Au-delà du regard, la magie réelle de Benjamin Renoux

Arrivé tout juste de Londres où il vit et possède un atelier, l’artiste Benjamin Renoux a posé sa grosse valise afin de nous donner les clefs de son univers, à la veille de ce 60e Salon de Montrouge.

Mona Prudhomme : Vous utilisez une grande variété de médiums (vidéo, photo, sculpture, impression sur toile, peinture à l’huile), comment vous définissez-vous dans le milieu artistique ?

Benjamin Renoux : Je pense comme beaucoup d’artistes aujourd’hui, je me définis comme un artiste plasticien. Je n’ai pas de médium de prédilection, ça dépend de mes idées. On me demande souvent quel est le rapport entre mes œuvres, entre leurs différentes matérialités. « Pourquoi cette sculpture en béton soudainement après avoir fait une série de photos ? » Là par exemple pour le Salon, je présente ma sculpture L’invasion que laquelle on voit cette image d’un homme nu, au physique qui rappelle la sculpture antique. Je vais la placer en face de la photo qui représente Hatra, la cité irakienne détruite par les islamistes. J’ai travaillé les couleurs du corps pour qu’elles apparaissent pâles, elles restent humaines, mais font écho à la pierre de la photo de la cité, exposée sur le mur d’en face. La forme allongée du corps répond à celle du néon, je cherche un parallèle, une communication entre mes œuvres. La base de mon travail c’est une réflexion sur la photographie, j’utilise beaucoup ce médium pour questionner directement le statut de la photographie, et non seulement le sujet auquel je me réfère. Le fait d’étendre la photographie vers un autre médium artistique ça permet d’en parler. Dans chaque projet, il y a une petite histoire, une trame de lecture qui varie tout autant que le style exploité.

M.P : Votre travail joue sur la frontière entre l’image fixe de la photographie et les effets vidéos, vous avez auparavant étudié le cinéma, quel rapport entretenez-vous avec ces deux techniques ?

B.R : Je tiens beaucoup à préciser que tout est vrai, tout ce qu’on voit, le mouvement apposé sur l’image est vrai. S’il y a le reflet d’une fenêtre dans la photographie, c’est parce qu’à un moment elle a été positionnée en face d’une fenêtre. Je représente une partie de la vie de la photo. J’ai essayé d’ailleurs de le reproduire de manière factice, avec Photoshop, mais ce n’était pas du tout pareil, les couleurs ne se mélangent pas de la même manière. Bien sûr, après avoir filmé je dois retravailler un peu l’image pour qu’elle ressorte bien sur la photo, mais elle a une existence concrète auparavant. Ce qui m’intéresse beaucoup dans ce jeu entre la photographie et la vidéo, c’est qu’on peut parfois être à la limite de l’abstrait, avec un souci de composition. On aperçoit un carré dans le carré tel un Malévitch, j’ai étudié l’histoire de l’art donc pour moi ce rapprochement avec la peinture est important.

M.P : Justement, vous qui avez étudié l’art tout en le pratiquant, quelles sont vos influences ?

B.R : Ce n’est pas facile comme question, mais je pense que la grâce du 19e siècle m’inspire beaucoup, mais pas seulement. Si je devais citer un seul artiste contemporain, ce seraient probablement Roman Opalka et notamment ses toiles Détails où il inscrivait une série de chiffres, démarrant avec le 1 en 1965 et continuant jusqu’à sa mort en 2011. La petite histoire dit qu’il aurait attendu une fille qui ne serait jamais venue et qu’il a alors pris conscience du temps, de la lourdeur du temps. En soi, ce n’est pas très intéressant, mais le résultat est une magnifique réflexion sur le temps. J’admire énormément la dévotion qu’il avait pour son travail. Dans la même logique, tous les jours, il enregistrait sa voix et se prenait en photo afin de prendre conscience du temps qui passe.

 M.P : Les personnages de vos œuvres sont-ils toujours vos proches ? Est-ce une volonté de votre part d’explorer et d’exposer l’histoire de votre famille ?

