Entretien avec Julie Brusley

 

Entretien réalisé avec l’artiste Julie Brusley. Née le 19/05/84, elle vit et travaille à Bordeaux. Cette jeune artiste a fait l’École des Beaux-arts de Toulouse.  Brusley a participé à l’exposition « Jeune Création » 2014 au Cent Quatre à Paris.

Priscilla Achcar – Dans votre travail, on constate une relation très étroite avec l’architecture. Pouvez-vous parler de cette approche architecturale ?

Julie Brusley – Mon travail pose une question commune qu’est celle de l’architecture, l’essentielle question de l’espace. D’une manière générale, envisager ce rapport, ces influences réciproques entre l’art et l’architecture, qui sous-entendent la question de limite, est particulièrement complexe. Il est intéressant  d’ailleurs de constater comme les correspondances, les questionnements, même s’ils se sont déplacés au fil du temps, sont grands entre l’art et l’architecture, entre  l’artiste et l’architecte, peut-être plus particulièrement encore aujourd’hui.

Dans un premier temps, je pense immédiatement à l’impact évident de la locution « in situ », où l’œuvre prend en compte le lieu, l’espace architectural où elle est installée. Cette question reste essentielle pour moi. Si l’espace environnant à l’œuvre est important, j’aimerais avoir plus souvent l’opportunité de produire des pièces spécifiquement pour un lieu ce qui sous-entend qu’elles perdent leurs significations si elles sont déplacées. Mais cette position implique bien des difficultés : travailler sur place dans le lieu d’exposition, intervenir directement sur le lieu…  Ma démarche n’est donc pas toujours celle-ci. Aussi se pose la question de la trace de l’œuvre. Il ne reste pour moi, le plus souvent, qu’une trace photographique. C’est d’ailleurs le seul rapport que j’entretiens avec ce médium.

Dans mon travail, je perçois et envisage l’espace architectural dans tout ce qu’il peut offrir comme ambiguïtés, l’ouverture en même temps que la fermeture, au regard, au corps, à l’espace mental.

La figure du mur, paradigme de toute architecture, est particulièrement importante pour moi. Elle permet d’aborder ce thème complexe du rapport de l’Homme à l’espace. Je l’envisage dans toutes ses oppositions. Il porte en lui-même nombre de dualités…

(…. Si le mur souligne, révèle l’espace, octroyer  la vue. S’il contraint, enferme, il protège, abrite, réconforte, accueille. Il est stable, vertical. S’il se dresse, même immobile, il est actif. S’il est impossible de nier sa réalité physique, sa matière, le fait qu’il est impénétrable, il reste perméable, ouvert, poreux, spongieux. Là  où la fuite  est impossible, le mur donne l’occasion d’échappatoires. Il stimule l’imagination, un ailleurs est à imaginer, réinventer, voire même imaginer une autre réalité. S’il suggère la rupture, la séparation, l’incompréhension, la difficulté du dialogue, dans d’autres cas, il peut soutenir et réunir. Il peut être entremetteur, à la fois organe et résultat d’un échange. S’il est frontière, comment imaginer un monde sans limites alors que nous sommes nous-mêmes des êtres déterminés ? S’il est limite, il est passage. S’il est limite, il met en évidence l’extérieur par l’intérieur, l’immensité du paysage par l’espace clos, le là-bas par l’ici, l’espace privé par l’espace public, s’il défend, il permet … Enfin, s’il est contrainte à la liberté, qu’il pose la question de son seuil, ce sentiment a-t-il valeur ou sens sans son contraire ? Rien n’est moins sûr non plus que d’être libre de l’autre côté du mur, sans les autres…)

P. A. – Pourquoi l’espace vous passionne-t-il autant ?

J. B. – Des situations spatiales peuvent m’intéresser, l’espace en lui-même… je ne sais pas ce que cela peut vouloir dire. J’appréhende l’espace comme  » forme  » de la perception, forme à priori de la sensibilité où il est avant tout expérience. Il est moins une structure idéale de l’esprit humain que l’expression de mon corps en tant qu’il est le moyen concret de mon insertion dans le monde phénoménal. J’approche les questions que sous-tend la notion d’espace au niveau le plus élémentaire, en l’occurrence celui du corps. C’est cette condition humaine charnelle qui pourrait être le point de départ de mon travail. Elle nous rattache au monde, au sol et à l’espace. Elle nous permet de percevoir, d’évaluer le « proche », le « lointain », l’« ici », « l’ailleurs ». C’est en effet en référence au corps que les caractéristiques essentielles de l’expérience spatiale qui est la nôtre se laissent comprendre. J’approche le sens, les problématiques de la spatialité dans des préoccupations qui peuvent être différentes entre chaque pièce. Ce qui pourrait me passionner par exemple est comment réagissent les personnes face au manque d’espace habitable, face à l’enfermement dans un espace, etc.

