Pierre-Pol Lecouturier : la lumière à l’œuvre

Cube, 2010, plexiglas, 5 x 5 x 5 cm et 5 x 3 x 3 cm (photo : Florian Kleinefenn)

Cube, 2010, plexiglas, 5 x 5 x 5 cm et 5 x 3 x 3 cm (photo : Florian Kleinefenn)

Le travail de Pierre-Pol Lecouturier se tient à la lisière du visible. Reflets, halos, scintillations, phénomènes de diffraction et de rayonnement sont à la base de ses recherches et constituent l’objet principal de ses œuvres. Par le biais de dispositifs minimalistes, l’artiste questionne notre rapport à la lumière et son interaction avec la matière. A la manière d’un impressionniste dépourvu de sa palette et de ses pinceaux, Pierre-Pol Lecouturier capte des moments fugaces, accueillant, carnet à la main, hasards et accidents, et saisissant les reflets, non plus de l’eau mais des objets manufacturés qui font partie de notre environnement urbain. La comparaison avec le peintre impressionniste s’arrête pourtant là car sa démarche ne vise pas seulement la reproduction d’effets de lumière fugitifs mais aussi leur évanescence et leur possible disparition. Ses œuvres introduisent une forme de contingence et peuvent tout aussi bien rester muettes pour le spectateur distrait. Présentée à l’occasion de la 65e édition de Jeune Création à l’automne 2014, Particules (2011-2014) est emblématique du travail de Pierre-Pol Lecouturier. 

Particules, 2011-2014, Microbilles, spot 300W, dimensions variables.

Particules, 2011-2014, Microbilles, spot 300W, dimensions variables (photo : Caroline Marlier). 

A la vue de ce dispositif, le spectateur s’approche, interpellé par un projecteur qui semble ne rien éclairer d’autre que le sol. La présence du spot rappelle l’intérêt de l’artiste pour le cinéma et plus particulièrement la fascination qu’exerce la projection de la lumière sur une surface et le couloir lumineux qu’elle dessine pour y parvenir. Mais pour peu qu’on décide de ne pas s’attarder, il n’y a, dans Particules, rien d’autre à voir. Un regard pressé ne retiendra en effet de l’œuvre que sa dimension sculpturale, la silhouette anthropomorphique de ce projecteur tête baissée diffusant son halo sur le sol. Pourtant, à celui qui prend le temps d’observer, c’est une toute autre expérience qui s’offre au regard : la rencontre du faisceau du projecteur et des microbilles de verre disposées au sol fait apparaître un spectre lumineux qui évolue au gré des déplacements du spectateur. Comme souvent dans le travail de Pierre-Pol Lecouturier, l’œuvre ne s’appréhende pas d’un seul regard, ni en un seul temps. Toutefois, le hasard d’un déplacement peut suffire pour qu’elle se révèle. « Je demande aux spectateurs de s’attarder sur les pièces car parfois, ce qui est à voir n’est pas ce qui se donne au premier abord », affirme l’artiste. C’est un œil attentif et curieux qui rend aux œuvres leur pleine actualité. Il peut même se faire indiscret, comme avec Map (2012), où le spectateur est amené à se pencher au-dessus de l’œuvre pour voir apparaître les irisations produites à la surface du tube. 

Map, 2012, plastique, papier, clous, 100 x 5,5 cm.

Map, 2012, plastique, papier, clous, 100 x 5,5 cm.

Map, détail

Map, détail

Oscillant entre apparition et disparition, les pièces de Pierre-Pol Lecouturier évoluent sur une ligne de crête, celle de l’à-peine visible, du presque invisible. « Il arrive à chacun de passer dans une exposition et de manquer une pièce dont tout le monde parle ou de voir une œuvre sans percevoir où se situe l’intervention, précise-t-il. Dans mon travail, c’est un parti pris de ne pas tout donner à voir et de jouer sur ce presque visible ». Particulièrement révélatrice de cette esthétique de l’inframince, Reflect (2012) rend compte de ces problématiques liées à la reconnaissance – ou non – de l’œuvre en tant que telle. Composée d’un verre anti-reflet suspendu à l’angle d’un mur, la pièce, visible par les fines verticales que dessinent ses extrémités, peut passer totalement inaperçue. On peut aussi se méprendre sur sa nature, l’œuvre ne laissant voir, de loin, que ce qui pourrait s’apparenter à deux fils suspendus à l’angle d’un mur ou bien à deux traits tracés au crayon carbone.

