« Miroir, ô mon miroir » – Dis-moi quelle est la plus belle des histoires ?

Du 3 mars au 23 mai 2015 au Pavillon Carré de Baudouin, vous pourrez venir visiter l’exposition « Miroir, ô mon miroir » organisée par le collectif L’Extension et la mairie du 20e arrondissement.

Focalisée sur le conte, l’exposition  nous narre une histoire non pas merveilleuse, c’est-à-dire qui relève du surnaturel dans le domaine de la magie et de la féérie, mais plutôt une histoire fantastique au sens où le fantastique en littérature est l’irruption du surnaturel, du bizarre dans un cadre réaliste. Elle est alors centrée sur le conte dans ses aspects les plus obscurs et cruels où la quête du visiteur sera celle du héros. Cette exposition est organisée en six chapitres, comme six étapes à franchir avant d’entrer dans le monde adulte. Car c’est bien de cela dont il est question : la brutalité des changements de l’enfant qui grandit et sort ainsi de son cocon.

Dans un premier temps la forêt avec l’œuvre d’Eva Jospin (2014) symbolise un rite de passage. Elle semble impénétrable avec tous ses branchages, pourtant, il est nécessaire de s’y plonger pour entamer sa transformation. C’est d’ailleurs le premier élément de l’exposition, elle annonce la suite, on entre en elle pour y découvrir de nouvelles pièces et en sortir changés…

Laurent Pernot, Captivité, 2008 cage, néon, gravier noir, transformateur 40 x 40 x 70 cm

Captivité, Laurent Pernot, 2008
cage, néon, gravier noir, transformateur
40 x 40 x 70 cm

Les créatures et les forces de la nature que nous y trouvons sont le deuxième fer de lance de cette histoire, ils révéleront la quête du héros et seront les obstacles qu’il rencontrera. Dans Captivité (2008) de Laurent Pernot, nous nous trouvons face à un premier paradoxe : « décrocher la lune » au sens propre, puis la mettre en cage pour ne pas la laisser filer. Un rêve enfantin qui révèle la part sombre que nous abritons tous inconsciemment et représenté par la lune qui apparaît à la tombée de la nuit, où tous les coups sont permis.

Walking on Valley of Fire, Chloé Dugit-Gros, 2010 Pneus et baskets 70 x 20 cm

Walking on Valley of Fire, Chloé Dugit-Gros, 2010
Pneus et baskets
70 x 20 cm

Des traces de passage d’autres avant nous sont marquées avec  Walking on Valley of Fire (2010) de Chloé Dugit-Gros. Une paire de baskets est accrochée à des éléments de pneus. Rappelons que la chaussure est un moyen transitoire, permettant d’aller d’un endroit à un autre. Elle est également l’artefact d’Hermès, le dieu messager et gardien des voyageurs qui guide les âmes des héros aux enfers. Le chemin est alors loin d’être tranquille.

La définition de la quête du héros se fait au moment où nous rencontrons deux miroirs différents. Le miroir fuyant (2014) de Thomas Cimolaï et Le minuit des mondes (2015) de Jean-Baptiste Caron. Comme dans beaucoup de contes, le personnage principal construit son identité, tout comme l’enfant écoutant ces mêmes récits. Mais n’étant pas aussi simple, il ne s’agit pas seulement de se regarder dans la glace pour la découvrir. Thomas Cimolaï le matérialise en réalisant un miroir qui se tourne dès que l’on se place devant, il est alors impossible de se voir dedans ; celui de Jean-Baptiste Caron prend une tout autre forme, c’est un cristal noir dans lequel notre image se reflète. Une vision obscure de nous-mêmes. En soufflant dessus, une inscription apparaît, peut-être une réponse ? Mais cette révélation était déjà en nous sans que nous le sachions vraiment, cet élément magique nous a juste permis de la confirmer.

Portrait #1, Clément Cogitore, 2014 Vidéo couleur, 3 minutes

Portrait #1, Clément Cogitore, 2014
Vidéo couleur, 3 minutes

Tsukiko - Les yeux fermés, Virginie Barré, 2009 Résine, vêtements de Anne-Gaëlle Remondeau 155 x 100 x 40 cm

Tsukiko – Les yeux fermés, Virginie Barré, 2009
Résine, vêtements de Anne-Gaëlle Remondeau
155 x 100 x 40 cm

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est en se retournant que nous voyons Portraits #1 (2014) de Clément Cogitore face à Tsukiko – Les yeux fermés (2009) de Virginie Barré. La première œuvre est un homme qui se cache les yeux et dont nous voyons un  halo rouge en sortir, la deuxième est un enfant géant dormant ou mort au sol, seul. Nous retrouvons une nouvelle thématique du conte bien connue, celle de l’abandon de l’enfant qui se retrouve seul face au monde. Ainsi, l’adulte ferme-t-il les yeux devant cet acte ? Dans En ce sens, le rouge sortant de ses yeux à travers ses mains serait la culpabilité le rongeant ou le mal qui a été commis.

