» Niki de Saint-Phalle  » au Grand Palais

Métro, sites web, réseaux sociaux et autres presses, personne ne peut échapper à l’exposition Niki de Saint-Phalle au Grand Palais. Cette déferlante de publicité nous amenant dans la ligne de mire de Niki – au sens propre – promet déjà un attrape touriste bien huilé. Prenez pour ingrédient des artistes dont on n’a plus besoin de faire la renommée, des commissaires d’exposition tout autant connus, ainsi qu’un imposant édifice historique et voici la recette du succès assurée : deux millions de visiteurs annuels, ce qui place le grand palais dans le top dix des musées les plus visités de France – et sans exposition permanente. L’institution du grand palais impose chaque année ses expositions « évènements ».

 

visuelaffichenikiPhotographie en noir et blanc rehaussée de couleur extraite du film Daddy, 1972.

Niki de Saint-Phalle, féministe, membre des nouveaux réalistes, compagne de Tinguely et anciennement mannequin est fille d’aristocrates Américano-Français. Qui donc de mieux pour la muséographie qu’une tête connue, qui plus est détenant des penchants pour les artistes femmes et ayant déjà été commissaire pour une grande exposition à Beaubourg privilégiant les créations de femmes ? Camille Morineau. En effet Elles@ Pompidou, c’était elle. Un tableau de chasse qui s’étire en longueur, de Pékin à Londres, d’Yves Klein à Roy Lichtenstein. Un féminisme timide qui ne dépasse pas les cadres et plait bien à beau-papa. L’exposition de Niki de Saint-Phalle osera-t-elle un féminisme plus assuré ?

La vision du travail Niki de Saint-Phalle est depuis longtemps rentrée dans l’imaginaire collectif. Son style est connu des tout petits enfants, ses nanas font un pied de nez à la sculpture classique et bouleversent par cela même l’image de la sculpture contemporaine. Ce féminisme exacerbé, ces couleurs chatoyantes, et ces travaux dans les espaces publics font de Saint-Phalle l’une des rares artistes femme reconnue à l’international. On pourrait dire que le personnage est un monument à lui-même. Qu’en est-il donc de la rétrospective d’un tel monument ?

D’abord d’une manière tout à fait neutre. La première salle est constituée de ses premières œuvres. Malgré une violence sous-entendue, des pistolets et des couteaux plantés dans les toiles ; la peinture marquée de la bestialité de son propre corps tenant le pinceau à la manière du dripping de Pollock ; Morineau a choisi un white cube, tout juste ébranlé par les éclairages. Nous avançons ensuite vers le début de ses travaux monumentaux, traitant du sujet de la mariée. Pour citer Saint-Phalle « Le mariage c’est la mort de l’individu, c’est la mort de l’amour. La mariée c’est une espèce de déguisement. Cette femme, sous l’arbre, elle est morte, elle est asexuée. C’est même pas une femme, c’est une pensée ou un zombie ». Déjà les traits sombres de sa nature se mettent en place. Dans la salle suivante est présentée une maquette de « Hon » (« Elle » en suédois), œuvre gigantesque où les visiteurs pouvaient à l’époque entrer par son sexe et accéder à un musée imaginaire. Les mots de Saint-Phalle elle-même retentissent dans la pièce « c’était la plus grosse prostituée du monde ». Bien sûr cette œuvre prend une autre tournure lorsque Saint-Phalle exprimera plus tard dans sa vie avoir été victime du viol de son propre père. Hon, c’est peut être-elle s’ouvrant à la création, ou bien à la provocation.

P1020263Niki de Saint-Phalle dans son atelier, 1966

Et puis ses fameuses « nanas ». Les parties féminines sont protubérantes, les couleurs désignent la joyeuseté et le tout la puissance. Elles sont l’image d’un manifeste pour une société matriarcale. Alors oui, ces nanas en imposent, mais ces seins et ces fesses prennent peut-être trop de place par rapport à leurs petites têtes. Saint-Phalle, en voulant exposer le corps de la femme de la sorte oublie que dans un monde qui serait dirigé par les femmes, la réflexion a aussi du bon. Ce qu’on retient en général de son travail c’est le corps et non la tête : les dessins où elle parle de sa vie amoureuse, les fleurs, les cœurs et les petits animaux. A force de trop de « rococo » le propos est flouté, et c’est tout-à-fait l’effet que donne la troisième salle : de la musique classique, des nanas dansantes, des lettres à son amoureux et une vidéo d’elle chantant dans son atelier. Tout le contraire des idées auxquelles elle semble adhérer : « Les nanas sont les guerrières d’un combat féministe, étendards des droits civiques ».

 

Ensuite un couloir dispose de sculptures de pères : petits, trapus et avec un regard assassin. Les mères quant à elles sont dévorantes et passives. Bien sûr, tout ceci a à faire à sa mythologie personnelle ; le père est d’ailleurs représenté par un phallus dans un cercueil dans l’un de ses films. Le ton est donné : non seulement l’œuvre de Saint-Phalle est très centrée sur elle-même, individuelle sous un masque de protestation féministe, mais est tout à fait austère. Cette lutte pour le droit des femmes est liée aux traumatismes de son enfance, ce n’est pas contre notre société fait d’injustices qu’elle mène son combat mais contre son propre père.

 

P1020269Niki de Saint-Phalle, Portrait of my Lover, 1961, Bois, Chemise, Cravate, Cible, Pipe, Peinture, 72x55x7 cm.

Les salles suivantes nous font part de sa période « nouveaux réalistes » : sa démarche se trouve alors sous l’influence de ses confrères, malgré une révolte plus poussée des injustices politiques mondiales. Enfin la dernière salle est impressionnante, la scénographie est sans équivoque: reconstitution de sculptures monumentales qu’elle réalisa à la fin de sa vie pour de nombreux parcs dans le monde entier.

L’exposition reste impressionnante pour la réunion de toutes les œuvres phares de la vie de l’artiste et mérite bien le nom de rétrospective. La scénographie est assez pertinente. Le trajet que suit le visiteur se fait graduellement d’un « cube blanc » à un simulacre de fête foraine, apogée de l’œuvre de l’artiste. On ressort attristé du double masque à la fois très sombre et haut en couleur de Niki de Saint-Phalle. D’abord ce traumatisme et cette individualité qui sans cesse renvoient à son histoire et sa vision des choses. Enfin l’érection d’une héroïne, parfaite image de la femme libérée des années soixante, solution à tous les maux de la société et encore aujourd’hui figure tutélaire d’un combat imagé pour la lutte des droits des femmes.

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