Le design graphique selon Wladyslaw Pluta, un écrin sans double-fond.

Wladyslaw Pluta, « L’Evidence du Signe », du 3 décembre 2014 au 31 janvier 2015 au Bel Ordinaire à Pau. 

L-evidence-du-signe-de-Wladyslaw-Pluta_reference« L’évidence du signe » / Vue de l’exposition. © Bel Ordinaire

Il n’est pas si fréquent de voir des lieux d’art offrir l’occasion de s’arrêter et de réfléchir sur un pan des stratégies que ces derniers emploient pour se faire connaître auprès des publics. Loin d’être exclusivement réservée aux seules entreprises commerciales, la médiation par le support écrit y devrait systématiquement être l’objet d’une mise en question de l’intérieur, au même titre que les contenus sur lesquels ils communiquent. Faire le choix peu anodin de retracer le parcours graphique de Władysław Pluta, designer précurseur emblématique de la scène graphique polonaise depuis les années soixante-dix, suffit à nous y encourager. C’est en tout cas la proposition de Perrine Saint Martin et François Chastanet à travers l’exposition L’évidence du Signe, euxmêmes graphistes au sein du studio de design Typomorpho, et invités par Le Bel Ordinaire pour ce projet de commissariat.

Au-delà de sa dimension rétrospective, l’exposition permet d’évaluer plus clairement ce qu’implique le choix graphique et son potentiel d’impactisation sur les esprits. L’identité visuelle est en effet un vecteur d’indices sur les tendances et les partis pris d’un lieu quand affiches, signalétique, éditions, revues, feuilles de salle, communiqués de presse ou cartons d’invitation, distillent des données et des interprétations sur les artistes, les expositions ou les lieux culturels. Il est plus que jamais question d’inclinaisons regroupées sous des familles de pensée, avec des codes préétablis selon les appartenances, tout autant qu’une transmission inconsciente de messages infusés par la forme graphique donnée à l’écrit et dont on trace la maquette par des jeux typographiques, l’illustration ou la mise en page.

expo_pluta_06_affiches_01« L’évidence du signe » / Vue de l’exposition. © Bel Ordinaire

 Il est certainement inutile de rappeler le bien lourd passé de l’affiche et de son instrumentalisation dans l’histoire du XXème siècle. Justement, dans le contexte délicat de la Pologne d’avant 1990, où celle-ci constitue une discipline artistique à part entière faisant l’objet d’expositions (depuis les années vingt avec l’Art Nouveau puis connue notamment sous l’appellation d’ « école polonaise » connaissant son apogée entre 1950 et 1970), Pluta se place à contre-courant des pratiques usuelles ayant cours à l’époque, se positionnant à distance de la propagande, tout en développant un travail iconoclaste où l’ambiguïté et la suggestion y sont idéalement exclues. Le message se veut au contraire assez direct. Par le biais d’une radicalisation par l’épure, obtenue par l’emploi d’aplats de couleur sur fond neutre, de formes géométriques élémentaires et d’un usage mesuré de la typographie, Władysław Pluta défend une écriture calme et efficiente qui, s’allégeant de représentations illustrées, manuscrites ou de tout effet pictural qui viendrait s’accoler périphériquement au texte et en compliquerait l’accès, incite à intercepter un imaginaire à double tranchant. Manipuler le signe en mettant en exergue son potentiel équivoque, permet de révéler alors combien la composante physique du mot est sujette à controverse. Et lui rendre de son évidence et de sa simplicité relèverait, dans certains contextes, de la priorité.

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Les signes graphiques développés et agencés par Pluta sont fréquemment rematérialisés par des astuces ingénieuses, comme dans l’affiche annonçant l’exposition sur l’histoire de l’affiche au sein de l’académie des Beaux-Arts de Cracovie en 2004 le « P » de « Plakat » (qui se traduit par « Affiche ») apparaît comme une mince surface de papier faisant référence directe au support permettant alors de se représenter le signe comme palpable. Le geste est fort puisqu’il ouvre au transfert d’un domaine symbolique vers la réalité tangible. On pense alors aux systèmes logographiques des langues anciennes dont la représentation rappelle la forme d’un élément de la réalité concevable par l’esprit. Encore une fois, c’est un encouragement à porter une attention particulière à la puissance des mots et par là même, à leur inestimable pouvoir d’action sur le monde et le cours des choses. 

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Aussi, là où le visuel pourrait possiblement conduire à prendre en otage l’attention, les facultés encouragées ici convoquent tous les sens et relèveraient davantage de l’ordre de la logique, de la reconstruction et la reconstitution d’énigmes graphiques qui en appellent au raisonnement : retournement du signe en symbole, en icône ou en schéma, monogrammes, calligrammes, ambi-grammes – autant de devinettes qui malgré leur l’opacité apparente, ne perdent pas de vue leur objectif, celui d’inviter le discernement à se joindre à la lecture. Cette volonté de clarté s’incarne d’ailleurs très certainement dans l’évocation des thèmes de l’oeil ou au contraire du masque, seules figures explicitement représentées en tant que telles. Ainsi, les jeux de lettres colorées échafaudées les unes sur les autres, à l’endroit, à l’envers, de côté, tels des modules déplaçables dans un espace physique, pourraient revêtir un intérêt de même nature que les cubes et sphères colorées des jeux d’éveil issus d’une pensée alternative de l’éducation qui joue son rôle dans les années soixante-dix en Europe. C’est le matériel pédagogique Montessori, à la suite de Friedrich Fröbel, qui est médium de l’apprentissage kinesthésique prenant en compte le caractère essentiellement singulier de l’individu, en valorisant l’autocorrection et en favorisant l’autonomie. On sait d’ailleurs que Pluta, enseignant en outre au département design industriel de l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, considère la transmission comme faisant partie intégrante de sa méthodologie.

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Mais s’il est plaisant de faire des liens périphériques en résonance avec sa pratique et de reconnaître son travail comme constituant un point de vue contenant divers niveaux de lecture et se positionnant sur ses influences modernistes (Bauhaus, Pop-Art, etc.) en somme, d’en faire ressortir le caractère artistique, la réception qui en est attendue est pourtant tout aussi claire que les traits qu’elle arbore : même s’il y a développement d’une esthétique nous demandant de profondément revoir nos modes de fonctionnement, l’intention se veut utilitariste ; il est avant tout question de remplir une fonction et son résultat doit d’être mesuré. Les messages sont efficaces et les chiffres en témoignent. Pluta ne tente jamais de se soustraire à la dimension appliquée et professionnelle de son activité. Issu de la faculté de Design Industriel de Cracovie, il se dira entouré de productions d’objets de designers depuis les origines. En découle très certainement un rapport particulier aux outils de calcul et au dessin technique, avec un design graphique qui se trouvera influencé par la méthode impliquée dans la production d’objets et le langage mathématique. S’ensuivent des formes symétriques flottant dans un vide spatial qui pourrait tout aussi bien être un plan euclidien, le tracé d’une trame ou d’une grille isométrique. Avant d’être un parti pris, le minimalisme est un moyen permettant d’arriver « à la résolution d’un problème de communication » et d’annoncer via un document, des données sur des événements ayant lieu dans une conjonction de temps et de lieu définis par la commande.

 

Sophie Rusniok

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