Camille Henrot « The Pale Fox »

The Pale Fox, présenté à Bétonsalon, est la première exposition personnelle de l’artiste française  Camille Henrot dans une institution publique française. Découverte à la Biennale de Venise 2013 où elle a reçu le Lion d’Argent pour son film Grosse Fatigue, Camille Henrot a bénéficié d’expositions à l’étranger, notamment au New Museum de New York, au Schinkel Pavillon de Berlin ou encore à la Chisenhale Gallery de Londres. Ici, à Bétonsalon, un centre d’art et de recherche, l’artiste a conçu une exposition-installation dans la continuité de ses recherches artistiques autour de la curiosité et du désir de savoir et de comprendre ce qui nous entoure. The Pale Fox est un environnement immersif, construit à l’image du monde étrange de Camille Henrot, collectionneuse obsessionnelle et chercheuse méticuleuse. Pour ce projet elle a réalisé une collaboration avec le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris où elle a étudié les modes de conservation des espèces et leur classification en tant que moyens d’analyse de la nature.

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HENROT Camille, Aperçu de l’exposition « The Pale Fox ». Bétonsalon, Paris, 2014

 

L’espace d’exposition est transformé en une chambre bleue dans laquelle sont présentés plus de 400 objets, empruntés au Muséum ou achetés et produits par l’artiste. Le bleu, considéré comme un symbole de paix, de calme et de sérénité, chez Camille Henrot, rend l’espace presque inquiétant puisqu’on se sent détaché de la réalité. Ce bleu électrique fait penser au fond bleu qui permet d’intégrer, dans l’image cinématographique, des éléments étranges et imaginaires. Les sculptures en métal sur les murs, conçues par l’artiste, dessinent l’espace en créant une sorte de parcours. Ces courbes ou angles, qui ressemblent aux étagères, n’ont, en réalité, aucune utilité fonctionnelle puisque la plupart des objets sont placés au sol ou accrochés aux murs. La disposition des pièces est chaotique et déséquilibrée. Certains murs sont couverts d’images, tandis que d’autres n’ont qu’une bande d’images collées de manière régulière. Un des angles de cette pièce est encombré par des objets disparates, tels que des affiches, des sculptures, des photographies, des revues de presse, de vieux ordinateurs et appareils téléphoniques. Comme dans la chambre d’un adolescent, on retrouve les murs recouverts d’images ou comme chez une personne âgée, une collection nostalgique d’objets d’époques différentes. En déambulant dans l’espace, on cherche, peut-être en vain, une logique à cette collection et son agencement. Les images-jumelles, les copies accrochées côte à côte ou séparément, créent l’effet de déjà-vu et nous font revenir en arrière pour scruter les fresques photographiques et les piles d’objets.

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HENROT Camille, Aperçu de l’exposition « The Pale Fox ». Bétonsalon, Paris, 2014

Bien que l’organisation de l’espace semble chaotique et aléatoire, une recherche profonde est à la base de cette œuvre. Inspirée par l’anthropologie, la philosophie et l’ethnographie, Camille Henrot fait appel à des disciplines diverses en mettant en question leurs frontières. Cette installation est organisée de telle façon que chacun des quatre murs est associé à la fois à un âge de la vie et à un principe philosophique de Leibnitz. Le mur de l’entrée représente la naissance et « le principe de l’être : où tout commence », le mur gauche correspond à l’enfance et l’adolescence « où les choses croissent ». Le mur suivant illustre le « principe de raison suffisante : là où sont les limites » à savoir l’âge adulte, tandis que le mur droit montre la vieillesse, « où les choses s’altèrent ou disparaissent ».

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HENROT Camille, croquis préparatoire pour l’exposition « The Pale Fox », 2013

Sans aucune indication directe au sein de l’espace, ce concept ne se révèle au visiteur qu’après la lecture du journal de l’exposition. Suite à cette découverte, il semble nécessaire de reprendre la visite pour réinterpréter tout ce qui a été déjà vu. Le secteur Enfance inclut un grand portrait d’un enfant au regard étonné, même émerveillé, et des œufs, symbole de la naissance. La vieillesse est illustrée par des photos de personnes âgées, par des images de destruction ou des manifestes religieux de témoins de Jéhovah.

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HENROT Camille, Aperçu de l’exposition « The Pale Fox ». Bétonsalon, Paris, 2014

Le titre de l’exposition The Pale Fox est issu d’une étude anthropologique de Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, publié en 1965. En étudiant les systèmes de croyance, les théories mathématiques et philosophiques du peuple Dogon d’Afrique de l’Ouest, ils découvrent le personnage du « Renard pâle », source du chaos mais également de la création. Pensée comme une incarnation du désordre, le Renard perturbe la rigidité du système par son activité avide et impatiente. Camille Henrot a voulu, avec ce projet, « tourner en dérision la volonté de construire un environnement cohérent, car malgré tous nos efforts pour bien faire on finit toujours par avoir un caillou qui traîne dans la chaussure ». Inspirée par la pensée de Georges Bataille, l’artiste refuse les catégories formelles et met en cause les différents ordres taxonomiques. Elle s’intéresse beaucoup à l’histoire de la collecte et au phénomène d’accumulation dont l’objectif est de comprendre le monde en le classifiant selon des structures artificiellement construites. Dans sa pratique, Camille Henrot s’interroge sur notre envie de tout connaître et critique les systèmes de pensée globalisants à travers la juxtaposition et la superposition d’éléments divers. C’est ainsi qu’elle a poursuivi ses recherches au sein du Muséum national d’Histoire naturelle, en étudiant ses collections et leurs modes de présentation. Par conséquent, l’installation The Pale Fox apparaît sous un autre angle. La représentation de l’espace selon quatre principes n’est qu’une tentative absurde de parler de l’univers dont la diversité est sa force créatrice. L’encombrement et l’absence de logique ne sont pas des caractéristiques apparentes de cette œuvre mais ses éléments fondamentaux. La collection d’images, de photos et d’autres objets échappe aux classements. Il n’y a deux détails qui renforcent l’idée que le monde de Camille Henrot ne prétend à aucune classification ou catégorisation. Lors de la visite, le visiteur est perturbé par la toux inattendue et le serpent, un jouet mécanique qui tout à coup commence à bouger. Au final, dans The Pale Fox, l’artiste développe son idée du désordre et de l’impossibilité de classer le monde.

 

 

 

 

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