en les accompagnant elles vont réussir à apprendre, que pour renvoyer aux gens un autre regard sur les personnes âgées. L’atelier a lieu dans un espace culturel public chaque vendredi pour ma part. Il est mené principalement par des artistes dits numériques. Nous cherchons à produire la confrontation entre un gang de dames et le public qui s’étonne de voir ce que fait ce groupe. Un lien de confiance et d’amitié s’est tissé entre nous au fur et à mesure du projet. C’est un engagement artistique, mais aussi personnel ; un peu ma façon de militer, de faire quelque chose pour améliorer le cadre de vie et aller contre les idées reçues. À l’initiative du projet, c’est Albertine Meunier qui a commencé avec cinq dames en 2010 lorsque l’atelier s’appelait Tee Time With Albertine. J’y suis allé une fois et je ne suis plus jamais reparti.

Pouvez-vous nous parler de l’œuvre que vous allez montrer lors du salon de Montrouge 2015 ?

Je montrerai deux nouvelles pièces : Requiem et Zénith. Ainsi que Book Scapes, une pièce plus ancienne, dans une version non interactive, une version collector. Lors du Salon, je montrerai trois Books Scapes. Ce sont des paysages constitués à partir d’images issues de livres libres de droits que l’on peut trouver sur internet. Ces illustrations sont susceptibles de disparaître à tout moment. J’ai eu envie ici de garder une trace de ce travail qui m’a pris énormément de temps de composition.
Requiem est une installation musicale qui interprète des messages publics de Tweeter auquel elle est reliée. L’idée ici était de traduire un peu comme en morse certains messages qui portent le mot « requiem. » Ces messages sont exprimés de façon audible. Il y a une double action de décodage puis de ré-encodage de l’information.
La dernière œuvre, Zénith, est un dispositif basé une nouvelle fois sur de la géolocalisation. Le résultat est comme une mosaïque de pixels qui sont issus de bouts de ciel capturés dans Google Street View. L’œuvre pour le moment est au stade expérimental et elle n’a été réalisée qu’à partir de ma géolocalisation, mais elle devrait bientôt l’être pour qui le souhaite. Il suffit pour cela que je confie un objet à une personne pendant une période donnée. Les déplacements seront alors retranscrits grâce à une génération d’images de ciel à l’endroit où on se situe dans Street View. Lorsque la personne me rend l’objet, je lui donne en échange une image, comme un portrait qui correspond à son parcours pendant la semaine. Ici, j’ai simplement tourné la caméra de Street View vers le haut ce qui nous fait perdre tout repère. C’est une œuvre qui nous permet d’avoir la tête en l’air, c’est mon côté rêveur.

LEVEQUE Julien, Books Scapes, en ligne, 2012 © JULIEN LEVEQUE

 

 

 

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