P. A. – Votre travail est marqué aussi par la précision, comme l’œuvre Dicave dans le camping où vous démontez une caravane et la remontez à l’envers. L’extérieur devient intérieur et l’intérieur est exposé comme design de la voiture. Que signifie cette inversion de fonction ?

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Dicave dans le camping, 2010 Sculpture, L : 2m50; l : 1m40; h : 1m80

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Dicave dans le camping, 2010 Sculpture, L : 2m50; l : 1m40; h : 1m80

 

J. B. – Ce travail par un jeu d’inversion parfaitement appliquée met en avant, et pose la question de, la limite entre l’espace privé que peut représenter la « maison » et l’espace public, entre l’espace intime, mental et le reste du monde.

Dans ce travail, les rôles ne peuvent s’inverser que d’une manière métaphorique suivant le placement mental du spectateur.  L’espace privé, ce « chez moi » renvoi à l’espace mental, intime de chacun, immense, infini. Il est à inventer, se nourrissant des éléments de l’extérieur. Par l’inversion, par la torsion, par « le pli », le monde extérieur est donc mis « à part ». Le reste du « monde » est l’espace contenu, celui qui est à découvrir, une « boîte » dans laquelle piocher quelque chose. Quelque chose que l’on ramène, qu’on transforme, qu’on « digère », qu’on expulse, qu’on offre.

P. A. – Lou-Andréa Lassalle parle d’une envie de neutralité où votre personnalité reste en dehors de votre travail. La seule idée est que le projet puisse exister, sans aucune subjectivité. Pourquoi cette rigidité ?

J. B. – À vrai dire, avant le texte de Lou, je n’en avais pas pris réellement et pleinement conscience. Il est vrai que j’ai tendance à faire en sorte que la trace de mon intervention, la trace de fabrication, dans un certain idéal, disparaisse. La plupart du temps, si je pouvais, je n’aurais aucun problème à faire faire mes pièces. (Ici je précise qu’il s’agirait tout de même d’une réalisation plutôt « artisanale ». Je ne pense pas un travail de façon industrielle qui sous-entendrait enlever toutes traces « sensibles » à moins que l’idée de ma pièce parle précisément de ce sujet). Je prends beaucoup de plaisir à réaliser, à travailler manuellement, je n’envisage pas la réalisation de mon travail sans ma présence dans chaque étape, mais pour moi l’idée prime. L’idée, les concepts ont plus d’importance dans un premier temps, que les solutions constructives qui permettront de les mettre en œuvre. Ses solutions seront choisies en relation avec l’idée maîtresse du projet. Il est vrai que, par le fait de réaliser moi-même mes pièces des « accidents » apparaissent, je fais confiance à ce genre « d’événements » bien sûr. Un décalage s’opère souvent entre l’idée d’une pièce et ce qui se passe réellement. Il faut alors prendre du recul, faire confiance aux « accidents », ne pas hésiter à avoir plusieurs flèches à son arc… c’est une aventure merveilleuse…P

P. A. –  Votre performance, quand vous vous enfermez et que vous ramez pendant 21 jours, vous faites allusion à la privation d’espace ?  Il existe un enjeu socio-politique dans cette performance ?

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21 jours installation, vidéo performance, 2012

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21 jours installation, vidéo performance, 2012

 

 

J. B. – À la privation d’espace oui, c’est un problème qui me tient particulièrement à cœur. Mais il ne s’agit pas que de cela. Le geste simple de « ramer contre un mur », renvoie, dans un premier temps, à mon propre statut, celui d’artiste. Dire qu’il est précaire ne vous apprendra rien. Ce n’est pas seulement une idée, c’est une réalité pour nombre d’entre nous. Nombre de situations témoignent bien de certaines mentalités. Au mieux on a de la chance d’avoir une visibilité pour réaliser des choses qui « ne servent à rien ». Aussi, dans la situation économique, sociale, politique qui est la nôtre, « ramer contre le mur » n’est pas le fardeau des artistes… cela concerne le plus grand nombre…

P. A. – Les transformations que vous exécutez comme dans l’œuvre In Out où vous ouvrez une « fenêtre-banc » et construisez le banc à partir des morceaux retirés de cette paroi. Vous créez une dépendance entre les deux choses, pourquoi ?