Enfin, Sans titre (2015) de Stéphane Protic est un dessin où des petites filles semblent disséquer un corps. Nous arrivons au bout de la forêt, l’innocence a été perdue en chemin et l’enfant s’est émancipé. Il a découvert le monde l’entourant et peut maintenant sortir de la forêt et donc de l’ignorance. « Savoir c’est pouvoir ».

Netlon Sentinel, Damien Cadio, 2014 Huile sur bois 100 x 140 cm

Netlon Sentinel, Damien Cadio, 2014
Huile sur bois
100 x 140 cm

Avec la série de peintures de Damien Cadio de 2014 (M39 Diffain, Xylin Room, Parallel Suns, Parhelic Triangle, Netlon Sentinel) nous entrons dans diverses chambres. Elles sont à la fois le sanctuaire du désir grâce au lit, mais aussi l’endroit où les secrets sont révélés comme des confidences faites sur l’oreiller. Également, il est lieu interdit qu’habite les parents ; en y pénétrant, nous franchissons cette restriction et nous nous affranchissons de la même manière de l’autorité parentale.

Mes chéris, Eric Pougeau, 2004 Encre sur papier 26 x 20 x 1,5 cm

Mes chéris, Eric Pougeau, 2004
Encre sur papier
26 x 20 x 1,5 cm

Comme le dit cette fameuse expression, « Il faut tuer le père ». Eric Pougeau la prend au pied de la lettre avec Mes chéris (2004). L’enfant est déjà sorti de l’innocence à ce stade de l’exposition, il découvre à présent la cruauté parentale, les décisions difficiles qu’il doit prendre, il entrevoit son rôle réel. Cette œuvre positionnée dans un escalier descendant au rez-de-chaussée symbolise la retombée du monde magique dans lequel nous nous trouvions vers la terre brute. Il faut avoir cette expérience dans les étages afin de mieux comprendre le monde actuel.

La constellation de la biche II, Julien Salaud, 2012 Taxidrmie, clous, fils de coton, perles de rocaille 160 x 180 x 93 cm

La constellation de la biche II, Julien Salaud, 2012
Taxidermie, clous, fils de coton, perles de rocaille
160 x 180 x 93 cm

L’atterrissage dans la réalité se fait en douceur grâce aux animaux qui croisent notre route. Ils sont généralement des aides et des guides. La constellation de la Biche II (2012) de Julien Salaud montre le passage d’un état à un autre que nous expérimentons : ici, la biche passe du monde terrestre au monde céleste. Elle semble emprisonnée dans sa cage stellaire, notre innocence est bien restée là-haut, dans les étoiles, cette biche n’est plus qu’alors le souvenir de notre état perdu.

Il est alors temps de nous confronter à la dure réalité avec Real Snow White de Pilvi Takala. Cette vidéo montre l’artiste déguisée en Blanche-Neige et tentant d’entrer à Disneyland, dans son milieu naturel en somme. L’accès lui est refusé, elle ne pourra plus revenir au pays des contes de fées et se retrouve finalement à la rue, remettant en cause sa propre identité.

Ceci fait de vous, Alexandre Maubert, 2015 Installation, matérieux divers Dimensions variables Crédits photographiques Alexandre Maubert

Ceci fait de vous, Alexandre Maubert, 2015
Installation, matériaux divers
Dimensions variables
Crédits photographiques Alexandre Maubert

La clé de l’énigme finale nous est donnée par Alexandre Maubert avec Ceci fait de vous (2015) qui est comme un ticket d’entrée dans le Nouveau monde. Trois mallettes sont accrochées au mur, pour les ouvrir, il faut résoudre trois problèmes à la manière de l’énigme du Sphinx. Lorsque c’est chose faite, la valise s’ouvre sur un miroir posé à l’intérieur où le nom d’un personnage est inscrit. Maintenant que notre identité est trouvée, c’est ici que s’achève notre quête.

L’exposition est alors à la fois un accompagnement des plus petits qui traversent des étapes difficiles, mais il s’agit aussi de revivre les chemins de notre enfance, nos peurs, nos obstacles, nos combats, notre plongée au fur et à mesure dans le monde des adultes ; une sorte de réactivation de nos souvenirs plus ou moins lointains et brumeux.

Hélène Mondet

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