Reflect, 2012, verre anti-reflet, clous, 19,2 x 28, 6 cm (photo : Hugard & Vanoverschelde)

Reflect, 2012, verre anti-reflet, clous, 19,2 x 28, 6 cm (photo : Hugard & Vanoverschelde)

Si le travail de l’artiste ne se saisit pleinement que dans l’interaction avec le spectateur, incluant parfois un rapport intime à l’œuvre, il est aussi intrinsèquement lié à l’espace qui l’accueille. Les pièces de Pierre-Pol Lecouturier semblent être des révélateurs, non pas seulement de la lumière mais aussi de l’espace qui les reçoit. Le goût de l’artiste pour les recoins, les angles ou le sol traduit sa volonté de faire dialoguer ses œuvres avec l’espace d’exposition et son architecture. Elles le soulignent par leur discrétion et viennent s’y ajouter, voire s’y confondre, sans le contrarier. C’est ce que révèle Lead’s light (2014), une feuille de plomb polie occupant la quasi totalité du sol de la pièce. La lumière se reflète sur la matière, reflétant elle-même l’espace d’exposition. La feuille de plomb polie agit comme un miroir tout à la fois opaque et transparent – ou tout au moins perméable – puisqu’il se laisse aussi modeler par le sol en adoptant le relief du carrelage.

Lead’s light, 2014, unique, feuille de plomb polie à la main, 300 x 200 cm, in situ Greylight Projects, Bruxelles (photo : Marc Buchy)

Lead’s light, 2014, feuille de plomb polie à la main, 300 x 200 cm, in situ, Greylight Projects, Bruxelles (photo : Marc Buchy)

Lead's light, 2014, détail (photo : Marc Buchy).

Lead’s light, 2014, détail (photo : Marc Buchy).

Il faut aussi dire un mot de la simplicité des dispositifs et des matériaux à partir desquels travaille l’artiste. A rebours des grandes installations, les œuvres de Pierre-Pol Lecouturier n’offrent rien de spectaculaire. Le choix des matériaux traduit également ce souci de simplicité. Aux dispositifs sophistiqués, élaborés à partir de matériaux complexes, l’artiste privilégie la présentation épurée et l’usage de matières premières comme l’aluminium, l’acier, la tôle, le plexiglas ou le verre. S’ils sont issus d’un processus industriel, ils sont avant tout retenus pour leur propension à interagir avec la lumière, loin, surtout, de toute forme de « trucage » ou d’effets spéciaux. « Il est important, pour tenter de comprendre ce que l’on a sous les yeux, d’avoir, autant que faire se peut, toutes les cartes en main pour être en mesure de reconnaître la nature des matériaux utilisés ». Souvent, il n’est pas d’expérience que le visiteur ne puisse reproduire chez lui ou tout au moins, qu’il ne puisse revivre dans son environnement quotidien. L’intervention de l’artiste est, elle aussi, minimale. Trop anecdotique, le geste artistique se fait le plus discret possible afin de livrer les phénomènes optiques dans leur plus pure apparition, dépouillée de tout ce qui pourrait nuire à la rencontre du regardeur et de l’œuvre. C’est donc avec une grande économie de moyens que Pierre-Pol Lecouturier nous invite à prêter le regard aux micro-événements lumineux qui ponctuent notre vie de tous les jours, restituant ainsi aux matériaux les plus ordinaires leur part de beauté et de poésie.

Par Julie Jourdan

 

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