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In Out Installation, bois, L : 1 m 30; l : 50 cm; h : 90 cm, 2010

 

J. B. – Oui, le banc est construit avec un « morceau » du mur factice. Il s’agit pour moi de révéler l’élément fenêtre qui se trouve sur ce « faux mur ». Je manipule les notions de « déconstruction » et de « construction », j’utilise la matière même du mur pour révéler ce qui se cache derrière. Je réalise avec la matière même du trou un objet, un banc, qui permet de « contempler » ce qui se passe au-delà, le paysage, ici urbain. Cette dépendance témoigne également d’un parti pris, celui d’une économie de moyen. Si la fenêtre témoigne de la réversibilité des espaces, je viens le souligner. Je rejoue par le banc, mobilier urbain, une scène que l’on peut facilement retrouver dans l’espace urbain. Celle d’une contemplation du paysage. Se joue alors une mise en abîme. Voir et être vue. Le banc dans l’espace muséal, privé, propose de regarder en dehors, à l’extérieur du musée, dehors. Dans la salle d’exposition nous sont ramenés des éléments, pour les appeler ainsi, des choses empreintes, influencées du monde extérieur. Ici l’installation propose au-delà de l’objet et du trou de la découpe, de regarder l’espace extérieur pour lui-même.

Fermée, la fenêtre marque une séparation radicale entre ces deux espaces antithétiques, organisés autour des pôles silence/bruit, solitude/foule, intériorité/extériorité, immobilisme/agitation, chaleur/froid… Disons qu’avec la fenêtre, l’espace privé perd de son étanchéité, laissant échapper des informations censées rester secrètes. Ce qui appartient à l’intimité investit alors l’espace public jusqu’à se répandre (par exemple sous les formes du commérage ou de la rumeur…). Réciproquement, ce qui relève du domaine public peut interférer avec le privé, le marquer de son empreinte.

P. A. – Vous travaillez beaucoup avec l’ombre des objets, comme si les objets laissaient toujours des empreintes où ils passent. Quelles représentations les ombres ont pour vous ?

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Absence de chaises Sculpture, bois peint, L : 1 m 10; l : 90 cm ; H : 10 cm, 2008

 

J. B. – Sans ombres, les choses n’existent pas. La lumière et l’ombre m’intéressent en cela qu’elles rendent la perception de l’espace possible. Dans ces différents travaux, il s’agit de matérialiser l’immatériel. Par ce geste, figer un moment dans le temps.

P. A. – Dans l’œuvre L’exiguë ampleur, MC N° 1 où vous créez 3 dortoirs superposés avec des images paradisiaques, à l’intérieur d’une cimaise vous critiquez la société. Pouvez-vous nous en dire plus?

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L’éxigüe ampleur, MC N°1_2012 Instalation

 

J. B. – L’oeuvre s’articule autour de la question de l’habitat. L’installation, en s’insérant dans l’espace du mur de l’exposition, soulève des problématiques liées au manque d’espace, au logement, à son incidence sur les comportements et l’organisation sociale. Optimisant l’espace d’occupation à une simple cabine/lit, ce projet offre un lieu ou l’individuel et le collectif, le jeu social et rationnel sont intensifiés. Il rejoue donc une conjoncture actuelle qui implique des adaptations individuelles, parfois improbables, des compromis, des ajustements où habiter relève parfois de la performance.

P. A. – La question de l’enfermement est une des directives de vos travaux, pourquoi ?

J. B. – Oui… l’enfermement, qu’il soit physique, psychique, spatial, mental. Le terme renvoie à son contraire. Je dirais que les formes d’évasions possibles à des situations d’enfermement m’intéressent. Elles témoignent, et les situations ne manquent pas. Combien l’Homme dans des situations parfois dramatiques et c’est le cas de le l’affaire J. Fritzl en Autriche sur laquelle j’ai travaillé, combien l’Homme trouve en lui-même la force, le courage… de continuer à vivre. Ces mécanismes si complexes dépassent souvent mon entendement. Ils posent en moi nombre de questions, ils me renvoient à « la honte d’être un homme » et m’étonnent de la force et des capacités de celui-ci en position de survie. Je ne prétends répondre en rien à cette complexité, seulement amorcer des points d’interrogation au spectateur.