B.R : J’ai la chance d’avoir de très belles photos de famille sous la main donc j’en utilise beaucoup. Je fais également des achats chez les antiquaires, je trouve cela intéressant de travailler à partir de photos anonymes, mais elles datent souvent d’avant 1950, car sinon elles sont encore au sein des familles. Cela me restreint un peu, car je ne veux pas travailler qu’avec du noir et blanc. Ça dépend vraiment du projet, parfois c’est important que ce soit ma mère ou mon père, et parfois non, et j’utilise les photos seulement parce qu’elles sont intéressantes et conviendraient parfaitement pour tel ou tel projet. Cela dépend de chaque œuvre, de chaque contexte, de chaque photographie. Pour moi, utiliser une photographie pour en faire une œuvre, c’est comme la valider, l’archiver, lui donner une forme d’éternité. S’assurer que l’on s’en souviendra grâce à sa nouvelle vie, et grâce au fait qu’elle soit devenue une œuvre d’art. Bien sûr, lorsqu’il s’agit de mes parents, cela a encore plus d’importance pour moi, mais c’est une sensation personnelle.

Benjamin Renoux, Face to face (Father and Child), Digital video (9min 02 sec), screen, glass, passe-partout, wood, acrylic, varnish, 36 x 31 x 3 cm, 2015 © Benjamin Renoux

Benjamin Renoux, Face to face (Father and Child), Digital video (9min 02 sec), écran, verre, passe-partout, boi, acrylique, vernis, 36 x 31 x 3 cm, 2015 © Benjamin Renoux

 

M.P : Cette esthétique toujours sombre de vos œuvres donne une impression un peu nostalgique, ce ressenti est-il recherché ou s’impose-t-il à vous lors de la création ?

B.R : On peut qualifier mon travail d’instinctif et d’introspectif. Cependant, il est toujours primordial de faire des recherches. Je pense à mon travail 100% du temps, mais la conception peut être longue. Je ne roule pas sur l’or, je n’ai pas dix assistants donc cette longue période de maturation modifie toujours un peu l’idée instinctive de départ. J’ai fait énormément de recherches sur la psychanalyse, la construction du moi, l’importance du reflet dans la construction de notre identité. La théorie de la « phase du miroir » développée par Lacan guide le discours de mon travail. Le bébé entre six et dix-huit mois se reconnaît dans un miroir et prend conscience qu’il est un tout et donc il commence à se construire. Tout mon travail sur le reflet se base sur cette idée d’une reconnaissance de ce que nous sommes. Parfois, le rapport à une photographie est si intense qu’on pourrait la voir presque comme un miroir. Le visiteur est intrigué face à mes œuvres, car justement il ne voit pas sa propre image dans la vitre. On s’attend toujours à voir son reflet lorsque l’on contemple une œuvre avec une vitre dans un musée. J’utilise uniquement du verre sans reflets, avec un filtre anti-reflets. L’idée est de garder toute la présentation d’une photographie et non d’une vidéo. Au loin, les gens dans la salle ne voient pas que c’est une vidéo, ils croient que le mouvement sur la photographie est le reflet de l’environnement présent. Les seuls reflets apparents proviennent d’un autre temps et d’un autre lieu. Là, je gomme le spectateur, il disparaît face à l’œuvre, même si certes cela ne va pas l’empêcher de dormir la nuit !

M.P : Votre série Conversation est longue et variée, pourquoi ce titre, quels sont vos critères de sélection pour constituer une telle série ?

B.R : C’est une conversation entre la photo et son environnement. Des va-et-vient de mise au point apparaissent quand je filme. C’est comme si la photo avait une âme, un dialogue visuel s’opère. Mes vidéos sont muettes afin de laisser place à l’échange entre l’œuvre et ce qui l’entoure au moment où je capture cet instant de vie. Les Conversations n’ont quasiment jamais de personnages dans l’environnement reflété.

 

 

M.P : Vous présentez pour la première fois votre pièce Conversation#14 qui évoque l’attaque djihadiste récente de la cité antique d’Hatra en Irak. C’est une première implication politique de votre travail, non ? Quel en fut l’élément déclencheur ?

