Entretien avec Caroline Delieutraz

L’artiste est née à Annecy en 1982, actuellement elle vit et travaille à Paris. Cette année son travail a été exposé au « Jeune Création » du 30 octobre au 02 novembre 2014 au Cent Quatre à Paris. Elle est représentée par la Galerie 22,48m2.

Priscilla Achcar –  Comment voyez-vous l’auteur des images dont vous vous appropriez le travail ? Pouvez-vous, par exemple, nous décrire Deux Visions, pièce pour laquelle vous vous appropriez les images de Raymond Depardon.

Deux visions

Deux visions 2012 Pages du livre La France de Depardon, captures d’écran de Google Street View www.deuxvisions.net

Caroline Delieutraz – Pour moi, Raymond Depardon est un personnage. Son nom, sa silhouette, sa voix en font presque une icône. Deux Visions met en parallèle des images du livre La France de Raymond Depardon (éditions Point2, 2012) et des images capturées sur Google Street View. Pour ce projet, j’ai refait, sur le web, une partie du trajet de Depardon afin de confronter ces deux types d’images. D’un côté, celles d’un photographe français reconnu, de l’autre, celles prises par Google. Ce rapprochement souligne notamment deux dispositifs de production d’images très différents : la voiture de Google, ses multiples appareils photo hissés sur un mât et la camionnette de Raymond Depardon, sa chambre photographique.

P. A. –  D’où vient votre intérêt pour l’appropriation ? Que signifient pour vous une image qui meurt et une image qui reprend vie ?

C. D. – Cette pratique de l’appropriation n’a plus tout à fait le même sens que lorsque Sherrie Levine rephotographiait les images de Walker Evans pour y apposer son nom. Avec Internet, l’appropriation est devenue une activité courante et populaire. Mais Internet ne fait qu’amplifier et pointer un phénomène qui existe depuis toujours : la circulation des idées et des images.
L’idée que les images ont une vie est justement une métaphore pour parler de cette circulation, de l’apparition des images notamment sur Internet, leur duplication, leur disparition et parfois leur réapparition dans des contextes qui peuvent être très différents.

P. A. –  Quel type d’expérience voulez-vous créer autour du spectateur avec l’œuvre Masque Anti – Regard ? Pouvez-vous nous décrire la pièce ?

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Masques anti-regard 2014 Plastique, film dépoli, étagère en bois. http://anti-regard.tumblr.com

C. D. – Les masques anti-regard sont de simples ovales de plexi recouverts d’un film dépoli. Ceux-ci reproduisent, dans une version « analogique », l’effet de flou tel qu’il apparaît sur les visages dans Google Street View. Cet effet numérique sert aussi à cacher les identités des enfants, des victimes ou des témoins à la télévision. Dans l’espace d’exposition, le visiteur a la possibilité de se saisir d’un masque afin de flouter son propre visage. Ce sont des objets très « low tech » qui ont pour objectif de retourner le processus de floutage. Chacun peut se l’appliquer à son propre visage.

P. A. – Cette œuvre constitue-t-elle une mise en garde par rapport à la manière dont nous diffusons nos photos personnelles sur les réseaux sociaux ? Les réseaux sociaux nous incitent à mettre nos photos au premier plan, à les diffuser, à reconnaitre et marquer nos amis dans ces images. Quel est votre sentiment en tant qu’artiste sur cette pratique massive de nouvelles manipulations ?

C. D.  – Les images de visages sont aujourd’hui un enjeu de pouvoir très important alors que les outils de reconnaissances faciales sont en train d’être perfectionnés. Lorsque nous pourrons tous être identifiés tout le temps, dans la rue ou sur n’importe quelle image, alors il faudra mettre en place des stratégies pour se protéger. Les projets CV Dazzle, d’Adam Harvey et Facial Weaponization Suite de Zach Blas vont dans ce sens.

P. A. – Vous mélangez le virtuel et le réel dans l’œuvre Trucage. Vous utilisez un objet « matériel » (un livre) et un objet qui évoque le « virtuel » (un ipod). Pouvez-vous décrire l’œuvre ? Dans quel but faites-vous ce mélange ?

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Trucage 2014 Livre (Philippe Vasset, Exemplaire de démonstration, Fayard, 2003), Ipod, feuille de Rhodoïd, peinture verte, 32 x 29,7 cm.

   

C. D. – Comme un objet au contenu illicite, un Ipod, posé dans un livre creusé (Philippe Vasset, Exemplaire de démonstration, Fayard, 2003) diffuse une playlist de vidéos d’effets spéciaux sur fond vert, trouvés sur Internet. Une feuille transparente peinte en vert est glissée dans le livre et en dépasse.
Cette association entre ces objets qui semblent de nature différente, crée une installation hybride qui met en jeu différents processus de production et supports de diffusion.
Au centre de cette pièce, l’idée d’une base de données constituée de matériaux disponibles, prêts à être utilisés.

P. A. – Vous utilisez des images trouvées sur Google Images, le Google Art Project vous intéresse-t-il ?

C. D. – Oui, d’ailleurs je me suis servie du Google Art Project pour Sans titre (La Tour de Babel). Il s’agit d’un puzzle de bois à sept étages, découpé à la main. Les pièces retirées découvrent les couches plus profondes qui représentent des parties zoomées de la Tour de Babel de Brueghel. L’image donne un peu l’impression d’avoir été creusée. Le tableau est reconnaissable, mais le procédé n’est pas tout de suite perceptible. Ce « collage » qui associe des vues globales et des vues détaillées du tableau peut être mis en parallèle avec l’interface du Google Art Project – ou celle de Google Earth – qui permet comme une percée dans les images. Sans titre (La Tour de Babel) pose la question de la manière dont ces représentations composites changent notre façon de voir le monde.

P. A. – Pouvez-vous nous parler un peu de votre projet Copie Copains Club, réalisé en collaboration avec Émilie Brout et Maxime Marion ?

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Copie Copains Club 2013 Club Internet, réalisé avec Emilie Brout et Maxime Marion. www.copiecopainsclub.net

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Copie Copains Club 2013 Club Internet, réalisé avec Emilie Brout et Maxime Marion. www.copiecopainsclub.net

 

C. D. Le Copie Copains Club est un club de copains qui se copient. Il s’agit d’une plateforme en ligne au sein de laquelle les artistes peuvent interroger leur rapport à la copie. Les copies peuvent être des reprises, des hommages, des parodies d’œuvres existantes. C’est un club ouvert, pour y entrer, il faut copier un artiste du club ou avoir été copié.

P. A. – Vous êtes aussi commissaire d’exposition. Vous pouvez parler un peu de cette expérience d’exposer d’autres artistes ?

C. D. – Je vois cela comme un prolongement de ma pratique. Je travaille toujours en collaboration avec un ou plusieurs co-commissaires, autour de sujets qui traversent mon travail artistique. Cela me permet de créer des liens et d’approfondir mes recherches d’une autre manière. Avec Géraldine Miquelot, je prépare actuellement l’exposition « Promenons-nous… ». Elle aura lieu L’Abbaye d’Annecy-le-Vieux du 5 janvier au 20 avril 2015.

Liens
www.delieutraz.net
www.deuxvisions.net

http://anti-regard.tumblr.com
www.copie-copains-club.net

Par Priscilla Achcar

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