Une de mes pièces interroge plus particulièrement la question de « l’enfermement ». Il s’agit de: Portrait d’une architecture criminelle. « J’ai réalisé un rêve ». Josef Fritzl, Autriche, 2008

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Portrait d’une architecture criminelle – Josef Fritz. « J’ai réalisé un rêve » Installation, bois, ciment, parpaings, 2014

 

Je vous cite le texte du projet : « L’installation s’engage autour de problématiques liées à l’enfermement, se référant à l’affaire Josef Fritzl où celui-ci avait enfermé sa fille pendant 26 ans dans une cave, construite et aménagée sous son pavillon autrichien.

Pour inoculer au visiteur la vive émotion que j’ai ressentie à la découverte de cet insupportable fait divers, je propose une installation où les éléments de l’espace sont déconstruits. Ce pénétrable claustrophobique et son titre énigmatique cherchent à vous mettre dans une situation grinçante vous laissant malgré tout le choix de vos interprétations.

Voici un espace de contraintes dont l’angle saillant et les murs inclinés laissent apparaître ses fondations souterraines. Le sol du 308 cache-t-il un autre espace ?

Par effet de miroir, un sol percé de la maquette de la cave de Josef surplombe votre tête vous projetant l’espace d’un instant dans cette architecture d’oppression.

C’est après des recherches auprès des archives de l’INA et de nombreux journaux allemand et autrichien que j’ai imaginé la forme de ce lieu effrayant. Cette maquette, une sculpture, un objet à la plastique quasi minimal, en béton, apparaît à vous comme extraite du sol par un geste de découpe. Le geste ne se percevant que dans un rapport enfantin d’assimilation de la forme au trou. Un jeu de dialogue se met donc en place entre cette maquette et cette percée qui en représentent la forme en négatif.

À travers un sous titre, « J’ai réalisé un rêve », je mets en exergue une phrase de Josef Fritzl lors de son procès en Autriche en 2008. Cette phrase amorce ce qu’entretient la séquestration comme méthode de réalisation d’un idéal. C’est en réalisant son autocratie, réduite à un cercle très privé, qu’il met en œuvre ses pleins pouvoirs. C’est par un périmètre, construit de manière méthodique, afin que le cercle créé puisse tourner parfaitement sur lui-même, qu’il pouvait être hors d’atteinte des autres.  Il s’est construit « son monde », avec certains codes et à travers un espace où les lois ne sont plus que les siennes, celles d’un unique esprit, sans doute pétri d’idéalisme pervers.

Sa famille, celle qui est à l’étage et celle qui est dans la cave, issue de l’inceste, fut installée dans le repli d’un monde préexistant, dans une hétérotopie à l’intérieur d’une société qui obéit à des règles qui sont autres.

C’est donc dans un espace sous cette maison, qui ne devait pas être vu, sous peine que Josef Fritzl retombe sous le coup du jugement que : « ce qui ne se voit pas n’existe pas ». Le foyer perçu comme espace de violence invisible.

Ce fait-divers est le reflet du paradoxe d’une société qui voit le danger partout et toujours à l’extérieur du foyer alors que le pire peut se produire à l’intérieur où l’on devrait pouvoir se sentir à l’abri, en sécurité. À plusieurs niveaux dans cette affaire, les choses se sont jouées sous un aveuglement collectif, sans que personne ne s’aperçoive jamais de ce qui se tramait sous terre.

Pour les prisonniers de la caverne de Platon, un autre « enfer » les attend ensuite, celui de voir la vie sans les murs.

10. Vous jouez beaucoup aussi sur la contradiction entre image et espace réel, l’espace construit. Dans le texte de Lou-Andréa, elle parle d’une incitation au rêve, comme un     voyage imaginaire. Donc l’homme a le pouvoir d’échapper à son espace réel. Comment vous voyez cette capacité ? Est -elle l’enjeu de votre travail ?