B.R : Comme tout le monde, j’imagine, j’ai été vraiment touché par cette attaque, j’avais besoin de l’exprimer.  Je voulais faire part de mon témoignage, de rendre hommage à cette partie de l’histoire de l’humanité qui est partie en poussière. C’est comme si un jour l’État Islamique détruisait Pompéi, ce témoignage d’une civilisation passée, et donc de notre Histoire à tous. Parfois j’en rêve la nuit que je suis islamiste, ils ont bien réussi leur communication s’ils nous atteignent jusque dans nos rêves…

Comme je le disais, pour le Salon je présente une sculpture qui s’appelle L’Invasion et traite de cette confusion d’identité, car j’ai fixé deux photos de la même personne sur la sculpture. Le béton devient une masse anxiogène qui envahit l’image. C’est comme ça que commence la conversion, par un basculement vers la perte d’identité et c’est ce que je montre en mêlant la photographie au béton sculpté.

M.P : Comment appréhendez-vous cette participation au Salon de Montrouge ? Vous avez déjà participé à 12 expositions collectives, quels sont les enjeux de celle-là ?

B.R : Je me dis que j’en attends trop, donc forcément je risque d’être déçu. Évidemment il y a l’enjeu de la visibilité, la possibilité de rencontrer tout le monde de l’art parisien. L’objectif c’est d’être repéré par une galerie qui te soutienne pour continuer ta pratique. C’est la seule chose que je veux, dont je suis capable et dont j’ai besoin. Je donne tout pour ça.

M.P : La majorité des reflets que vous intégrez à vos photos représentent des fenêtres, pourquoi ?

B.R : Bien entendu il y a un grand symbolisme de la fenêtre. C’est aussi un côté pratique, car j’ai besoin d’une source de lumière pour que mes vidéos fonctionnent. Mais attention je ne choisis pas n’importe quelle fenêtre. À Londres, je ne les trouve pas belles donc je n’en fais pas là bas. Elles sont toutes en guillotine, c’est difficile de trouver une forme originale. J’utilise aussi les néons pour donner cette impression que l’œuvre se plonge dans la nuit lorsqu’ils s’éteignent. Par exemple dans Conversation#14, la cité d’Hatra est rythmée par le néon comme une mort et une résurrection incessante de la ville.

M.P : Aimez-vous appliquer un discours théorique à vos œuvres ou préférez-vous les laisser parler d’elles-mêmes ?

B.R : Personnellement, je n’aime pas avoir besoin d’un texte pour comprendre une œuvre, pour moi lire c’est juste une façon d’approfondir. J’ai envie d’être touché devant une œuvre, de vouloir rester devant. J’aime les œuvres simples, mais qui donnent envie immédiatement. Je suis très influencé par cet aspect contemplatif, où l’œuvre possède plusieurs niveaux de lecture et des sous-couches d’interprétations. Il s’agit de toucher juste. Si une œuvre est bonne, pas besoin d’en dire beaucoup. Il y a plusieurs familles dans l’art contemporain, moi j’appartiens à celle-là.

 M.P : Comment avez-vous sélectionné les six œuvres que vous présentez au Salon ?

B.R : Cela s’est joué selon mon inspiration en voyant l’espace du salon. Dans ce contexte-là, il n’y a pas vraiment de logique de commissariat d’exposition, je dois présenter un échantillon représentatif de l’ensemble de mon travail.  Ce n’était pas facile de choisir, car par exemple je voulais montrer une peinture, mais je n’ai pas repeint depuis la fin de mon master. J’ai donc décidé de ne pas en exposer, mais d’en mettre dans le catalogue d’exposition.

Benjamin Renoux, La mauvaise peau #3, C-print & huile sur toile 194 x 135 cm, 2011 © Benjamin Renoux

Benjamin Renoux, La mauvaise peau #3, C-print & huile sur toile
194 x 135 cm, 2011 © Benjamin Renoux

 

M.P : L’art pour vous c’est… ?

B.R : Je vais répondre à la manière de Louise Bourgeois : « l’art est une garantie de santé mentale ». Ce que j’exprime dans mon travail, j’en ai besoin, il y a beaucoup d’artistes pour qui ce n’est pas le cas. Il y a une vague d’artistes insolents, comme je les appelle. C’est la grande mode aujourd’hui des artistes du type Paul McCarthy, pour n’en citer qu’un. C’est rigolo ce qu’ils font, mais derrière on applique un discours à un travail qui originellement ne dit rien de tout cela. Pour moi, cela reste de l’art, mais appartenant à une autre famille.

 

Le site de l’artiste pour en découvrir encore plus !

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