Thibault Brunet – « explorateur du virtuel »

 

Thibault Brunet peut être présenté comme un chercheur, un explorateur de contenus numériques demeurés invisibles. Il parcourt l’univers des jeux vidéo à la recherche d’éléments visuels qui restent imperceptibles par leurs utilisateurs, détourne des logiciels tels que Google Earth pour créer des images à mi-chemin entre réalité et fiction.

Le travail de Thibault Brunet est intéressant à différents égards. D’abord, il s’agit d’une recherche plastique dans un domaine encore peu exploré par les artistes aujourd’hui  (le virtuel) alors même qu’il représente l’un des éléments les plus présents dans notre société contemporaine. Ensuite, dans ses séries issues de jeux vidéo, l’artiste joue sur l’ambiguïté de ses images en se présentant comme un reporter de guerre : une autre vie possible grâce aux jeux vidéo. Son avatar, programmé par les concepteurs du jeu pour effectuer une tâche précise, se voit détourné de sa fonction par l’artiste, devenant alors explorateur, photographe de son monde virtuel.

Cette pratique pose donc également la question du statut de l’artiste et de son œuvre. Les images issues d’un monde fictionnel sont imprimées grâce à la technique la plus traditionnelle de tirage et de présentation de photographies. L’impression de ces images sur papier peint ou baryté, contrecollées pour certaines sur aluminium et encadrées, nous amène à questionner cette transposition.  Pourquoi ces paysages et figures virtuels ne pourraient-ils pas être montrés sur des écrans, leur cadre d’origine, donnant ainsi des clés de compréhension quant à leur nature ? Au contraire, l’artiste sort ces images de leur univers fictionnel, générant ainsi toute l’ambiguïté et l’ambivalence qui caractérisent son œuvre.

Dans Vice City et Lanscape, Thibault Brunet s’intéresse aux paysages des jeux vidéo. Dans ces séries, son travail consiste donc à dévoiler ce qui reste habituellement invisible. Dans Lanscape, il présente des paysages de guerre ravagés par les actions programmées des joueurs. Il s’agit d’images de désolation, sans aucune présence humaine. Des rues dévastées, des bâtiments aux murs criblés de balles et aux fenêtres totalement brisées…

Landsacpe, 2010, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier Baryté, dimensions variables

Sans titre, série Landscape, 2010, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier baryté, dimensions variables

Landscape, 2010, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier Baryté, dimensions variables

Sans titre, série Landscape, 2010, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier baryté, dimensions variables

L’artiste confie que certaines personnes l’ont félicité pour son courage, croyant qu’il s’était réellement rendu en Afghanistan. Thibault Brunet aime jouer de l’ambigüité de ses images tout en rejetant l’idée du mensonge ou de la tromperie. Selon lui, tous les signes sont présents pour permettre aux spectateurs de comprendre qu’il s’agit d’images virtuelles, ce qui ne semble pas toujours être le cas. La mauvaise résolution, les arêtes très prononcées des visages sont autant d’indices qui permettent en effet de se questionner sur la provenance de ces photographies.

Il n’en demeure pas moins que l’artiste se trouve selon lui réellement dans un camp en Afghanistan, où les soldats s’entraînent, se reposent et mangent du chocolat : « Loin de l’agitation des stands de tir et des explosions, j’ai arpenté la zone à la recherche des autres soldats. Je les découvre pour la première fois en dehors de l’effervescence des missions, jouant au basket-ball, faisant de la musculation ou simplement assis. Je les photographie alors dans cet instant de pause, de loin puis de près. »

Thibault Brunet s’exprime tel un reporter de guerre. Il est intéressé et inspiré par les actions de ces derniers. C’est ce travail de reportage, de voyage en terrain hostile (ou inconnu) qui a nourri sa recherche à travers les jeux vidéo tels que Call of Duty. Il raconte en effet : « Un jour, j’ai vu un reportage sur des photoreporters en Bosnie pendant la guerre des Balkans, ils étaient en train de mourir, c’était hallucinant… C’était à l’époque où les snipers étaient partout… En fait, pour le dire simplement, dès qu’une tête dépassait, ils tiraient et on voyait les gens traversant la rue, des reporters, vraiment terrorisés… Quand j’ai vu ça, je me suis mis à jouer à Call of Duty et voir comment je pouvais réinterpréter le photoreportage, mais sans y mettre de risques concrets ». Selon, lui, il est « assez fascinant que les jeux vidéo rejouent des enjeux du monde réel presque à la perfection sans risques physiques et sans réel danger ».

C’est en explorant différemment l’univers virtuel proposé par le jeu, puis en se l’appropriant (d’abord en ne répondant pas aux attentes du jeu, en s’intéressant aux personnages de second plan, « programmés pour faire partie du décor », puis en entrant des codes permettant de changer le climat, d’obtenir une atmosphère brumeuse ou encore des tempêtes) que l’artiste devient, par son avatar, un réel photographe reporter travaillant à obtenir ses « instants décisifs ».

Pvt Shiring, série First Person Shooter, 2011, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier Baryté, dimensions variables

Pvt Shiring, série First Person Shooter, 2011, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier baryté, dimensions variables

Dans son travail le plus récent, Typologie du virtuel, Thibault Brunet « explore une autre facette du virtuel ». Cette série présente des images réalisées à partir de bâtiments (HLM, tours de grandes firmes…) modélisés en 3D par des utilisateurs de Google Earth. L’artiste les prélève et les ancre dans un espace flottant. Il les place sur un fond gris plus ou moins clair, en y ajoutant une ombre portée définie d’après le jour et l’heure de leur réalisation.  Une nouvelle fois, le geste de détournement des outils numériques de la part de l’artiste, nous permet de percevoir des éléments issus d’un nouveau monde dont il reste encore tant de choses à découvrir, celui du virtuel.

Sans titre, série Typologie du virtuel, 2013-2014, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier Baryté, dimensions variables

Sans titre, série Typologie du virtuel, 2013-2014, photographie, tirage jet d’encre sur papier peint ou papier baryté, dimensions variables

Lena Larrasquet

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