Pour l’homme, la capacité d’échapper à son espace réel est immense. Dans certains cas, elle se passe de l’image. Je crois que la performance « 21 jours » en témoigne. Je fais le choix de ramer devant un mur blanc. Celui-ci représente cet espace d’évasion. Cette « fenêtre aveugle » devient le lieu où s’échapper, où s’évader. Il est lieu de projection dans un autre paysage à inventer. On ne peut pas imaginer jusqu’où cette capacité peut nous mener. Pour ma part, mais il faut le souligner, le cas est particulier puisque je fais le choix de cet enfermement, je suis partie très loin… Cette capacité et les situations qui entraînent celle-ci sont bien des enjeux de mon travail.

Si, dans certaines situations, cette capacité se passe de l’image, un élément architectural est important dans mon travail, la fenêtre. Élément familier aux multiples déclinaisons esthétiques ou fonctionnelles, la fenêtre joue un rôle essentiel dans la vie quotidienne, tant individuelle que sociale : source de luminosité, de visibilité, de communication, en même temps que frontière entre deux espaces mitoyens souvent antithétiques. Elle délimite un fragment de réel qui s’offre à la représentation, à la manière du cadre pictural. De l’intérieur, elle ouvre sur un espace autre donné à contempler ou à imaginer. Mais ce qu’elle montre n’est pas toujours visible ou ne l’est que partiellement, elle « cadre », aussi participe-t-elle d’un double jeu, entre exhibition et dissimulation, propre à servir de tremplin à l’imaginaire.

Je m’empare  de ce motif, situé à l’interface entre l’espace du dehors et celui du dedans, dont ils se plaisent à représenter les interactions. Au point que la fenêtre, en ce qu’elle propose une vision du monde, que celle-ci relève de la mimésis ou de l’invention, peut devenir métaphore de l’œil, de son regard, et au-delà, de l’activité créatrice même.

Elle participe indéniablement de la construction d’un espace esthétique, poétique et symbolique ; elle ouvre la voie vers un jeu infini de possibles dialectiques.

P. A. – La dichotomie entre extérieur/intérieur, espace privé et espace public fait partie de votre démarche. Est-ce que vous les assemblez au bout d’un moment ? Sont-ils complémentaires l’un de l’autre ? Et de quelle manière?

J. B. – La frontière entre la sphère du privé et du public, incontestablement féconde, est d’une simplicité trompeuse. Elles sont interdépendantes, complémentaires l’une de l’autre, leur relation est complexe. Ce qui les délimite est difficile à tracer. Je ne peux les assembler, elles ne peuvent l’être, c’est bien l’opposition » qui fait sens. Non je peux seulement vouloir souligner ce lien, interroger comment dialogue ces deux espaces, les faire légèrement basculer l’un dans l’autre, etc.

Je pense que, d’une manière générale, dans notre société, cette notion de limite entre espace privé et public est mouvante. Ce qui peut m’intéresser à ce sujet c’est qu’elle tend à s’effacer, non pas entre les murs, entre le contour géométrique, mais bien dans le fait que l’individu est en permanence exposé aux regards des autres et ne peut s’y soustraire. Il doit être transparent et soumis au contrôle du groupe. (Ex: réseau social, etc.)

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Cage, 2013 Sculpture

P.A. –  L’œuvre  Cage m’a beaucoup frappée par rapport à son matériel. Sculpter dans le bois, sans aucune ouverture donne une sensation de claustrophobie, où rien ne sort et rien ne rentre, même pas l’air. Pour quoi cette réclusion totale?

J. B. – Elle pousse à l’extrême ce qu’elle semble évoquer, l’absence de liberté. Une question se pose alors rapidement, quel est l’espace environnant le spectateur?

P. A. –  Dans L’ombre de socles, Empruntés et  Absence de chaises, vos œuvres sont les ombres d’objets inexistants. Est-ce que ces œuvres font appel à notre capacité à compléter les images incomplètes ? Avez-vous pensé à cela ?

J. B. – Je ne dirais pas qu’ils sont inexistants, mais bien plutôt absents. Ils ont été là, à un moment. Ils ont bougé, il n’est resté que leurs ombres. Notre imaginaire doit effectivement compléter ces « images », ces « histoires ».

Liens : juliebrusley.com

Priscilla Achcar

 

 

 

 

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